Dans sa chronique hebdomadaire sur Monday Vatican, à propos du voyage en Mongolie, Andrea Gagliarducci revient sur les propos du Pape devant un groupe de jeunes catholiques russes où il évoquait le grandeur de l’Histoire de la Russie (voir à ce sujet Guerre en Ukraine: le pape imprévisible). Andrea Gagliarducci exprime sa perplexité (et ses réserves) sur une diplomatie « personnaliste » qui se traduit souvent par des propos jetés en l’air et sans réflexion préalable, comme l’exigerait la position de Pape. S’agit-il d’une diplomatie pragmatique, ou d’une diplomatie fluide? Dans les deux cas, c’est une diplomatie clivante, qui fait des mécontents des deux côtés (et sans obtenir de résultats tangibles).

Pape François, une diplomatie pragmatique ou une diplomatie fluide ?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
Lundi 4 septembre 2023

Les mots du pape François sur « la Mère Russie », Catherine et Pierre le Grand, adressés à un groupe de jeunes Russes par vidéoconférence le 25 août, n’ont pas été appréciés en Ukraine. Il y a eu des protestations du gouvernement, des protestations de l’Église gréco-catholique ukrainienne, et une réponse du Vatican par la nonciature puis par le Bureau de presse du Saint-Siège demandant de ne pas considérer les paroles du pape comme un soutien à l’impérialisme, car une telle interprétation serait incongrue à la lumière des discours du pape.

En toute honnêteté, on peut dire que le pape François a toujours combattu et condamné les actes d’impérialisme, mis en garde contre la colonisation idéologique et, dans le même temps, n’a jamais manqué de prier pour l’Ukraine, définie comme martyre pour faire prendre conscience de qui est l’attaqué et qui est l’agresseur.

En même temps, on peut dire honnêtement que l’activité publique du Pape ne va pas toujours dans le sens de cette ligne, ou risque de donner une impression erronée. Et c’est là un point crucial du pontificat du pape François.

Le pape François se prête à des interviews et à des échanges spontanés. Il parle à bâtons rompus, ne semble pas étudier les sujets et répond au feeling. À plusieurs reprises, lors des conférences de presse dans l’avion, il a évoqué des situations et demandé qu’elles soient prises en compte.

La décision du pape François de s’exposer aux questions sans filtre a été très appréciée, surtout au début de son pontificat. Le pape n’a pas peur d’affronter les journalistes ou de dire ce qu’il pense. Le problème est que la spontanéité conduit parfois à prendre des risques inutiles. En fin de compte, le pape François est le pape ; ce qu’il dit a toujours un impact global et, par conséquent, il doit faire attention aux mots.

Faire l’éloge de Catherine, de Pierre le Grand et de la Mère Russie était susceptible de provoquer une réaction négative de la part de l’Ukraine. Dans un contexte de guerre qui fait écho à l’impérialisme russe, les Ukrainiens ne comprennent pas que le pape parle spontanément, que les références culturelles servent à qualifier la profondeur d’une époque historique et non à soutenir ce qui s’est passé à ce moment précis. Tout ce qui ressemble à une justification de l’agression russe pose problème.

Le pape François, cependant, n’est pas sensible à ce type d’argument. Il pense agir de bonne foi et, par conséquent, ne se soucie pas des réactions potentielles à ses paroles ou à ses actions. Dans le cas de la guerre en Ukraine, il l’a fait à plusieurs reprises.

Par exemple, en allant visiter l’ambassade de la Fédération de Russie auprès du Saint-Siège au début de la guerre et en ne faisant pas la même chose avec l’ambassade d’Ukraine. Ou encore, en imposant, dans l’une des stations de la Via Crucis au Colisée en 2022, la présence d’une femme russe et d’une femme ukrainienne pour représenter la possibilité d’une réconciliation, forçant presque le pardon. Pour la Via Crucis de 2023, les textes – qui contenaient des témoignages de paix de jeunes Russes et Ukrainiens – n’ont été distribués qu’au tout dernier moment, précisément pour éviter la polémique.

Les décisions du pape François sont pragmatiques. Qui pourrait contester que sans pardon, il ne sera jamais possible de parvenir à une paix qui ne soit pas seulement l’absence de guerre ? Qui contesterait que la guerre est une expérience terrible pour tout le monde ? Et qui ne serait pas d’accord pour dire aux jeunes de connaître et d’apprécier leurs racines, surtout si elles ont une histoire longue, profonde et parfois controversée ?

