(Gagiarducci). Certains, comme John Allen, ont déjà ironisé sur la prétention de maintenir le secret sur une assemblée réunissant un aussi grand nombre de personnes (citant à l’appui un bon mot de Benjamin Franklin: trois personnes peuvent garder un secret, mais seulement si deux d’entre elles sont mortes). Certes! Mais ici, la question du secret va bien au-delà des simples bavardages, inévitables. Dans sa chronique hebdomadaire en anglais, Andrea Gagliarducci explique que le vrai problème est lié au fait que le Pape s’exprime de façon très approximative et que le sens des mots est fluctuant. D’où le risque d’arriver à quelque chose de différent de ce qui aura été généralement compris.

Le problème du prochain Synode ne sera pas le secret papal, qui a toujours existé, ni la communication, car les évêques pourront toujours s’exprimer. Il s’agira plutôt de comprendre la terminologie. Il faudra revenir au sens originel des mots, opposer leur sens historique à leur sens actuel, et dépasser les dichotomies entre miséricorde et doctrine, entre idéal chrétien et réalité, qui ne reflètent pas la réalité.

Le Pape François, le secret et le débat sur le Synode

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
18 septembre 2023

La nouvelle selon laquelle le pape François pourrait instaurer le secret pontifical dans le débat synodal a créé quelques remous. Pour l’instant, le règlement du Synode n’a pas encore été publié, et il pourrait y avoir quelques changements de procédure, notamment en ce qui concerne les modalités de participation au débat et au vote. Cependant, le fait que les premières communications officielles du Synode établissent que toute interview des pères synodaux doit d’abord être demandée par courriel au responsable de la communication du Secrétariat général du Synode a déclenché le débat sur la transparence du processus synodal. Les indiscrétions concernant le secret papal ont ajouté de l’agitation à l’agitation.

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Levons toute ambiguïté : le secret pontifical sur les opinions et les débats des autres gens était déjà prévu dans le règlement antérieur du Synode. Paul VI voulait permettre un débat aussi large que possible, et cette décision n’a été modifiée ni par Jean-Paul II ni par Benoît XVI. Les votes sur le texte final du Synode en donnaient un exemple. Le vote se faisait paragraphe par paragraphe, et si l’un des paragraphes n’atteignait pas le consensus synodal (c’est-à-dire les deux tiers des voix), il n’était ni publié ni partagé.

Supposons qu’on ait parlé de la question du secret dès le début. Dans ce cas, il faut préciser que la machine de communication du Synode des évêques, définitivement développée sous la direction du Bureau de presse par Joaquin Navarro-Valls, a déblayé le terrain de toute inférence possible.
Fidèle au principe du cardinal Schotte [prélat belge, 1928-2005, créé cardinal en 1994, ndt] – « Il n’y a rien qui mérite de rester secret au Synode » – tous les débats étaient rapportés en publiant les résumés des interventions en six langues différentes, avec un système précis de codes et de couleurs qui permettait de connaître immédiatement la langue d’origine, le moment où le texte a été publié, et le traducteur.

Chaque jour, il y avait donc un briefing informel divisé en groupes linguistiques, ce qui permettait à tous les journalistes d’être informés de l’avancement du processus. Les pères synodaux étaient souvent invités à ces briefings et traitaient les journalistes avec une grande ouverture.

Le pape François a centralisé la communication du synode, en réduisant tout à un seul briefing, plus formel, et en ne distribuant ni textes ni résumés des textes. Cependant, lors des premiers synodes du pape François, le cardinal Lorenzo Baldisseri, alors secrétaire général du synode, a justifié la décision de ne pas distribuer formellement les textes par le fait que les pères synodaux étaient libres de parler avec qui ils voulaient et aussi éventuellement de donner les brouillons de leurs discours.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Le climat a radicalement changé. Le problème n’est plus la question formelle de savoir si le secret pontifical s’applique ou non au débat synodal. Il s’agit plutôt du fait que, ces dernières années, des mots ont été utilisés en les privant de leur pleine signification ou en les interprétant différemment. Le problème est d’abord sémantique. Toutefois, il devient un problème pratique.

J’ai déjà souligné que le pape François décontextualise souvent des expressions et des phrases, en les extrapolant d’un discours et en leur donnant des interprétations uniques. Le problème s’applique également au concept de synodalité. Le pape François a toujours déclaré que l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi [publiée en 1975 à la suite des travaux du synode sur ce thème, ndt] de Paul VI était sa référence. Dans cette exhortation, Paul VI nous invite à nous inspirer de la synodalité des Églises orientales.

D’une certaine manière, Paul VI n’essayait pas de changer le paradigme de l’Église. Il essayait de comprendre comment l’Église pouvait exister dans les temps modernes. Il accordait une grande importance au Synode, à tel point que l’une des propositions de réforme du Conclave prévoyait que le Secrétaire général du Synode soit inclus avec tous les membres du Secrétariat général du Synode dans l’élection d’un pape. Il abandonna cette idée parce que l’élection d’un pape concerne les cardinaux que le pape lui-même crée, qu’elle a une signification spirituelle profonde et qu’elle ne peut donc pas être déléguée aux évêques et aux archevêques qui sont nommés par le pape mais qui ont un rôle temporaire. L’élection d’un pape n’est pas un processus démocratique auquel participent ceux qui occupent un poste temporaire.

