Ce n’est pas tant la médiocre compétence théologique et la flagrante hétérodoxie du nouveau gardien de la foi qui intéresse ici Andrea Gagliarducci dans sa chronique hebdomadaire en anglais, ni même (et pourtant, c’est du lourd!) la lettre de mission du Pape à son protégé, mais la volonté de François de mettre en place des hommes à sa botte pour « mener » l’Eglise durant cette dernière phase de son pontificat, et même après: bref, à travers des nominations faites « à l’arrache », de « blinder » son héritage (ce qui correspond précisément à la mission que lui avait confiée la fameuse mafia de St-Gall)

En passant, on peut soupçonner que la notice biographique de Tucho, en particulier l’abondante bibliographie – soigneusement expurgée du plus gênant, comme son immortel essai sur l’art du baiser – et même la lettre du pape, font partie d’un package reçu très quel par la Salle de presse du Vatican. De quoi voir dans la nomination la « longue main » de Tucho lui-même

Le pape François et la course pour mettre son héritage en sûreté

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com

La nouvelle n’est pas la nomination de son théologien de confiance comme préfet du Département de la doctrine de la foi. Bien que les rumeurs récentes aient davantage porté sur la possibilité qu’un Allemand comme Mgr Wilmer prenne le siège de gardien de la Doctrine de la Foi, le nom de Victor Fernandez a toujours figuré parmi les candidats possibles à la tête de l’ancien Saint-Office.

Mais la vraie nouvelle est la lettre, en espagnol, avec laquelle le pape François accompagne la nomination.

Dans le même temps, le bulletin du Bureau de presse du Saint-Siège ne manque pas de s’attarder sur la liste des publications du nouveau préfet, allant même, de manière un brin rituelle, jusqu’à souligner:

« Entre livres et articles scientifiques, il a plus de 300 publications, dont beaucoup ont été traduites en divers langages. Ces écrits témoignent d’une base biblique importante et d’un effort constant de dialogue entre théologie et culture, mission évangélisatrice, spiritualité et questions sociales ».

Ce n’est certainement pas le style d’un communiqué de presse du Bureau de presse du Saint-Siège. C’est comme si quelqu’un devait justifier la nomination, ou l’accréditer auprès d’un public plus large. Le Bureau de presse du Saint-Siège semble avoir reçu tout ce qui était déjà emballé, y compris la lettre d’accompagnement du Pape, publiée en espagnol et sans aucune traduction de travail.

Mais c’est la lettre qui est au cœur de l’affaire. Car dans cette lettre, on retrouve toute l’intention du pape François de définir un changement de cap pour l’Église, en concluant un chemin qui l’avait vu, il y a dix ans, nommer Fernandez archevêque alors qu’il était encore recteur de l’Université catholique de Buenos Aires. Une nomination qui devait être un signal car l’archevêque de Buenos Aires Bergoglio s’était battu pour que Fernandez soit recteur contre l’avis de la Congrégation de l’éducation catholique, et notamment de son secrétaire de l’époque, Mgr Brugués. Le pape François a nommé ce dernier bibliothécaire de la Sainte Église romaine, mais ne l’a jamais créé cardinal, l’envoyant à la retraite en tant qu’archevêque.

La nomination de Mgr Fernandez au poste de préfet de la doctrine de la foi vient clore un parcours de dix ans, au cours duquel Mgr Fernandez a toujours été en arrière-plan: il est considéré comme le « ghostwriter » d’Evangelii Gaudium, l’exhortation programmatique du pape François, et d’Amoris Laetitia, conclusion de deux synodes de la famille au cours desquels Mgr Fernandez a fait pression en faveur d’un texte qui était certainement plus ouvert que l’exhortation proprement dite.

D’une certaine manière, cette nomination est révélatrice de la pensée du Pape. En effet, dans sa lettre, le pape souligne que le dicastère « à d’autres époques en est venu à utiliser des méthodes immorales », avec lesquelles « au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on persécutait les erreurs doctrinales potentielles ».

