Après ses propos scandaleux reproduits la semaine dernière par le journal de Matteo Renzi (voir ci-dessous), « Mgr » Paglia se pose en victime et prétend qu’il a été mal compris. C’est tout juste s’il n’attend pas des excuses. Mais The Pillar ne lui laisse rien passer, et décortique minutieusement ses propos, qu’il met en perspective avec le Magistère. Du reste, Paglia n’est pas un novice dans la provocation flirtant avec l’hérésie, et à lire ses arguments, bien tirés par les cheveux, sur le « suicide assisté », on se dit que s’il n’est pas lui-même jésuite, il a bien appris de son maître. Cerise sur le gâteau, et sans remonter loin dans le temps (car il y aurait beaucoup à dire sur son passé à la tête du diocèse de Terni, de 2000 à 2012), le président de la PAV est de nouveaux impliqué dans une affaire… pas très claire. Mais soyons charitable, et accordons lui la présomption d’innocence, en attendant ses explications.

(22 avril 2023)

Qu’a dit l’archevêque Paglia cette fois?

The Pillar

.24 octobre 2022 (Photo Vatican Media)

L’Académie pontificale pour la vie a publié une mise au point lundi, après que son président, l’archevêque Vincenzo Paglia, a prononcé un discours la semaine dernière dans lequel il a paru favorable à des aménagements juridiques pour le suicide assisté.

Dans sa déclaration du 24 avril, l’académie affirme que l’archevêque Paglia

est en pleine conformité avec le magistère de l’Église, [et] réaffirme son « non » à l’euthanasie et au suicide assisté.

La déclaration a été faite en réponse à ce que l’académie a appelé des « interprétations incorrectes » d’un discours que Paglia a prononcé la semaine dernière, dans lequel il a semblé déclarer la dépénalisation du suicide assisté « le plus grand bien commun » possible dans les circonstances politiques actuelles de l’Italie.

Paglia dirige l’académie depuis 2016, quand le pape François a fusionné l’organisme qu’il dirigeait auparavant, le Conseil pontifical pour la famille, avec le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie.

Tout au long de son mandat, les déclarations publiques de l’archevêque se sont révélées être un aimant à controverse, en particulier compte tenu de sa position dans une institution dédiée à « l’étude, l’information et la formation sur les principaux problèmes de la biomédecine et du droit, relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans la relation directe qu’ils ont avec la morale chrétienne et les directives du Magistère de l’Église. »

Alors, qu’a dit l’archevêque cette fois-ci, quel est le contexte, et est-il en « pleine conformité » avec l’enseignement de l’Église ? Explication de « The Pillar »:

Qu’a dit exactement l’archevêque Paglia?

L’archevêque Paglia s’est adressé mercredi dernier au Festival international de journalisme de Pérouse, en prononçant un bref discours dans le cadre d’un débat sur le thème « Le dernier voyage – Vers la fin de la vie ».

Le texte intégral de l’intervention de Paglia a été publié vendredi par le journal italien Il Riformista, sous le titre « L’heure est venue d’une loi sur le suicide assisté », et a ensuite été largement repris par les médias italiens et catholiques au cours du week-end.

À la fin de son discours, l’archevêque Paglia a abordé la question de la dépénalisation du suicide assisté en Italie, à la fois dans le cadre d’une affaire judiciaire en 2019 et d’une initiative législative qui s’en est suivie.

L’archevêque a soutenu la démarche visant à mettre fin aux sanctions pénales pour les suicides assistés commis selon un certain nombre de critères.

Paglia a affirmé:

Il n’est pas exclu que, dans notre société, une médiation juridique soit possible, qui permette le suicide assisté dans les conditions spécifiées par l’arrêt de la Cour constitutionnelle [de 2019].

L’archevêque faisait référence à une décision de justice italienne de 2019 qui appelait à une législation décriminalisant effectivement le suicide assisté dans certains cas.

Paglia a ensuite énuméré les quatre critères spécifiés par l’arrêt de la Cour : 1° la personne doit être maintenue en vie par des traitements de maintien en vie; 2° et diagnostiquée avec une pathologie irréversible ; 3° cette condition doit être une source de souffrance physique ou psychologique qu’elle juge intolérable ; 4° elle est pleinement capable de prendre des décisions libres et éclairées.

