Les dix ans du pontificat approchent, les journalistes adorent les anniversaires (d’autant plus quand il s’agit de chiffres « ronds »). et les bilans, et on peut parier que les articles sur ce sujet vont se multiplier dans les prochains jours. L’un des premiers est surtout intéressant parce qu’il est paru sur « Il Sismografo », et porte une double signature dont celle du chilien Luis Badilla (voir Annexe). Disons que dans ce cas, le nom de l’auteur est aussi intéressant que le contenu, et il faut les mettre en perspective pour comprendre.
Ces derniers temps, on l’a vu de plus en plus critique, et le portrait qu’il dresse ici d’un pape atrabilaire quand il n’est pas sous l’œil des caméras prouve que les prétendus « anti-bergogliens » ne colportent pas de ragots au nom de leurs préjugés (comme on les en a longtemps accusés) mais énoncent seulement des faits qui aujourd’hui sont sous les yeux de tous.

Les deux papes : le pape François et le pape Bergoglio. Crise, renouveau ou déclin ?

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Comment faire le bilan des dix années d’un Pontife souvent illisible et indéchiffrable ? Comment interpréter les nombreux silences et ambiguïtés en dehors du circuit médiatique ? D’où partir pour ne pas perdre le chemin de la plus grande vérité possible comme l’enseigne la doctrine catholique ?

Faire le bilan des 10 ans de pontificat, le prochain anniversaire (lundi 13 mars), est un défi exigeant car il faut avant tout faire la synthèse d’innombrables, de milliers d’événements, de textes et de gestes, très complexes et contradictoires. Pour l’instant, nous ne parlons que de ce qui est public et vérifiable. Un jour, dans un avenir lointain, apparaîtront des événements et des textes du Magistère qui sont ignorés aujourd’hui |???]. Les historiens se chargeront donc de cette tâche très exigeante. Aujourd’hui, nous ne pouvons que chroniquer, raconter, un magistère pontifical vécu de près, connaissant beaucoup de nouveautés, de surprises, mais aussi pas mal de perplexités et de doutes.

Entre l’Église de 2013 et celle d’aujourd’hui, il y a des différences, mais pour la plus part, ces différences concernent l’exercice du ministère pétrinien.

C’est la véritable nouveauté de cette décennie, car sinon, les problèmes et les limites, les attentes et les inconnues qui existaient déjà au moment de la démission de Benoît XVI sont toujours là, comme avant.

En revanche, entre-temps, de nouveaux problèmes sont apparus, dont certains très délicats, au point de montrer un horizon de l’Église plein d’inconnues, parfois très sombre.

Ces dix années ne sont pas faciles à lire. Dans de nombreux passages, la papauté est illisible. En Argentine, on dit du pape François, en référence à cette difficulté, que l’archevêque émérite de Buenos Aires « met le clignotant à gauche mais tourne à droite et vice versa ». À Rome, à la Curie, on dit en termes moins tranchants : « c’est une personne très imprévisible » [on ne dit pas QUE cela!!].

Le charme rompu

Dix ans après le début du pontificat, l’Église est clairement confrontée à deux papes : d’une part le pape François et d’autre part le pape Bergoglio. Tout bilan, sévère et véridique, non apologétique, non propagandiste, aussi équilibré que possible, doit tenir compte de cette réalité complexe qui a fortement secoué le gouvernement de l’Église catholique au cours des cinq dernières années.

Le Pontife a reproposé pour le sommet de l’Église un modèle monarchique de fer, et même dans les plus infimes choses, il a glissé son profil personnel autoritaire, décisionniste et péremptoire, connu depuis des décennies.

Pourquoi avons-nous dit « au cours des cinq dernières années » ?

Parce que la rupture du charme bergoglien a commencé au Chili, en janvier 2018, lors d’un voyage dévastateur. Il a trouvé un pays qui n’était pas comme il le pensait, ayant choisi de croire ses plus hauts informateurs sur le terrain [donc, sans doute, pas Badilla]. Et il s’est donc trompé dans les grandes largeurs dans son approche du drame de la pédophilie, au point d’aller jusqu’à demander publiquement aux victimes de « présenter les preuves ». Après la visite au Chili, mais aussi dans d’autres pays d’Amérique latine, tout s’est terriblement compliqué pour le pape, au point qu’il n’est jamais retourné dans la région, sauf pour les JMJ/2019 à Panama.

