Une association américaine de défense des victimes de la pédophilie dans le clergé a lancé une grave accusation contre Victor Manuel Fernandez, il aurait « couvert » un prêtre pédophile, ou présumé tel, lequel a fini par se suicider. Luisella Scrosatti apporte les précisions nécessaires.

Comme elle l’admet, il est certes difficile de porter un jugement sur ce genre d’affaires, et en général, je ne m’associe personnellement pas à l’opprobre systématique jeté sur les (présumés) agresseurs – cet étalage médiatique sert rarement les victimes, et c’est l’Eglise qui en sort salie. Mais pour un pontificat qui a fait de la tolérance zéro dans la lutte contre les abus un slogan, quasiment une marque, disons pour parler familièrement que l’accusation contre Tucho fait « un peu désordre ». D’autant plus qu’il y a de nombreux précédents.

Baisers, abus et enquêtes : que d’ombres sur Fernández

Luisella Scrosatti
lanuovabq.it

De l’autre côté de l’Atlantique, nous parviennent des rumeurs selon lesquelles le néo-préfet Fernández aurait « enterré » le cas d’un prêtre arrêté pour abus, qui s’est ensuite suicidé; et il confirme lui-même qu’il a fait l’objet d’une enquête pour des erreurs doctrinales, mais qu’il a été sauvé par Bergoglio. La fragilité d’une nomination qui peut être attaquée ou faire l’objet d’un chantage.

Trois, deux, un, c’est parti ! La toute récente nomination de Mgr Víctor Manuel Fernández au poste de préfet du dicastère de la doctrine de la foi a commencé avec beaucoup d’ombres et se poursuit avec des orages. Le pape François n’aurait pas pu trouver une personne plus controversée et faisant davantage parler d’elle pour occuper le poste qui fut celui de Ratzinger.

Sa doctrine très « liquide » est connue depuis longtemps. Une de nos sources nous avait dit qu’il avait été surveillé par la Congrégation pour l’éducation catholique ou la Congrégation pour la doctrine de la foi, au moment de sa possible nomination comme recteur de l’université catholique de Buenos Aires, et qu’il n’en était sorti indemne que grâce à une intervention du cardinal Bergoglio. La nouvelle a été confirmée par Fernández lui-même dans un entretien avec Famiglia Cristiana :

Comme il s’agit d’une université pontificale, ma désignation devait être ratifiée par Rome. Elle est arrivée 17 mois plus tard, parce que certaines personnes avaient porté des accusations sur mes prétendues erreurs doctrinales. À l’époque, Bergoglio, qui était archevêque de Buenos Aires, m’a toujours soutenu. Au cours de cette affaire, il m’a dit un jour : « Relève la tête et ne les laisse pas t’enlever ta dignité ». Cette phrase m’a marqué pour le reste de ma vie.

Un antécédent intéressant pour un évêque appelé à présider le Dicastère de l’Orthodoxie.

Mais ce qui inquiète davantage, c’est la nouvelle qui est tombée quelques heures après l’annonce de la nomination par le Saint-Siège: l’association américaine de défense des victimes d’abus « Bishop Accountability » a publié un communiqué, signé par Anne Barrett Doyle, mettant en cause la transparence de l’archevêque de La Plata dans l’affaire d’abus pédophiles impliquant le prêtre Eduardo Lorenzo :

La récente gestion de la part de Fernández d’un cas d’abus sexuel du clergé dans son archidiocèse de La Plata est très préoccupante. Dans sa réponse aux plaintes, il a fermement soutenu le prêtre accusé et a refusé de croire les victimes. Faisant preuve de mépris pour la sécurité des enfants, Fernández a maintenu le prêtre à son poste paroissial alors même que d’autres victimes s’étaient manifestées.

L’accusation a été immédiatement rejetée par le secrétariat de l’archevêque, qui a répondu :

Interrogé par des journalistes, l’archevêque a répondu clairement que « quand quelqu’un porte une accusation de ce type, en principe, il est TOUJOURS CRU, mais au-delà, une enquête et un procès équitable sont nécessaires, car la législation elle-même l’établit ».

Fernández aurait en outre pris des mesures de précaution à l’encontre du prêtre abuseur, lui interdisant toute activité en contact avec des mineurs et le confinant dans un centre de Caritas.