L’archevêque a noté qu’un projet de loi visant à faire de la décision de la Cour une loi en Italie avait déjà été approuvé par une chambre du parlement italien en mars de l’année dernière, par une marge de 253-117, bien qu’il soit en attente au sénat italien.

Il a ajouté qu’une loi réglementant le suicide assisté et éliminant la sanction judiciaire de cette pratique pourrait être le meilleur moyen pour l’Italie d’aborder la question.

Paglia a expliqué que « personnellement, il ne pratiquerait pas le suicide assisté, mais il pourrait comprendre que la médiation juridique peut constituer le plus grand bien commun concrètement possible dans les conditions dans lesquelles nous nous trouvons ».

Que dit l’Église ?

L’Église s’est toujours opposée à la pratique de l’euthanasie, qui consiste à tuer un patient parce qu’on estime que c’est dans son intérêt, et à celle du suicide assisté, ou « assistance médicale à mourir », dans laquelle un médecin ou une autre personne aide un patient à mettre fin à ses jours.

Le Catéchisme de l’Église catholique enseigne que

« quels que soient ses motifs et ses moyens, l’euthanasie directe consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes. Elle est moralement inacceptable ».

Elle poursuit en enseignant que

« tout acte ou omission qui, par lui-même ou par intention, provoque la mort pour supprimer la souffrance, constitue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect dû au Dieu vivant, son Créateur ».

« L’erreur de jugement dans laquelle on peut tomber de bonne foi ne change pas la nature de cet acte meurtrier, qui doit toujours être interdit et exclu ».

Sur la question du suicide, le Catéchisme enseigne en outre qu’il est toujours

« en contradiction avec le penchant naturel de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi ».

« C’est Dieu qui reste le maître souverain de la vie »,

« Nous sommes tenus d’accepter la vie avec reconnaissance et de la préserver pour son honneur et le salut de nos âmes. Nous sommes les intendants, et non les propriétaires, de la vie que Dieu nous a confiée. Nous ne pouvons pas en disposer ».

Cependant, le catéchisme aborde les circonstances de fin de vie, en faisant la distinction entre le refus d’un « traitement excessif » pour prolonger la vie et de la souffrance face à une mort sinon imminente, et un acte délibéré pour mettre fin à la vie.

« Le Catéchisme enseigne qu’il peut être légitime d’interrompre des procédures médicales lourdes, dangereuses, extraordinaires ou disproportionnées par rapport au résultat escompté. Dans ce cas, le critère clé est que l’on ne veuille pas provoquer la mort, mais que l’on accepte simplement son incapacité à l’empêcher.

Que dit l’Académie pontificale pour la vie ?

Selon le communiqué publié lundi matin par l’Académie pontificale pour la vie, l’archevêque Paglia,

« en pleine conformité avec le magistère de l’Église, réaffirme son ‘non’ à l’euthanasie et au suicide assisté ».

« Dans sa présentation, dans laquelle il a largement abordé le sujet de la fin de vie, l’archevêque Paglia a mentionné, sans développer à fond, la décision 242/2019 de la Cour constitutionnelle italienne et son contexte italien spécifique ».

L’académie a expliqué que la Cour constitutionnelle italienne a statué en 2019 que l’assistance au suicide est un crime et devrait continuer à être considérée comme un acte criminel, mais que dans certains cas – lorsque les quatre critères décrits par Paglia sont remplis – il ne devrait pas y avoir de peine pour le crime.

Dans ce contexte précis et spécifique, l’archevêque Paglia a expliqué qu’à son avis, une « initiative législative » (certainement pas une initiative morale) pourrait être possible, qui serait cohérente avec la décision [du tribunal] et qui préserverait à la fois la criminalité de l’acte et les conditions dans lesquelles le crime n’est pas sanctionné.

(…)

Pour l’archevêque Paglia, il est important que la décision affirme que la criminalité de l’acte demeure et n’est pas annulée. Tout autre développement est déplacé.

Alors, Paglia a-t-il raison ? Faire du suicide assisté un crime sans châtiment est-il le « plus grand bien commun concrètement possible » ?

