La fameuse boîte, vue par l’historien de l’Eglise Roberto de Mattei. C’est d’ailleurs plus une revue de l’abondante production éditoriale autour de la papauté de ces derniers mois, et une chronologie (au demeurant nécessaire pour savoir de quoi l’on parle) qu’une analyse personnelle.
Roberto de Mattei affirme que la boîte de Pandore a été ouverte avec la démission de Benoît XVI, ce qu’on peut contester. Benoît XVI n’était pas éternel, et même s’il a vécu encore dix ans après son retrait (physiquement épuisé), les problèmes auraient émergé tôt ou tard, l’empêchant de gouverner pendant ces dix ans, et l’élection de François (ou d’un autre, peut-être pire que lui) n’aurait été différé que d’une poussière de temps au regard de l’éternité de l’Eglise. Bref, le feu couvait sous la cendre.
Mais surtout, selon de Mattei, l’ouverture de la fameuse « boîte de Pandore » s’est durement fait ressentir dans le monde de la Tradition, qui en est sorti profondément divisé. Ce n’est pas faux, et j’ai pu en faire l’expérience personnelle. Mais là encore, comme le dit l’expression italienne, « i nodi sono venuti al pettine ». Et c’est peut-être une bonne chose

Le monde traditionnel n’est plus une « Acies ordinata » , comme il pouvait apparaître jusqu’en janvier 2020, mais un ensemble confus et querelleur, qui se trouve aujourd’hui face à un événement qualifié par le cardinal Pell de « cauchemar toxique » : le Synode d’octobre, nouvelle « boîte de Pandore » dont on peut tout attendre, y compris les réactions qu’il ne manquera pas de susciter.

Le Synode sur la synodalité : une « boîte de Pandore » aux conséquences imprévisibles

Nous ne savons pas si les dix années entre le début de 2013 et la fin de 2023 seront considérées comme les plus intenses du 21e siècle, mais elles ont certainement été les plus imprévisibles de notre vie.

En effet, la décennie s’ouvre sur une « bombe », la démission de Benoît XVI le 11 février 2013, et s’achève sur une autre « bombe », ou plutôt une « boîte de Pandore », comme elle a été efficacement définie dans un livre récent de Julio Loredo et José Antonio Ureta (Processo sinodale: un vaso di Pandora): le Synode sur la synodalité d’octobre prochain.

Mais, à y regarder de plus près, la première « boîte de Pandore » a été la démission de Benoît XVI, « un coup de tonnerre », comme l’a dit le cardinal Angelo Sodano, à partir duquel tout a commencé.

La possibilité de renoncer à la papauté est prévue par le droit canonique (can. 332, § 2) mais elle n’avait été que très rarement mise en œuvre. De plus, les raisons et les modalités de l’abdication apparaissaient singulières. Jusqu’au dernier jour de sa vie, Benoît XVI a répété que son choix n’avait d’autre raison que son état psycho-physique fragile, une « lassitude, physique et mentale », comme l’explique Mgr Georg Gänswein dans les pages de son livre consacré à l’ « abdication historique » (Nient’altro che la verità). Dans une lettre adressée le 28 octobre 2022, quelques semaines avant sa mort, à son biographe Peter Seewald, Benoît XVI explique que la « raison centrale » de sa renonciation est « l’insomnie qui m’accompagne de manière ininterrompue depuis les Journées mondiales de la jeunesse de Cologne » depuis août 2005. Mais ces déclarations sans équivoque n’ont pas mis fin aux spéculations les plus extravagantes, allant même jusqu’à théoriser qu’en réalité cette démission n’avait jamais eu lieu et que Benoît XVI continuait à régner contre l’ « usurpateur » François.

Le pape Ratzinger n’imaginait certainement pas qu’il allait assister, au cours de ses dix années de post-pontificat, à la débâcle provoquée par l’élection de François, notamment parce qu’il était certain [ah bon? en réalité, nous n’en savons rien, et il ne pouvait pas en être CERTAIN – ndt] que son successeur serait le cardinal Angelo Scola.

Quand la première fumée blanche est sortie de la cheminée de Saint-Pierre, un communiqué de la Conférence épiscopale italienne, à 20 h 24 le 13 mars 2013, a exprimé « les sentiments de toute la nation italienne accueillant la nouvelle de l’élection du cardinal Angelo Scola comme successeur de Pierre » [détail inédit, à vérifier].

Lors du conclave de 2013, Scola, selon des reconstitutions fiables, est arrivé en tête au premier tour de scrutin avant d’être dépassé par Bergoglio, qui a été élu au cinquième (Gerard O’Connel, The election of Pope Francis).

Les pronostics ont été déjoués par le vote des cardinaux américains, convaincus qu’un profond nettoyage interne de l’Église était nécessaire et qu’aucun cardinal italien n’en serait capable. C’est grâce à leur vote décisif que Jorge Mario Bergoglio a été élu. Qui aurait pu penser que c’est précisément dans l’épiscopat américain, dix ans plus tard, que se manifesterait l’opposition la plus décisive au pape François ?

