L’espagnol Joaquim Navarro-Vals (membre laïc de l’Opus Dei) fut pendant des années (de 1984 à 2006) le porte-parole du Pape, d’abord Jean-Paul II (dont il sut habilement gérer la « communication », avec le résultat que l’on sait sur la popularité du pape polonais, dont le charisme n’explique peut-être pas tout), puis, brièvement, Benoît XVI. Ses mémoires posthumes (il est mort en 2017) sont sorties – seulement – en mai 2023, et le journal de gauche « Libero quotidiano », qui en son temps a mené le hallali contre Benoît XVI, en publie quelques extraits. Dans quel but? Car j’imagine que ce n’est pas gratuit, dans un livre de 552 pages dont le titre est « Mes années avec Jean-Paul II« , les passages cités sont uniquement relatifs à la relation avec Benoît XVI (dont on croit deviner qu’il n’avait pas besoin de « communiquant » et pas de désir d’en avoir un). Peut-être s’agit-il de prouver qu’il n’y avait pas une telle continuité qu’on le dit entre Jean-Paul II et son successeur? Ou que la curie est un panier de crabes? Ou que la com’ de Navarro est un modèle dont François devrait s’inspirer? Ou autre chose?

Navarro-Valls a révolutionné la communication pontificale.

Aujourd’hui, elle ne semble pas vraiment être regrettée.

Francesco Grana
www.ilfattoquotidiano.it
3 septembre 2023

« Saint Père, ce travail ne peut se faire que si on a un accès direct au Pape. Si quelque chose a pu être fait au cours de ces années, c’est grâce à cela : aussi bien dans la normalité que dans les jours de la maladie et de la mort de Jean-Paul II. La mentalité de la Curie n’est pas facile : « Ne dites rien si les journalistes ne demandent pas, et s’ils demandent, dites… ». Mais c’est une attitude très réactive, jamais proactive. L’opinion publique est comme un grand récipient : le premier qui le remplit peut proposer ses arguments et les autres suivent. Si les autres proposent leurs arguments, il ne reste plus qu’à procéder à des démentis ».

C’est dans ce passage de la première audience de Benoît XVI avec le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège d’alors, Joaquín Navarro-Valls, disparu en 2017, que se trouve la clé de la révolution communicative mise en œuvre par le journaliste et médecin espagnol au Vatican avec le plein soutien de saint Jean-Paul II.

L’audience a lieu à la Casa Santa Marta [Sainte-Marthe, bien connue aujourd’hui!], la résidence temporaire de Ratzinger, deux jours après son élection à la papauté le 21 avril 2005.

Navarro-Valls raconte la rencontre :

Une fois assis, je lui ai expliqué : « Saint-Père, j’ai parlé plusieurs fois à Jean-Paul II de quitter ce poste, parce que cela faisait déjà de nombreuses années ». Il m’a dit en plaisantant : « Rappelez-moi dans cinq ans… ».

« À présent, je ferai absolument ce que le pape me dira ».

Il a répondu : « Non, au moins pendant la première année, continuez à faire ce travail ».

Book cover

C’est ce que l’on peut lire dans les mémoires de Navarro-Valls, publiées à titre posthume sous le titre I miei anni con Giovanni Paolo II.

Un texte volumineux qui retrace, par une chronique précise et quotidienne, le parcours du journaliste en tant que porte-parole du pape, de 1984 à 2006, date à laquelle il a passé le relais au père jésuite Federico Lombardi.

Un livre qui contribue à écrire des pages importantes du pontificat de saint Jean-Paul II, de la Sede Vacante qui a eu lieu après sa mort, survenue après vingt-sept ans de règne, de l’élection de Benoît XVI et de sa première année de gouvernement de l’Église.

Navarro-Valls se rendit cependant vite compte que l’accord direct entre lui et Wojtyla ne serait pas suivi par Ratzinger. Face aux propositions faites par le porte-parole du Vatican lors de cette première audience avec Benoît XVI, le pape, rapporte le journaliste, acquiesce :

« Il m’assure que j’aurai accès à lui en cas de besoin, que je pourrai l’appeler au téléphone. Qu’il m’apportera son soutien. Tout cela me rassure un peu ».

Pourtant, les choses ne se passent pas comme prévu. Dès les premières semaines du nouveau pontificat, le 4 juin 2005, Navarro-Valls écrit :

« Je constate une tendance à l’involution dans l’action d’information du Saint-Siège. Il y a un manque d’information. Mais je suis conscient qu’à la fin de cette année, je quitterai mon poste et il ne me semble pas opportun de conditionner le travail de mon successeur ».

Le porte-parole ne se démonte pas pour autant et fait part de ses fortes réticences au secrétaire de Benoît XVI :

« Georg veut me parler et nous discutons au cours de deux longues promenades. Je lui explique ma vision des choses au travail : le problème du manque d’information et la quasi-impossibilité d’organiser une stratégie d’information. Georg est très explicite. Sans citer de noms, il m’explique ce que certaines personnes ont dit au Pape : que j’étais un ami proche de Dziwisz et que cela m’avait permis de contourner la structure. Ils ont dit qu’il y avait un manque de coopération et qu’en fin de compte, un changement s’imposait. Georg se rend compte qu’en réalité, ce que certains essaient de faire, c’est de retrouver le « pouvoir perdu », pour ainsi dire. Je comprends la situation et ces réactions. Honnêtement, je n’y attache pas beaucoup d’importance ».

La situation ne s’améliore pas et le 1er décembre 2005 a lieu une audience qui, pour le journaliste, est un prélude au départ définitif. Navarro-Valls le rappelle toujours dans ses mémoires :

« Je suis allé voir le pape. Selon le nouveau style, il m’a convoqué avec une lettre officielle de la préfecture de la maison pontificale. Mon audience a lieu à six heures et quart de l’après-midi. Avant, le Pape en a eu une autre avec le cardinal Etchegaray. Elle a lieu dans son appartement, dans la grande salle. Le Saint-Père est seul. Il n’y a pas de papiers sur sa table. Il est détendu, assis les jambes croisées. J’ai l’intention de lui demander si le moment est venu de changer de service de presse. Mais je ne peux pas aborder le sujet, car il commence à me demander mon avis sur les informations du Saint-Siège. Je lui dis que, sans porter de jugement sur les personnes, le climat actuel – de mon point de vue – n’est pas positif, essentiellement en raison du manque d’information préalable. Je lui apporte des exemples concrets ».

Le 1er février 2006, Navarro-Valls adresse sa lettre de démission à Benoît XVI. Deux jours plus tard, le 3 février, le secrétaire du pape, Mgr Gänswein, l’appelle pour lui annoncer que Ratzinger a accepté sa démission, mais lui demande de rester à son poste jusqu’à l’été. Le 11 juillet suivant, la nomination de son successeur est publiée.

L’ère Navarro-Valls au Vatican s’achève, mais sa révolution communicative, comme le montrent également ses mémoires, avait déjà été archivée avec la fin du pontificat wojtylien. Une saison clairvoyante et pleine de nombreux succès, non seulement dans le domaine de la communication, du pape et du Saint-Siège qui, aujourd’hui, dans les palais sacrés, ne semble pas vraiment regrettée. Une époque qui a certainement marqué une page très lumineuse dans l’histoire de la communication ecclésiale et qui a été rendue possible par l’harmonie totale entre Wojtyla, Dziwisz et Navarro-Valls. Une triade difficilement reproductible.

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