Dans sa dernière chronique hebdomadaire en anglais, Andrea Gagliarducci illustre la méthode de gouvernement du Pape à travers le dernier rescrit en date, réformant la charge d’auditeur général. C’est assez technique, et cela pourrait facilement passer pour une affaire d’initiés, mais en réalité, nous dit le vaticaniste, cela dit beaucoup sur le pontificat. En particulier, il n’y a pas de Réforme globale, mais une multitude de petites réformes au coup par coup, qui, mises bout à bout, sont censées apporter une nouvelle mentalité ecclésiale mais dont on n’a aucune certitude qu’elles dureront dans le temps.

Pape François, les réformes au coup par coup

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-piecemeal-reforms

Encore un rescrit du pape François. Le 24 mai dernier, le pape a réformé la charge de l’Auditeur général [ndt: chargé de vérifier les états financiers du Saint-Siège et de l’État de la Cité du Vatican] , en établissant que ses fonctions se poursuivent même pendant la sede vacante. Dans la pratique, tous les chefs de dicastère cessent donc leurs fonctions, à l’exception du vicaire du pape pour le diocèse de Rome, du Camerlingue, et de l’Auditeur général.

Il était prévisible que certaines modifications de la sede vacante seraient nécessaires, car la réforme de la Curie avait supprimé la Chambre apostolique, qui administrait le patrimoine du Saint-Siège en période de sede vacante. Il y avait donc une série de fonctions à réorganiser ou à redéfinir.

Mais le fait que cela se produise, une fois de plus, avec un rescrit est révélateur du modus operandi du pape François.

Deux caractéristiques sont à souligner : la première est la soudaine précipitation avec laquelle les réformes sont menées, une urgence qui entraîne ensuite la nécessité de procéder à de nouveaux changements ; la seconde est le fait qu’il ne semble pas y avoir de plan clair sur la manière dont ces réformes sont promulguées et menées, à moins que le plan ne soit plus simple qu’on ne le pense, et qu’il s’agisse du plan de déconstruction de la Curie romaine.

Ces deux hypothèses ne s’excluent pas mutuellement. Elles se complètent et laissent de nombreuses interrogations sur la manière dont le pape François a décidé de réformer l’Église.

Que dit le nouveau rescrit ?

Tout d’abord, étant donné que l’administration ordinaire n’est pas interrompue pendant la sede vacante, et que la charge d’Auditeur général ne prévoit pas la fonction de secrétaire, alors c’est cette même charge qui continue d’exercer la fonction de contrôle de l’administration ordinaire, sous la supervision du cardinal camerlingue.

Mais ce n’est pas tout. Le statut de l’Auditeur général prévoit que celui-ci « analyse les informations et les présente avec un rapport à une commission spéciale composée du conseiller pour les affaires générales du Secrétariat d’État, du prélat secrétaire du Conseil pour l’économie et du secrétaire du Secrétariat pour l’économie ».

La commission est le Comité de sécurité financière établi avec la réforme de la loi anti-blanchiment du Vatican d’août 2013. Un Comité de sécurité financière a été exigé précisément par les organisations internationales, qui ont demandé au Pape le type de transparence qui ne pouvait être obtenu qu’en ayant un comité qui pourrait assurer, même au niveau mondial, le contrôle du gouvernement sur les questions de lutte contre le blanchiment d’argent.

Aujourd’hui, tout a changé. L’Auditeur général examine les rapports et « les présente avec un rapport au préfet du Secrétariat à l’économie et, s’il l’estime nécessaire, également au cardinal coordinateur du Conseil de l’économie ».

Une fois de plus, comme cela s’est déjà produit avec la nouvelle loi fondamentale de l’État de la Cité du Vatican, la Secrétairerie d’État est complètement exclue. Seuls comptent les organismes fondés par le Pape, qui acquièrent une nouvelle centralité et qui, en fin de compte, restent les seuls à garder le contrôle.

En bref, il n’y a pas seulement une centralisation entre les mains du pape. Il y a une centralisation des nouveaux organes de la réforme de la Curie. Ce choix semble signifier que le pape François veut donner un signe clair de discontinuité.

Ce raisonnement semble assez technique. Mais en fin de compte, il ne l’est pas, car il dit plusieurs choses sur le pape et le pontificat.

La première chose est que le Pape François ne fait pas de réformes globales. Il a parlé à plusieurs reprises de réformes en cours. Lorsqu’il a publié la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, un peu à l’improviste, il l’a fait en sachant que la nouvelle constitution n’était pas prête à être publiée. Il s’agissait d’un coup d’État [en français dans le texte], qui nécessitait toutefois d’autres ajustements. Les rescrits et le motu proprio du pape démontrent que la loi n’était pas globale, mais qu’elle servait uniquement à faire valoir un point de vue. Après tout, les dicastères du Vatican devaient être réorganisés.

En second lieu, les décisions du pape semblent dictées par la logique de la démonstration d’un engagement continu plutôt que par celle de la garantie de la continuité. La réforme de la Curie marquait déjà une forte discontinuité avec la gestion précédente. Or, les bureaux de la Curie n’ont pas toujours reçu des règles d’engagement claires. De nombreux fonctionnaires sont partis parce qu’ils ne se sentaient plus à l’aise. Ceux qui sont restés ne savent souvent pas jusqu’où ils peuvent repousser leurs limites.

C’est une situation qui est à l’opposé de ce que souhaiterait le pape François car elle est très cléricale. Personne ne veut prendre de responsabilités ou de risques. Or, le cléricalisme s’étend d’autant plus que le Pape est absent car il ne joue pas le rôle de garant de l’unité de l’Eglise. Face à cette absence croissante, les fonctionnaires du Vatican tentent de combler le vide du mieux qu’ils peuvent. Ils le font en évitant soigneusement de prendre des risques, peut-être en pensant à une nouvelle destination ou, plus simplement, pour ne pas déplaire au Pape.

La troisième chose est une certaine précipitation dans les réformes. Le pape François n’a pas le temps de créer des commissions comme au début de son pontificat. Aussi, lorsqu’il s’agit de certaines situations, il procède directement à leur mise à jour sans consulter personne. Non pas que le pape doive nécessairement prévenir. Mais il est vrai aussi que s’il ne le fait pas, il y aura des problèmes de gestion du pouvoir et des tâches.

Enfin, il est désormais clair que les réformes du pape François sont fragmentaires. Il n’y a pas de réforme globale et complète, mais de nombreuses réformes mineures qui conduiront, espère-t-il, à une nouvelle mentalité ecclésiale. La vérité, cependant, est que les réformes fragmentaires sont difficiles à porter dans l’avenir ; elles ont leur propre vie, et ce qui s’est passé hier n’est pas nécessairement présent dans les mémoires aujourd’hui.

Le travail de réforme récent et massif du pape François semble se résumer à ces quatre lignes directrices. La vraie question est de savoir si ces réformes resteront ou si elles sont dramatiquement liées à la seule personne du Pape François.

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