Les propos extemporanés de Silvio Berlusconi sur Zelensky et l’Ukraine ont soulevé un tollé (comme toujours!) au point que le président du PPE a jugé bon d’annuler une journée d’étude à Naples sur la question ukrainienne. En clair: le soutien à saint Volodymyr n’est pas une option, et le critiquer est un délit – ou plutôt un péché puni d’excommunication. Explications d’Italie (korazym.org)

La claque du PPE à Berlusconi, qui pourtant a en tête un plan de paix en Ukraine


Korazym.org

Silvio Berlusconi s’est adressé aux journalistes à la sortie du bureau de vote à Milan, dimanche, après avoir voté aux élections régionales en Lombardie, avec un jugement tranché notamment à l’égard de Zelensky, qu’il a accusé d’avoir attaqué en premier :

Moi, parler à Zelensky ? Si j’avais été Premier ministre, je ne serais jamais allé là-bas. Je juge très, très négativement le comportement de ce monsieur, parce que nous assistons à la dévastation de son pays et au massacre de ses soldats et de ses civils. Il lui aurait suffi de ne pas attaquer les deux républiques autonomes du Donbass pour que cela ne se produise pas

Il a également critiqué de manière voilée le président américain Joe Biden, à qui il a envoyé une suggestion.

Pour arrêter la guerre, il suffirait que le président américain prenne Zelensky et lui dise : « Après la fin de la guerre, un plan Marshall pour reconstruire l’Ukraine d’une valeur de 6, 7, 8, 9 trillions de dollars est à votre disposition, à une seule condition : que demain vous ordonniez un cessez-le-feu, aussi parce qu’à partir de demain nous ne vous donnerons plus de dollars et nous ne vous donnerons plus d’armes ».

Selon l’ancien Premier ministre, une telle solution aurait un effet certain.

Je crois que ce n’est que de cette façon que l’on pourrait persuader ce monsieur d’arriver à un cessez-le-feu.

Commentaire de Renato Farina

« Suite aux remarques de Silvio Berlusconi sur l’Ukraine, nous avons décidé d’annuler nos journées d’étude à Naples. Le soutien à l’Ukraine n’est pas facultatif ». Avec ce tweet, Manfred Weber, président du Parti populaire européen, a excommunié hier Silvio Berlusconi comme un traître à l’Occident.

Qu’a fait Silvio ? Quelle a été la faute du Cavaliere ? Qu’a donc fait l’ancien Premier ministre pour que ce chrétien-démocrate bavarois – inconnu, selon les sondages germaniques, de 75 % des Allemands, sans parler du reste du monde – lance l’anathème contre lui et, de fait, contre trente ans d’histoire de l’Italie et de l’OTAN ?

C’est simple. Berlusconi a dit du mal de Zelensky. C’est tout. L’interdiction s’appliquait autrefois à Garibaldi, et c’était une injonction pour rire, aujourd’hui, elle s’applique pour de bon au président de l’Ukraine, et ce n’est pas une plaisanterie. Mais quel genre de pouvoir d’hypostase divine est concentré dans la figure de l’ex-comique! Ce n’est pas une question, mais un constat qui soulève quelques questions existentielles sur notre identité et celle de l’Occident.

Un jour Volodymyr réprimande le Pape par l’intermédiaire de son ambassadeur parce que François a osé inclure une jeune fille russe dans la Via Crucis, un autre jour, il proscrit – pour toujours? – tout parti autre que le sien, interdit aux minorités de parler leur langue maternelle, et encore moins de l’enseigner dans les écoles. Pas seulement les citoyens ukrainiens russophones, mais même les Roumains de Bessarabie : il ne s’agit pas d’une riposte contre Poutine, mais d’une forme de nettoyage ethnique. L’Europe acquiesce. Et en particulier le PPE, dont il semble que le parti fondateur ait inscrit « Libertas » sur son blason, fait coïncider l’Ukraine avec le corps et l’esprit de son président, et fait sienne la très curieuse idée de liberté de Volodymyr, en bâillonnant Berlusconi. Qui, avec discipline et loyauté [?!!], a voté et fait voter ses députés en faveur de l’envoi d’armes à l’Ukraine ! Pas une défection.

La loyauté ne suffit pas, il faut la conformité et des thuriféraires.

Nous découvrons qu’il ne suffit pas d’être avec l’OTAN, la loyauté ne suffit pas, il faut conformer ses pensées à celles de von der Leyen et de Stoltenberg, mais contrairement à eux, nous Italiens sommes même priés d’agiter l’encensoir autour du buste de Zelensky. Qui prétend gagner, en sacrifiant « jusqu’au dernier Ukrainien », mais qui fait tout pour impliquer directement les pays européens, et malheur à eux s’ils lui opposent des « non » justifiés, afin de chercher des voies « inexplorées » (dixit François) vers la diplomatie et la paix. Après tout, cela a toujours été la spécialité de Berlusconi, et les paroles de dimanche sont sa manière de rétablir un dialogue à sa façon avec Poutine, et de pousser Biden à « acheter » le oui de Zelensky aux pourparlers de paix avec la garantie d’une très riche corne d’abondance, un plan Marshall à la sauce ukrainienne.

Silvio a toujours insisté pour condamner l’invasion, se rappelant que l’OTAN et Kiev n’étaient pas, avant ce fatidique 24 février 2022, le Petit Chaperon Rouge et la Bonne petite grand-mère. Dimanche, il a dressé de Zelensky un portrait un peu trop coloré, le traitant comme un clown sinistre, un ennemi de son propre peuple. Mais le penser et le dire n’est pas une connivence avec l’ennemi, d’autant qu’il interprète les sentiments inquiets de beaucoup, notamment de nos généraux les plus intelligents, et des hommes d’affaires qui se taisent pour ne pas être boycottés dans l’anglosphère.

Zelensky est un guerrier indomptable [?], et la cause de sa nation est juste [?], mais ce n’est pas comme s’il pouvait aussi diriger nos pensées. Aucun homme ne peut prétendre s’identifier à la Vérité et au Bien. Le pauvre finit par le croire, d’autant plus que celui qui ose souligner ses erreurs est chassé de chez lui et marqué du sceau de l’infamie.

Et pourtant, nous en sommes là. Qui a élevé l’homme de Kiev au-dessus de la critique ? Il doit y avoir un intérêt énorme et tacite pour qu’un Weber ose d’un coup de pied négligeant jeter à la poubelle le leader incontesté du sommet de Pratica di Mare (2002) [sommet de l’Otan qui actait la création d’un conseil OTAN-Russie] et du G8 de L’Aquila (2009) [auquel participait la Russie], presque comme s’il s’agissait d’une caricature mal faite. Même Biden et ses généraux (surtout eux, qui connaissent la matière) sont fatigués de se plier à une volonté de guerre indéfinie. Il y en a qui ont intérêt à la faire traîner au-delà du concevable : en Russie bien sûr, mais aussi du côté de l’OTAN. Ce sont les acrobates du hasard. Mais le bon sens dit le contraire.

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