Des réformes internes à l’Église étaient souhaitées tant par les conservateurs que par les progressistes, et Bergoglio se présentait comme un candidat « spirituel », capable de mettre en œuvre cette réforme. Qui aurait imaginé que le pape François serait le plus « politique » des papes du siècle dernier (voir Jean-Pierre Moreau, La conquête du pouvoir) et que ses réformes seraient un échec retentissant?

La nomination du cardinal George Pell comme premier préfet du Secrétariat pour l’économie, le 24 février 2014, semblait une garantie pour les conservateurs, qui se sont cependant rendu compte que les réformes tardaient et que les incompréhensions doctrinales et pastorales se multipliaient, surtout après l’exhortation apostolique Amoris laetitia du 19 mars 2016.

Quatre cardinaux éminents (Walter Brandmüller, Raymond Leo Burke, Carlo Caffarra, Joachim Meisner) ont présenté le 16 septembre 2016, cinq Dubia à la Congrégation pour la doctrine de la foi : il était peut-être prévisible que la réponse ne viendrait jamais, mais ce qui est arrivé de manière inattendue, c’est la disparition de deux des quatre cardinaux : Joachim Meisner le 5 juillet 2017 et Carlo Caffarra le 6 septembre de la même année, rendant impraticable l’action publique des deux autres cardinaux.

Le 29 juin 2017, la police australienne avait entre-temps confirmé l’inculpation du cardinal Pell pour « délits sexuels graves » sur mineurs. Pell a été reconnu coupable par le jury de l’État de Victoria en Australie et a été condamné à une peine de six ans de prison le 13 mars 2019. Ce n’est que le 7 avril 2020 qu’il a été acquitté à l’unanimité par le même tribunal et libéré après plus d’un an d’incarcération. Le cardinal australien, le plus actif et le plus pragmatique des cardinaux de la Curie, rentre à Rome et commence à organiser les rangs anti-bergogliens pour le prochain conclave, mais il décède inopinément le 10 janvier 2023. Pendant que l’on célébrait ses funérailles, à quelques pas de là, au Vatican, se tenait une audience houleuse du procès du cardinal Angelo Becciu, une affaire judiciaire encore ouverte et pleine d’inconnues, dans laquelle le pape François est impliqué.

Qui aurait pu imaginer, par ailleurs, la déception à l’égard du pape François de ces mêmes progressistes qui avaient accueilli avec enthousiasme son élection ? L’historien Alberto Melloni, en avril 2013, qualifiait l’annonce de la réforme de la curie du pape François d’ « étape la plus importante dans l’histoire de l’Église des dix derniers siècles et dans les cinquante ans d’histoire de la réception de Vatican II » (Corriere della Sera, 14 avril 2013).

Dix ans plus tard, le même Melloni a qualifié le principe sur lequel repose la Constitution apostolique du 19 mars 2022, Praedicate evangelium, sur la réorganisation de la Curie romaine, de « thèse qui touche au cœur du Concile Vatican II et qui constitue un point de départ pour l’avenir de l’Église » (la Repubblica, 24 août 2022). L’accusation est d’avoir renié la primauté de l’ordre sacramentel sur l’ordre juridique, qui avait été l’une des pierres angulaires de la nouvelle doctrine conciliaire.

« L’irruption de François a produit un choc. Un choc des cultures. Elle a été vécue, selon les sensibilités, comme un cauchemar, un choc terrestre ou une authentique libération », écrit Jean-Marie Guénois, dans son dernier livre (Pape François. La Révolution, 23) où il tente de démêler ce qu’un autre vaticaniste, Massimo Franco, a appelé L’enigma Bergoglio .

Parmi les quelques points clairs, il y a une continuité radicale, en termes de praxis, avec le Concile Vatican II. En ce sens, l’abbé Claude Barthe a raison lorsqu’il définit le pontificat actuel comme

« une apocalypse au sens propre, c’est-à-dire une révélation, notamment une révélation du grand tournant que les Pères de Vatican II avaient opéré volens nolens. Le pape François est en train de donner toute son ampleur à cet événement absolument unique ou, dans tous les cas, d’en rendre la nature beaucoup plus tangible »

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(ResNovae, 1er septembre 2023)

Mais la « boîte de Pandore » de la démission de Benoît XVI, avec l’élection consécutive de François, a peut-être produit ses conséquences les plus imprévisibles dans le domaine des catholiques fidèles à la Tradition. La Correctio filialis du 11 août 2017, signée par plus de 200 théologiens et chercheurs de diverses disciplines, semblait avoir trouvé l’unité doctrinale et l’unité d’objectif dans ce monde. La pandémie de Coronavirus, la guerre russo-ukrainienne et l’attitude volatile de François ont contribué à le déstabiliser.

Le monde traditionnel n’est plus une « Acies ordinata » [une armée déployée] , comme il pouvait apparaître jusqu’en janvier 2020, mais un ensemble confus et querelleur, qui se trouve aujourd’hui face à un événement qualifié par le cardinal Pell de « cauchemar toxique » : le Synode d’octobre, nouvelle « boîte de Pandore » dont on peut tout attendre, y compris les réactions qu’il ne manquera pas de susciter.

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