Cette seule anecdote montre que Paul VI considérait la synodalité non pas comme une forme alternative de gouvernement, dans le cadre d’une réforme de l’Église, mais plutôt comme un modèle de débat qui devrait maintenir vivante la discussion du concile.

Le pape François a repris cette idée. Il a contourné le problème de l’inclusion du secrétaire général du synode dans le conclave en faisant de tous ses secrétaires généraux du synode des cardinaux. Il a ensuite lancé un processus synodal qui, à ses yeux, sert à dépasser les vieux schémas de pouvoir. Le débat du Synode doit apporter de nouvelles opinions et de nouveaux points de vue, mais aussi être capable de remettre en question les modèles de gestion qui se sont perpétués jusqu’à présent. Après tout, le Pape parle toujours de son expérience en tant que rapporteur général du Synode de 2001 et de la façon dont les textes, selon lui, ont été manipulés ou, en tout cas, préprogrammés.

Pour surmonter la manipulation, le Pape utilise la méthode qu’il a toujours utilisée : confidentialité maximale, et transparence seulement à la fin du processus de décision. Les discours ne sont pas publiés, les évêques peuvent s’exprimer mais sont dissuadés de parler concrètement du débat, puis les votes de chacun sont comptabilisés et connus. Le document final du Synode est ainsi complété, y compris avec les paragraphes qui ne font pas l’objet d’un consensus synodal, dépassant toute préprogrammation.

En même temps, le pape parle du synode comme d’un synonyme de l’Église. Il qualifie le processus synodal de nouveau modèle. Il parle de transparence et de débat sur les décisions.

C’est là que le problème sémantique se pose. La synodalité est un concept abstrait, qui n’a jamais été utilisé dans les documents du Concile Vatican II, précisément parce qu’il n’avait pas de base concrète. Le modèle de la synodalité des Églises orientales n’est pas exempt de problèmes, à commencer par une nationalisation excessive ou même l’impossibilité pour un patriarche de décider sans être influencé par des facteurs externes qui influencent son propre synode.

Ces difficultés n’apparaissent pas dans les déclarations du Pape, qui ne se laisse pas aller à des nuances, mais donne plutôt un sens général des choses lorsqu’il s’exprime [cf. La théologie « à la louche » de François !!]. Mais si le langage n’est pas précis, tout est possible.

C’est ainsi que se développent les grandes attentes à l’égard du Synode. Même parmi les plus proches du pape, on pense que les structures de l’Église doivent être modifiées, mais il n’est pas certain que le pape soit d’accord, et il n’est pas certain que le pape veuille une réforme en ces termes.

Du point de vue de la communication, nous en sommes venus à penser qu’un synode devrait être un processus transparent et, par conséquent, avec la participation de journalistes. Dans la pratique, le synode ressemble à une session ouverte du Parlement, où l’opinion publique peut scruter chaque discours. Ce n’est pas ce que veut le Pape – et il l’a dit clairement – mais les déclarations et les gestes sont allés si loin que c’est maintenant ce qui est attendu.

Ainsi, chaque mot est porté à l’exaspération, créant un débat polarisé et spéculatif. La division entre progressistes et conservateurs n’existe plus car les préoccupations sont similaires, à savoir que le Pape pourrait vouloir quelque chose de différent de ce qui est généralement compris. Il en sera probablement de même lors du prochain synode.

Au milieu de cette polarisation, une interview du futur cardinal Victor Fernandez, préfet du Dicastère de la Doctrine de la Foi, souligne que le problème se situe en fait à la fois du côté progressiste et du côté conservateur, mais met également en garde contre une prise de position qui pourrait créer un schisme. Parce qu’en fin de compte – c’est son argument – le Pape a un charisme dynamique, et lui seul détient l’interprétation correcte de la doctrine [cf. Tucho Fernandez et le charisme unique de Pierre ]. Des mots qui, eux aussi, risquent de réduire la doctrine à l’arbitraire papal. Ce n’est probablement pas ce que Fernandez veut dire [???] , à tel point que dans un autre passage de l’interview, il parle d’une doctrine qui ne change pas et d’un Évangile qui est déjà une révélation [cf. Une critique raisonnée des dernières déclarations du préfet Tucho]. Cependant, même dans ce cas, la réaction à une exaspération en entraîne une autre.

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Le problème du prochain Synode ne sera pas le secret papal, qui a toujours existé, ni la communication, car les évêques pourront toujours s’exprimer. Il s’agira plutôt de comprendre la terminologie. Il faudra revenir au sens originel des mots, opposer leur sens historique à leur sens actuel, et dépasser les dichotomies entre miséricorde et doctrine, entre idéal chrétien et réalité, qui ne reflètent pas la réalité. Et cela, c’est que la vie chrétienne est une vocation intégrale. La doctrine sert à soutenir cette vocation, et le péché est une limite spécifiquement humaine, mais une limite qui peut être surmontée avec la grâce de Dieu.

C’est probablement ce qui fait avancer le débat synodal. Le reste risque de n’être qu’une élucubration.

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