L’histoire de don Eduardo Lorenzo est triste et tragique, et s’est terminée par le suicide du prêtre le 16 décembre 2019, à l’âge de 59 ans, peu avant que la police ne vienne l’arrêter pour des abus présumés sur au moins cinq mineurs ; des faits qui remontent à 2008, quand le prêtre dirigeait un groupe de scouts. Don Lorenzo était également le confesseur d’un autre prêtre qui a fait scandale en Argentine : don Julio César Grassi, un visage bien connu de la télévision, condamné en 2009 à 15 ans de prison pour avoir abusé de 17 mineurs. Don Grassi avait trouvé dans le cardinal Bergoglio son défenseur zélé, bien qu’il ne soit pas l’évêque de son diocèse d’origine. En 2010, l’archevêque de Buenos Aires avait en effet commandé une enquête médico-légale de plus de 2000 pages pour prouver son innocence et démontrer le mensonge concocté par les victimes. Les juges ont par contre décidé de la culpabilité du suspect [ndt: voir dans ces pages Quand le cardinal Bergoglio défendait un pédophile notoire].

Bishop Accountability a néanmoins insisté sur le fait que Mgr Fernández avait pris des mesures publiques pour soutenir le prêtre, en autorisant la publication de sa défense sur le site web officiel du diocèse et en concélébrant la messe avec lui dans sa paroisse. L’avocat des victimes présumées, Juan Pablo Gallego, a également réaffirmé que Mgr Fernández ne considérerait jamais les victimes comme telles.

S’il est difficile de porter un jugement sur cette affaire, il est tout aussi difficile de ne pas se poser au moins deux questions.

La première : les nominations par le pape de ses amis et connaissances présentent des risques bien plus importants que la procédure habituelle, qui a fait ses preuves et qui implique un examen minutieux du candidat. Le « risque zéro » n’existe évidemment pas, mais on aurait peut-être pu éviter que, quelques heures seulement après la nomination, quelqu’un soulève un cas aussi problématique, qui est manifestement connu de beaucoup en Argentine.

Bergoglio s’est malheureusement illustré à plusieurs reprises en défendant des ministres sacrés qui se sont révélés coupables par la suite : outre le cas Grassi que nous venons de citer, rappelons le cas d’abus au Chili impliquant le père Fernando Karadima et l’évêque Juan de La Cruz Barros, ou le cas encore plus scandaleux de l’évêque Guastavo Zanchetta. Sans parler de Rupnik.

Deuxième question. La lettre de nomination et la réponse de Mgr Fernández, à la lumière de ce que Bishop Accountability a soulevé, ne pouvaient pas être plus problématiques. Le « Tucho » avait révélé qu’il avait refusé la première offre du pape parce que, parmi les tâches du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, il y aurait « la question de l’abus des enfants », pour laquelle – a déclaré Fernández – « je ne me sens pas préparé ou formé ».

Pour le convaincre, le pape a dû régler la question : « il m’a expliqué que la question des abus se trouve maintenant dans une section assez autonome, avec des professionnels qui en savent beaucoup et qui travaillent avec beaucoup de sérieux ».

La même assurance apparaît dans la lettre de nomination :

En admettant que pour les questions disciplinaires – concernant surtout les abus sur les enfants – une section spécifique a été récemment créée avec des professionnels très compétents, je vous demande, en tant que préfet, de consacrer votre engagement personnel plus directement à l’objectif principal du dicastère, qui est la « sauvegarde de la foi ».

Une insistance qui soulève, à ce stade, plus d’un soupçon. Mgr Fernández craignait-il d’avoir à traiter des dossiers sur lesquels il se savait victime de chantage ou qu’il n’était pas en mesure de gérer en tant qu’évêque ?

Le nouveau préfet de la CDF a déjà dû se défendre contre les attaques de ceux qui ne voient en lui qu’un « expert en baisers ». Son livre controversé de 1995, Sáname con tu boca. El arte de besar – Fernández s’en défend sur sa page Facebook – était un simple livret issu d’une catéchèse pour adolescents, alors qu’il était encore un jeune prêtre de paroisse. Ces « humiliations » à sa personne, qui ne tiennent pas compte de ses publications « de haut niveau », ne seraient rien d’autre qu’une manière d’attaquer directement le pape François [ndt: détails (en italien) ici testadelserpente.wordpress.com, je n’ai pas trouvé l’original espagnol].

Une défense qui montre une personnalité fragile, qui se sent obligée de se défendre immédiatement contre toute « insulte à sa personne », encline à parler constamment d’elle-même.

La facilité avec laquelle il confie sa communication aux médias sociaux est inquiétante, et la facilité avec laquelle il se protège du pape pour défendre sa crédibilité (et son amour-propre) l’est encore plus.

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