Vu sous cet angle, ces questions semblent relever du simple bon sens. Cependant, il existe des sensibilités diplomatiques, humaines et contextuelles qui nécessitent une réflexion plus approfondie. Le pape François a décidé de parler spontanément, avec la certitude que quelqu’un contextualisera ou accordera le bénéfice du doute à ses paroles, ou au moins un vote de confiance et de sympathie.

C’est une stratégie qui, cependant, s’avère source de division. Il y a ceux qui défendent le pape et ceux qui le contestent, et chaque faction accuse l’autre de ne pas comprendre. Les critiques à l’égard du pape sont prises pour des attaques personnelles. Les éloges du pape sont en revanche considérés comme de la flatterie. Ce même débat est critiqué comme une perte de temps.

Les questions centrales sont laissées de côté, et tout se concentre sur la figure du Pape. La personnalisation est un processus compliqué, à éviter, surtout lorsque l’on a des leaders charismatiques ou centralisateurs. Dans la pratique, cependant, la personnalisation met en évidence toutes les limites des décisions quand celles-ci ne sont pas fondées sur une logique institutionnelle mais sur une logique personnelle.

Ainsi, un événement à la signification pastorale profonde, comme la rencontre avec la jeunesse russe, est devenu le champ de bataille potentiel d’une polémique qui n’aurait pas vu le jour si le pape ne s’était pas exprimé spontanément.

Cette histoire n’est d’ailleurs pas la seule du genre. Au fil des ans, le pape s’est souvent exprimé de manière impromptue, avec des excès verbaux qui ont nécessité des clarifications.

En même temps, le pape a utilisé son poids et son autorité pour tenter de développer et de promouvoir des initiatives de paix. Par exemple, il a appelé à une réunion de prière dans les jardins du Vatican pour la paix au Moyen-Orient en 2014. Il a organisé une retraite de prière pour les dirigeants du Sud-Soudan en 2019. Il a envoyé le cardinal Parolin au Liban en septembre 2021, où il a également promu une journée de prière pour le pays. Il a par ailleurs envoyé le cardinal Krajewski en Ukraine à six reprises et le cardinal Czerny à deux reprises. Il a ensuite choisi le cardinal Zuppi comme envoyé spécial pour une mission pratique visant à explorer les possibilités de paix en Ukraine, mais surtout à aider au retour des enfants ukrainiens en Russie.

Alors, comment définir l’attitude diplomatique du pape ? La volonté d’un accord à tout prix avec la Chine, d’un dialogue avec Poutine depuis le début de la guerre, d’une discussion et d’une médiation au Nicaragua ou au Venezuela malgré tout, indiquent qu’il est un pape de la Realpolitik, c’est-à-dire de la diplomatie concrète et pratique.

En même temps, le silence assourdissant dans certaines situations au Nicaragua, au Venezuela ou à Hong Kong parle d’un pape prudent à l’extrême et capable de se taire même quand il faudrait parler.

Enfin, les déclarations spontanées, sans filtre, indiquent un pape qui ne réfléchit pas aux conséquences et qui a parfois une lecture naïve de la réalité.

Qui est le pape François ? Sa diplomatie est-elle fluide, sans repères, et donc potentiellement inefficace ? Ou bien sa diplomatie est-elle concrète et donc potentiellement clivante ?

Telles sont les questions que soulèvent les dernières décisions du pape François. En se rendant en Mongolie, il a également pris le risque de rompre les bonnes relations avec la Chine. La rencontre interreligieuse incluait des bouddhistes tibétains, alors que le Dalaï Lama a établi qu’un puissant lama et autorité spirituelle pour toute la Mongolie s’était réincarné en enfant mongol, suscitant l’ire de Pékin qui s’arroge le droit de décider des réincarnations. Ce n’est pas un mystère que la Chine a observé très attentivement le voyage. Tout s’est bien passé, l’organisation était parfaite, mais jusqu’à la toute fin, quelqu’un a spéculé sur un malentendu causé par un éventuel geste ou une parole spontanée du pape François.

C’est un exemple qui explique les nombreuses choses auxquelles il faut penser lors de la préparation d’un voyage, et a fortiori d’un discours ou d’une interview, qui se déroulent rapidement et ne doivent jamais être mal compris, du moins sur les questions critiques.

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