On peut se demander à quelles autres époques le pape François pense, car ces mots sonnent aussi comme un réquisitoire contre des décisions récentes. Pourtant, si l’on pense à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de ces dernières années, et en particulier à celle dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger, on pense à l’une des Congrégations aux méthodes les plus synodales possibles : les réunions de feria quarta [car elles avaient traditionnellement lieu le quatrième jour de la semaine, le mercredi, ndt], les discussions constantes avant d’arriver à des avertissements doctrinaux, la décision, si l’on va à l’encontre d’une ligne théologique particulière ou si l’on corrige une erreur, de toujours travailler dans le positif, jamais dans le négatif. Et fondamentalement, la Congrégation a élaboré deux documents sur la Théologie de la Libération, deux instructions qui, l’une, mettait en évidence ses aspects positifs et l’autre, ses dérives négatives.

L’Église du passé récent, somme toute, n’était pas sans pitié. Benoît XVI soulignait que « le nom de Dieu est miséricorde ». Mais c’est aussi Benoît XVI qui écrivait, dans sa lettre aux catholiques d’Irlande en 2010, que le danger était de perdre le sens du péché et l’importance de l’éducation chrétienne, ce qui conduisait à des abus. Bref, une recherche d’équilibre.

Ce pontificat semble être constitué de deux pendules opposées. D’un côté, le pendule qui penche désormais totalement vers l’idée d’une miséricorde absolue ; de l’autre, le pendule qui, au sujet des abus dans l’Église, a embrassé la ligne de la tolérance zéro absolue. Et d’un côté, il y a le balancier qui vise à la synodalité totale ; de l’autre, une centralisation des décisions du pape qui, en fin de compte, fait de l’Église une monarchie plus absolue que jamais.

Dans la lettre, le Pape ne manque pas de rappeler la réforme de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de février 2022. Auparavant, la Congrégation était composée de quatre bureaux : disciplinaire, doctrinal, matrimonial, et de la quatrième section. Cette dernière avait pour mission de suivre la question des relations avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et l’application du motu proprio « Summorum Pontificum », et n’avait plus de raison d’être après le motu proprio « Traditionis Custodes », qui a révoqué les concessions de Benoît XVI à l’usage de l’ancien rite.

Avec la réforme, l’ancienne CDF comprend deux sections, l’une disciplinaire et l’autre doctrinale, avec deux secrétaires : Mgr Joseph Kennedy pour la section disciplinaire et Mgr Armando Matteo pour la section doctrinale. Ainsi, le profil managérial de la Congrégation semble s’être renforcé, avec une structure plus hiérarchisée et une répartition plus précise des compétences.

Il est vrai aussi que les quatre bureaux, en travaillant de manière synchrone, mettaient en évidence une véritable collégialité dans la prise de décision et créaient des spécialistes dans des sujets spécifiques. Les questions doctrinales sont toujours restées à l’arrière-plan de toute décision. Si le pape veut que le préfet « veille sur la foi » mais ne condamne plus, le risque demeure que l’élément disciplinaire l’emporte sur l’élément doctrinal. En pratique, on risque de sanctionner les abus sans pouvoir travailler à partir des questions de foi. Il y a comme une séparation entre la foi et la vie, caractérisée par le fait que – écrit le pape dans sa lettre à Fernandez – les idées qui ne partent pas de la toute-puissance de Dieu et de sa miséricorde sont inadéquates.

Dans cette lettre, on trouve pleinement l’héritage du pape François qui, dans la pratique, force la main, imposant sa vision du monde par des mesures décisives et parfois même dures. Cela s’est produit lorsqu’il a dû intervenir dans l’Ordre de Malte, lorsqu’il est aussi intervenu dans le déroulement des processus de l’État du Vatican, également lorsqu’en 2017 il a envoyé une lettre aux évêques argentins sur l’interprétation d’Amoris Laetitia et a voulu qu’elle soit publiée dans les Acta Apostolicae Sedis, en donnant du crédit et en indiquant une voie, et maintenant lorsqu’il intervient sur la façon dont le préfet de la Doctrine de la Foi devrait mener à bien sa mission.

