Retour sur la banderole déployée dans le ciel au-dessus des plages de l’Adriatique. Une lectrice amie me transmet cet article du journaliste Americo Mascarucci (auteur en 2018 d’un ouvrage « La rivoluzione di Papa Francesco ») qui fait « malgré quelques petites erreurs » une excellente synthèse de la question.

« Benoît XVI était in sede impedita« .

La stratégie de la campagne choc

Americo Mascarucci
 Mardi 29 août 2023
www.lospecialegiornale.it

Ce n’est certes pas une nouveauté pour les baigneurs de voir des avions privés survoler les plages en affichant des bannières publicitaires ; mais ces jours-ci, comme le rapportent le Corriere della Romagna et d’autres journaux locaux, le long de la Riviera qui s’étend de Ravenne à Rimini, les touristes sous leurs parasols ont remarqué que la bannière ne faisait pas la publicité de matelas, de restaurants ou d’usines de meubles, mais envoyait un message énigmatique et dérangeant.

La banderole attachée à l’avion portait en effet en grosses lettres la phrase « Benoît XVI était en siège empêché », et naturellement, sans que l’on comprenne vraiment le sens de la chose ou le sens même du terme, elle a attiré l’attention des gens et est devenue un sujet de discussion.

De quoi s’agit-il ? Nous parlons de la thèse avancée par le journaliste Andrea Cionci dans son livre « Codice Ratzinger » et reprise par les secteurs anti-bergogliens du monde catholique : Benoît XVI n’aurait jamais vraiment démissionné, puisque la Declaratio par laquelle il a renoncé à la papauté ne serait pas valide et que, par conséquent, au moment même où le conclave pour l’élection du nouveau pape a été convoqué, ce n’est pas la sede vacante qui aurait été déclenchée, mais la sede impedita. Ratzinger n’aurait renoncé qu’au ministerium (exercice pratique du pouvoir) mais pas au munus (c’est-à-dire à l’investiture divine), il serait donc resté pape à plein titre mais sans pouvoir exercer le gouvernement de l’Église car il en aurait été empêché par l’avènement d’un « faux pape », une sorte d’usurpateur, Bergoglio pour être précis. Si cette thèse se vérifiait, l’élection de Bergoglio serait en effet invalide et donc, depuis le 31 décembre dernier, c’est-à-dire depuis la mort de Benoît, le siège du Vatican serait vacant.

Cionci fonde sa thèse sur une série de déclarations faites par Ratzinger après sa sortie de scène et au cours des neuf années suivantes en tant que pape émérite ; des phrases qui, selon l’auteur, lorsqu’elles sont lues en filigranne, sont de véritables codes, par lesquels Benoît informait le monde qu’il était le seul vrai pape de l’Église, contraint de se retirer à cause d’un complot moderniste, mais qu’il avait néanmoins sauvé le siège pétrinien en l’empêchant de tomber entre les mains de ses ennemis.

Une thèse que personne dans l’Église n’a cependant jamais prise au sérieux, pas même les cardinaux les plus critiques à l’égard du pape François, qui ne lui ont pas épargné les critiques les plus vives ces dernières années, allant même jusqu’à l’accuser presque d’hérésie.

En fait, cette théorie de l’élection invalide de Bergoglio a été soutenue pour la première fois par Antonio Socci dans son livre « Non è Francesco » (Ce n’est pas François) [ndt: A noter, Socci a depuis lors opéré un revirement à 180°, sans jamais donner d’explication – ni renier son livre – devenant un soutien zélé du pape Bergoglio], dans lequel il insistait sur le fait que le pontife régnant avait été élu en violation de certaines règles régissant le déroulement du conclave. Mais même cette thèse, bien que très débattue, n’a débouché sur rien de concret.

Alors pourquoi cette campagne publicitaire pour dénoncer au monde que l’Église, avec la mort du pape Benoît, est sans pontife ? 

Il semble que l’initiative soit financée par une association catholique traditionaliste qui suit les théories de Cionci, et qui estime que, selon le droit canon, le nouveau pape ne devrait être élu que par des cardinaux de nomination pré-bénédictine. L’élection du pape François n’étant pas valide, toutes les nominations de cardinaux qu’il a décrétées le seraient également.

Evidemment, le but de la campagne publicitaire est d’éveiller les consciences sur un sujet que la grande majorité des fidèles catholiques, à l’exception des initiés, ignorent totalement, étant donné que les théories de Cionci n’ont jamais été propagées de quelque manière que ce soit dans les médias, bien que son livre ait longtemps figuré en tête des ventes. L’objectif semble donc être de capter l’attention du plus grand nombre et de l’obliger à s’interroger sur le sens d’un tel message. Et quel endroit, en plein été, est plus approprié que les plages, notamment celles de Romagne ? L’objectif semble avoir été atteint dans une certaine mesure, s’il est vrai que les journaux ont dû rapporter l’incident et donc faire connaître indirectement la thèse qui sous-tend l’initiative. Non pas que cela ait provoqué quoi que ce soit, étant donné qu’au-delà d’une curiosité normale pour la particularité du message promotionnel, rien ne s’est passé, en ce sens que les touristes ont continué à bronzer, à se baigner, à faire du pédalo, à nager et à jouer au racquetball sur la plage.

Ou peut-être qu’à l’intérieur même de l’Église, certains, inquiets des dérives modernistes qui s’imposent et qui pourraient trouver une pleine citoyenneté avec le prochain Synode sur la synodalité, songent à commencer à considérer sérieusement les thèses de Cionci et peut-être à ouvrir un front de controverse avec le pontife, en remettant en cause sa légitimité. C’est ce qu’a tenté de faire il y a quelques mois Mgr Carlo Maria Viganò, ancien nonce aux États-Unis et aujourd’hui l’un des plus grands opposants du pape François, qui a dépoussiéré le livre de Socci et déclaré que « la légalité de ce conclave et la régularité de l’élection de Bergoglio n’ont jamais fait l’objet d’un examen approfondi ».

Au crédit du Pape François, le « front anti-bergoglien » est très divisé en interne, tout comme le camp traditionaliste, et il est donc très difficile d’émettre l’hypothèse d’une stratégie commune qui pourrait d’une manière ou d’une autre conduire à des initiatives clamées.
En réalité, les théories de Cionci sont rejetées non seulement dans le camp bergoglien, mais aussi dans une grande partie du front conservateur où, au-delà de la critique légitime de l’œuvre du pontife, personne n’est prêt à se lancer dans des aventures sur fond de sédévacantisme. En effet, épouser les thèses contenues dans le « Codice Ratzinger » reviendrait à affirmer qu’aucun pontife succédant à François ne serait légitime et que le leadership de l’Église resterait à jamais vacant.

Il convient également de souligner que les théories d’une démission invalide et d’un Siège empêché ont été publiquement démenties par Mgr Georg Ganswein, ancien secrétaire particulier de Benoît XVI, qui a au contraire confirmé que Ratzinger a toujours considéré le pape François comme son successeur légitime [ndt: mais Mgr Gänswein a toujours soutenu publiquement, contre l’évidence désormais avérée, qu’il y avait une continuité substantielle entre Benoît XVI et François, « au-delà des divergences normales de personnalité ». Ce qui rend ses propos hautement suspects (mais je suppose qu’il ne peut pas faire autrement, peut-être même a-t-il fait un serment à Benoît XVI qui ne souhaitait certainement pas détruire l’Eglise)].

Il n’en reste pas moins que Benoît XVI risque de faire plus de bruit mort que vivant [ndt: pas pour cette seule raison, n’en déplaise à l’auteur!!!].

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