Le pape médiatique et le pape souverain

Chaque jour durant ces cinq années, on a vu de façon de plus en plus évidente la césure du pontificat, la cohabitation de deux papes : François et Bergoglio

  • Le premier est un pape médiatique, très « gonflé » par une certaine presse et des cercles journalistiques spécifiques, mais toujours un grand leader populaire, avec un charisme remarquable sur la place publique, même si c’était au service de l’Évangile, fier de faire de la politique. Dans ce contexte, tout bilan, même des « anti-Bergoglio », sera nécessairement formidable. Et c’est vrai.
  • Le second est un pape souverain, homme de gouvernement par excellence, détenteur de tous les pouvoirs, très enclin à la raison d’État, autoréférentiel et en défense permanente contre les loups qui assiègent le trône et les complots des courtisans. Depuis sa forteresse de Santa Marta, il contrôle tout, tandis qu’au Vatican, pas une feuille ne bouge sans son consentement.

Ce ne sont pas des réalités totalement superposées. Parfois, elles coïncident. Souvent, par contre, elles sont différentes, et même une figure finit par contredire l’autre, précisément parce que le Souverain Pontife François n’est pas toujours en phase avec le Souverain Pontife Bergoglio.

La douceur, l’affabilité et le génie communicatif de François ne correspondent pas toujours à la façon dont il agit, légifère, donne des ordres et utilise les instruments du pouvoir.

Un bilan sérieux et honnête de ces dix années devrait aborder cette double réalité, sinon il ne serait pas possible d’appréhender l’ensemble du pontificat avec équilibre dans la vérité.


Annexe

Qui est Luis Badilla?

En 2016, Sandro Magister publiait sur son célébrissime blog « Chiesa » un portrait de Luis Badilla. Il vaut la peine d’être relu:

« Il Sismografo » ne figure pas parmi les moyens de communication officiels du Saint-Siège, mais il est une émanation de celui-ci. Il est dirigé et réalisé par des journalistes de Radio Vatican et il est supervisé de la secrétairerie d’état, au moins jusqu’au moment où cette responsabilité passera au nouveau secrétariat pour la communication présidé par Mgr Dario Viganò, qui était précédemment le directeur du Centre Télévisé du Vatican.
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La raison d’être du « Sismografo » est de republier, à jet continu, le texte intégral des articles concernant le pape et le Saint-Siège qui paraissent dans les médias du monde entier, que ceux-ci soient catholiques ou non, à raison de plusieurs dizaines chaque jour, dans différentes langues : italien, anglais, français, espagnol, portugais.
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Le tout était publié, il y a quelque temps encore, sans commentaires, même lorsqu’il s’agissait d’articles très critiques à l’égard de l’actuel pontificat.
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Mais, depuis quelques mois, les choses ont changé. Luis Badilla Morales, le principal responsable du site, intervient de plus en plus fréquemment par des interventions qu’il signe et qui sont loin d’être neutres.

Badilla est chilien, et à la suite du coup d’état de 1973 [coup d’état de Pinochet, qui a renversé Salvador Allende, lequel s’est ensuite suicidé], il a émigré, en tant qu’exilé, en Europe. Cela fait de nombreuses années qu’il travaille à Radio Vatican. Il dirige « Il Sismografo » depuis le début et il est également omniprésent, depuis quelques mois, sur TV 2000, la chaîne de télévision de la conférence des évêques d’Italie.

Les interventions de Badilla sur « Il Sismografo » ont été particulièrement fréquentes pendant le synode du mois d’octobre dernier. Et très engagées.

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Le fait qu’un site semi-officiel tel qu’ « Il Sismografo », dont la raison d’être constitutive devrait être l’impartialité, se compromette aujourd’hui par des sorties partisanes, est un point qui sera certainement examiné, dans le cadre de la réorganisation des moyens d’information du Vatican qui est actuellement en cours.

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http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/135121175af.html?fr=y

La réorganisation a eu lieu, et Badilla n’est pas dans l’organigramme

Ceci explique peut-être cela…

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