Mais cette nomination, qui est intervenue presque soudainement, témoigne également de la hâte du pape à mettre en sûreté son héritage. Matteo Matzuzzi, dans le journal italien Il Foglio, note que le pape procède à une série de nominations de jeunes évêques à des postes critiques, qui peuvent rester en fonction pendant au moins vingt ans [cf. François verrouille… l’après-François]. C’est le cas du nouvel archevêque de Madrid, José Cobo Cano, ou du nouvel archevêque de Bruxelles, Luc Terlinden, et du nouvel archevêque de Buenos Aires, Josè Ignacio Garcìa Cueva, pour ne citer que trois des exemples les plus récents.

Et puis, il y a la volonté du Pape de donner un titre à ses collaborateurs directs. Un trait essentiel est qu’il fait évêques tous ceux qu’il nomme à la tête de commissions qu’il juge financières. Il nomme Diego Ravelli, maître de cérémonie pontifical, archevêque et légat papal de la basilique St Antoine de Padoue. Il en a été de même pour la basilique papale de Sainte Marie Mejeure, dont le commissaire pontifical, Rolandas Mackrickas, a été ordonné évêque au milieu de cette année.

Le pape François a nommé l’évêque Alejandro Cedillo doyen de la Rote romaine, une fonction qui n’était généralement pas occupée par un évêque. Mgr Cedillo est également à la tête de la cour d’appel, qui gère certains processus financiers ayant atteint le second degré. Si la partie financière semble être un thème central, en élargissant le regard, on constate que le pape cherche aussi à briser des liens dans le domaine de la justice vaticane.

Il l’a fait, par exemple, en réformant la Cour de cassation du Vatican, traditionnellement dirigée par le préfet de la Signature apostolique, qui a désormais pour président le cardinal Kevin J. Farrell et pour juges les cardinaux Mauro Gambetti, Matteo Zuppi et Paolo Lojudice. Ce qui est frappant, c’est le choix du cardinal Farrell comme président de la Cassation. Farrell est aussi Camerlingue, et c’est lui qui gérera le Siège Vacant et, par conséquent, l’administration, y compris l’économie, du Saint-Siège.

Aussi marginales qu’elles puissent paraître, ces décisions nous renseignent-elles sur ce que sera le gouvernement du pape dans les mois à venir ? Oui, elles disent quelque chose.

Tout d’abord, elles indiquent que le pape est en train de constituer une équipe de personnes qui lui sont fidèles et qui reflètent sa pensée. Ces personnes ne doivent pas être des experts. Ils doivent plutôt être des exécutants de la volonté du pape, des personnes qui s’alignent sur ses idées et qui sont en mesure de les faire avancer.

D’autre part, on dit que le pape veut donner l’idée qu’il suit chaque situation de près, au point de nommer des collaborateurs directs pour être informé ou pour impliquer encore plus ces collaborateurs.

La nomination de Fernandez a été soudaine, mais il répond à ces critères. Il sera appelé à une tâche difficile, celle de bien comprendre la ligne du Pape. Depuis le début de son pontificat, le pape François parle d’une conversion pastorale générale, d’aller aux périphéries et de mettre la mission au centre. La Constitution apostolique Praedicate Evangelium cherche à concrétiser cet esprit missionnaire. Le Conseil des cardinaux, qui s’est récemment réuni pour la deuxième fois dans sa nouvelle composition, a également discuté de la manière de poursuivre cet esprit missionnaire et de la manière dont l’esprit missionnaire et la synodalité peuvent être combinés.

Il s’agit toutefois de termes abstraits, encore difficiles à concrétiser, qui s’inscrivent dans le cadre de la célébration d’un Synode, lequel vise au contraire à renouveler la vie de l’Église précisément sur le principe de la synodalité ou de la marche ensemble. Mais la synodalité signifie-t-elle une discussion continue qui ne se traduit pas par des décisions finales, ou bien une conversation qui aboutit à une conclusion partagée ?

Nous sommes probablement entrés dans la troisième phase du pontificat du Pape. C’est la phase dans laquelle le pontificat cherche à se consolider avant son inévitable déclin. Et cette consolidation, le pape François la réalise précisément en nommant des évêques et des préfets, en favorisant les plus loyaux. Et, peut-être, en pensant à cette liste imprévisible de nouveaux cardinaux qui devrait arriver d’ici la fin de l’année. Une liste dont on parle depuis un certain temps mais que le pape a gardée pour lui pour l’instant.

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