Il peut sembler difficile d’argumenter en faveur de l’affirmation de Paglia selon laquelle faire du suicide assisté un crime qui n’en a que le nom est le « plus grand bien commun possible », même dans le contexte spécifique de la décision de la Cour suprême italienne.

Mais l’académie – et d’autres défenseurs de l’intervention de Paglia – soutiennent qu’il est possible de défendre la déclaration de l’archevêque comme une observation strictement pragmatique et utilitaire.

Étant donné que la décision de la Cour appelait une réponse législative à son arrêt, ses partisans ont soutenu que Paglia voulait simplement dire qu’une certaine forme d’accommodement juridique pour le suicide assisté était inévitable, et que le maintien de la criminalité de la pratique, en théorie seulement, était le meilleur résultat que l’on pouvait attendre.

En effet, certains défenseurs du suicide assisté ont critiqué le projet de loi du parlement italien en affirmant qu’il « restreignait » toute la « portée novatrice » de l’arrêt initial de la Cour.

Mais même si c’était ce que Paglia voulait dire, et même s’il avait raison dans son calcul politique, cela ne signifie pas nécessairement que l’acceptation de ce résultat, et encore moins son accueil comme le « plus grand bien commun possible », soit entièrement conforme à ce que l’Église enseigne.

Dans sa note doctrinale de 2002 « Sur certaines questions concernant la participation des catholiques à la vie politique » [cf. Les chrétiens en politique], le Dicastère pour la doctrine de la foi explique qu’il existe des circonstances dans lesquelles « l’activité politique se heurte à des principes moraux qui n’admettent ni exception, ni compromis, ni dérogation », et que les catholiques sont toujours tenus de s’opposer aux lois qui violent « des exigences éthiques fondamentales et inaliénables ».

« C’est le cas des lois concernant l’avortement et l’euthanasie (à ne pas confondre avec la décision de renoncer à des traitements extraordinaires, qui est moralement légitime) », écrit le dicastère.

« Dans cette situation difficile, les catholiques ont le droit et le devoir de rappeler la société à une compréhension plus profonde de la vie humaine et à la responsabilité de chacun à cet égard ».

« Les chrétiens doivent reconnaître que ce qui est en jeu est l’essence de la loi morale, qui concerne le bien intégral de la personne humaine », indique la note doctrinale, citant l’encyclique de saint Jean-Paul II Evangelium vitae sur « l’obligation grave et claire de s’opposer à toute loi qui porte atteinte à la vie humaine ».

Qu’est-ce que Paglia a dit d’autre ?

Alors que les réactions au discours de l’archevêque la semaine dernière se sont principalement concentrées sur le dernier paragraphe de son texte, le président de l’académie a commencé ses remarques par des déclarations qui soulèvent elles-mêmes des questions quant à sa « pleine conformité avec le magistère de l’Église », comme l’affirme l’académie.

Paglia a commencé son discours en disant :

« Tout d’abord, je voudrais souligner que l’Église catholique n’a pas un package de vérités prêt-à-porter, préemballées, comme si elle était un distributeur de pilules de vérité ».

« L’intervention et le témoignage de l’Église, dans la mesure où elle participe elle aussi au débat public, intellectuel, politique et juridique, se placent sur le plan de la culture et du dialogue entre les consciences »

Dans la note doctrinale sur la participation des catholiques à la vie politique, le dicastère de la doctrine de la foi (DDF) du Vatican note que la fonction des voix catholiques dans le débat politique et culturel au sens large n’est pas de servir de point de vue unique dans le dialogue avec les autres lorsqu’il s’agit de questions relatives à la loi morale fondamentale.

Au contraire, écrit le DDF,

« les catholiques, dans cette situation difficile, ont le droit et le devoir de rappeler la société à une compréhension plus profonde de la vie humaine et à la responsabilité de chacun à cet égard ».

« Aucun catholique ne peut faire appel au principe du pluralisme ou à l’autonomie de l’engagement des laïcs dans la vie politique pour soutenir des politiques affectant le bien commun qui compromettent ou sapent les exigences éthiques fondamentales »

écrivait le DDF en 2002.

« Il ne s’agit pas d’une question de ‘valeurs confessionnelles’ en soi, car ces préceptes éthiques sont enracinés dans la nature humaine elle-même et appartiennent à la loi morale naturelle ».

