Nous avons déjà beaucoup parlé de cette affaire sordide mettant en scène un jésuite, accessoirement artiste, protégé du Pape, qui s’est livré à des actes inqualifiables en usant de sa position de prêtre, qui a commis un péché gravissime au regard du droit canon, et dont pourtant l’excommunication (automatique, compte tenu du délit) a été levée mystérieusement par un « quelqu’un » mystérieux… qui ne peut être que le Chef de l’Eglise (lequel élude toutes les questions, et pourtant, Dieu sait qu’il n’est pas avare d’interviews), et qui poursuit ses activités comme si de rien n’était.
Alors que certains, qui ont tout intérêt à rester discrets, prétendent qu’on en parle trop [1] Riccardo Cascioli explique pourquoi il faut continuer à parler de cette affaire gravissime, car ce qu’elle met en jeu va bien au-delà des faits reprochés au jésuite, aussi graves soient-ils; il en va de la crédibilité – et donc de la survie, au moins en tant qu’institution humaine – de l’Eglise.

Pourquoi il faut insister sur le scandale Rupnik

Riccardo Cascioli
lanuovabq.it/it/ecco-perche-si-deve-insistere-sullo-scandalo-rupnik
22 février 2022

Ce n’est pas le péché du prêtre-artiste qui nous révolte, aussi grave soit-il. Nous sommes en revanche indignés par le système et le réseau de dissimulations qui ont non seulement permis 30 ans d’abus, mais qui continuent à protéger et à dissimuler.

Pourquoi insister autant sur le cas Rupnik ? Désir de s’acharner sur un pécheur, sans aucune pitié, une fois que son péché a été mis en lumière ? Recherche d’un bouc émissaire sur lequel concentrer l’indignation pour toutes les fautes des prêtres et religieux abuseurs ?

Nullement. Le vrai problème, c’est le système et les personnes qui non seulement ont permis que cela se produise, mais qui continuent à manipuler les faits, à créer des diversions, à éluder les questions, afin d’atteindre un double objectif : punir le plus légèrement possible le protagoniste de l’affaire et maintenir intact le système de corruption et de clientélisme qui l’a couvert pendant 30 ans (le document publié le 21 février par les jésuites précise expressément que les abus ont été commis des années 1980 à 2018). Exactement comme cela s’est déjà produit dans le cas de l’ancien cardinal Theodore McCarrick : il a payé (avec un retard coupable) en étant réduit à l’état laïc, mais ceux qui l’ont protégé pendant tant d’années ou ont été complices non seulement sont restés en place mais ont même fait carrière.

Dans le cas du père Marko Rupnik, le scandale est encore plus grand, précisément en raison du rôle que le jésuite slovène a joué au cours de ces décennies : ses œuvres artistiques dispersées dans un grand nombre d’églises et de sanctuaires, sa prédication et sa direction spirituelle inlassables, ainsi que sa présence à Rome et sa fréquentation assidue des plus hautes sphères du Vatican.

Un scandale qui démasque l’hypocrisie, voire l’instrumentalisation, de certains slogans sur la tolérance zéro pour les abus sexuels et l’appel à une plus grande transparence, réitérés par le pape François lors de la conférence de presse dans l’avion qui le ramenait d’Afrique, tout en rebattant malheureusement les cartes dans l’affaire Rupnik. C’est une attitude éhontée qui mortifie et humilie les victimes, qui plonge dans la confusion ceux qui ont suivi le Père Rupnik comme enseignant au fil des années, et qui ne peut qu’affliger les fidèles qui voient ainsi interrompu ce chemin de purification que pourtant le Cardinal Ratzinger-Pape Benoît XVI avait effectivement mis en marche dans l’Eglise.

Non, ce n’est pas le péché d’un prêtre célèbre et puissant qui nous bouleverse, aussi grave soit-il. Nous sommes tous pécheurs et nous savons que certaines choses peuvent malheureusement arriver. Le mal est une réalité et nous ne pensons certainement pas que l’Église est ou devrait être une société de parfaits. Mais nous sommes indignés par le château de mensonges que nous colportent ceux qui sont en position de juger et de pourvoir au bien des victimes, du prêtre abuseur lui-même, et des fidèles à qui il ne faut pas donner l’occasion de se scandaliser. Nous sommes indignés que ceux qui, pendant des décennies, se sont complus dans les perversions du pécheur, s’érigent maintenant en juges miséricordieux et attentifs au bien du pécheur : eux aussi devraient être du côté de l’accusé, et certainement pas du côté du procureur. Et nous sommes indignés que ceux qui ont fait passer dans l’Église l’idée que les abus sont le fruit du cléricalisme (une ligne d’ailleurs contestée par Benoît XVI) soient aujourd’hui l’exemple le plus frappant du pire cléricalisme et des abus de pouvoir.

Mensonges, disions-nous : il suffit de lire attentivement le communiqué des jésuites d’hier. Ils parlent comme si c’était la première enquête menée sur le père Rupnik, comme si les accusations précédentes, abandonnées en raison de la prescription, et l’excommunication imposée puis levée en un temps record dans des circonstances qui n’ont jamais été clarifiées, n’existaient pas et ne constituaient pas un problème. Les dirigeants jésuites sont tellement conscients du mensonge qu’ils ont évité une conférence de presse en confiant des déclarations pilotées à deux journaux, Repubblica et Associated Press [curieux choix, quand on connaît leur orientation], pour éviter les questions gênantes. Le général des jésuites, le père Arturo Sosa, avait déclaré en décembre que l’excommunication avait été levée parce que le père Rupnik s’était repenti (même si cela était vrai, il s’agissait tout de même d’une procédure pour le moins singulière). Nous apprenons maintenant que Rupnik ne s’est non seulement jamais repenti, mais qu’il a également refusé de répondre à ses confrères qui ont enquêté sur les plaintes déposées contre lui.

Nous revenons donc à la question que nous posons depuis trois mois : que s’est-il réellement passé avec l’excommunication, certainement infligée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et que seul le Pape pouvait lever ? Le communiqué de la Compagnie de Jésus montre clairement quelle est la stratégie : infliger une sorte de sanction au Père Rupnik, en veillant à ce que tout reste fermé et soit résolu au sein de l’ordre jésuite, évitant ainsi des explications embarrassantes de la part de deux autres jésuites, le préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Monseigneur Luis Francisco Ladaria, et le Pape François.

Ce faisant, ils se croient habiles, mais au contraire, ils ne font que perdre leur crédibilité et blesser l’Église, la rendant encore plus vulnérable à ceux qui voudraient la détruire.

Ndt

[1] Toutes proportions gardées, et avec les adaptations nécessaires, on pense à l’affaire Palmade, où le rôle de l’Eglise serait joué par le monde médiatico-politique: même hypocrisie, même solidarité d’un « système » pour camoufler une chaîne de scandales tout en prétendant lutter contre un fléau… Et même insistance de certains à dire qu’on en parle trop.

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