Le paradigme de Paglia

Les commentaires de Paglia sur le suicide assisté ne sont que la dernière controverse impliquant le président de l’Académie pontificale pour la vie.

Pour mémoire…
La fresque « homo-érotique » de la cathédrale de Terni, commandée par Paglia et le représentant dénudé
https://benoit-et-moi.fr/2017/actualite/un-archeveque-tres-border-line.html
https://benoit-et-moi.fr/2017/actualite/un-archeveque-tres-border-line-ii.html

1- En 2019, il s’est également attiré des critiques sur le même sujet, après avoir été interrogé sur les directives des évêques suisses indiquant que les membres du clergé ne devraient pas assister à des décès par suicide assisté.

Paglia a déclaré aux journalistes qu’il pensait qu’il était important de « laisser tomber les règles ».

Tout en qualifiant chaque cas de suicide assisté de « grande défaite », l’archevêque a déclaré qu’il « aimerait retirer l’idéologie de cette situation ».

En ce sens, accompagner, tenir la main de quelqu’un qui est en train de mourir est, je pense, un grand devoir que chaque croyant devrait promouvoir.

2- En août de l’année dernière, Paglia a provoqué une tempête médiatique similaire en déclarant à un journaliste italien que la loi (loi 194, ndt) de 1978 dépénalisant l’avortement est un « pilier » de la « vie sociale » italienne et n’est « absolument pas » sujette à discussion dans le pays.

Face aux critiques catholiques suscitées par cette remarque, le porte-parole de l’académie pontificale a affirmé que Paglia ne faisait pas l’éloge de la loi italienne sur l’avortement, mais qu’il ne faisait qu’énoncer un fait concernant la position bien ancrée de l’avortement dans la société et le droit italiens.

3- Paglia, et l’académie elle-même, ont également été la cible de l’attention des médias l’année dernière, quand l’archevêque et l’institution ont passé des mois à promouvoir un livre, « Theological Ethics of Life », qui, selon Paglia, est destiné à « introduire un changement de paradigme » dans la discussion théologique de l’Église sur la sexualité et la contraception.

Dans une série de déclarations publiées sur Twitter, l’académie a défendu le livre et répondu aux critiques selon lesquelles il s’agirait d’une tentative de subversion de l’articulation de la morale de la loi naturelle de l’Église sur les questions de vie, contenue dans l’encyclique papale Humanae vitae.

« Ce qui est une dissidence aujourd’hui peut changer »,

a affirmé l’académie via son compte officiel.

« Ce n’est pas du relativisme, c’est la dynamique de la compréhension des phénomènes et de la science : le Soleil ne tourne pas autour de la Terre. Sinon, il n’y aurait pas de progrès et tout serait immobile. Même en théologie. Pensez-y. »

« La question de la vie ne consiste pas à prendre des positions fondamentalistes avec idéologie, mais à ouvrir le débat au sein de la communauté des théologiens moraux »

Ces derniers mois, Paglia a également été sous les feux des projecteurs à la suite d’informations selon lesquelles il aurait détourné des centaines de milliers d’euros de dons reçus par le Conseil pontifical pour la famille qu’il dirigeait.

En décembre, The Pillar a rapporté que les fonds, initialement alloués pour soutenir des œuvres missionnaires et caritatives, ont été utilisés pour financer des projets de construction à Rome, y compris la rénovation de l’appartement personnel de Paglia.

Des fonctionnaires du Vatican ont dit au Pillar que, dans un mémo de mai 2015, Paglia a affirmé avoir remplacé l’argent qu’il avait détourné de ses objectifs caritatifs. Mais des sources ont précisé que si 600 000 euros avaient été transférés sur le compte concerné, ils provenaient de nouveaux dons collectés par le Conseil pontifical, et non de Paglia.

Après avoir initialement refusé tout commentaire, Paglia a par la suite nié avoir utilisé des fonds caritatifs pour des dépenses personnelles et son secrétaire a déclaré à The Pillar par courrier électronique que l’archevêque « a chargé un avocat basé aux États-Unis d’engager une action en justice contre votre journal pour la grave diffamation représentée par une partie de vos écrits ».

À ce jour, aucune communication de l’avocat de Paglia n’a été reçue et The Pillar maintient l’intégralité de son article original.

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