L’ancien président de la République italienne, Giorgio Napolitano, vient de mourir à l’âge de 98 ans. Issu du Parti communiste, qu’il n’a jamais formellement renié, on peut se douter qu’au moins aux yeux des catholiques, son parcours n’est pas vraiment irréprochable (cf. La Nbq). Personnalité majeure de la vie politique italienne, mais peu connue des Français (qui croient que le rôle du président de la République italienne se limite à « inaugurer les chrysanthèmes », ce qui est loin d’être le cas!), je me garderai donc de porter un jugement. Tout ce dont je me rappelle, ce sont les multiples concerts auxquels il a assisté avec le Saint-Père, dans une ambiance de grande cordialité, l’un invitant l’autre à tour de rôle, jusqu’au dernier, le 4 février 2013 (voir sur ce site: Concert pour le Pape, et la magnifique critique musicale de Benoît XVI: Concert pour le Pape (suite)), une semaine avant la renonciation.

Quand Papa Ratzinger a annoncé (à l’avance) sa démission à Napolitano : « Je n’en peux plus ».

Gian Guido Vecchi
Corriere della Sera
(Il Sismografo)

‘ancien président de la République savait une semaine à l’avance que Benoît XVI quitterait ses fonctions. C’était en février 2013. Une amitié née d’avoir eu « deux vies intégralement inscrites dans l’expérience historique du XXe siècle » –

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Giorgio Napolitano semblait ému, la voix fêlée. « Votre Sainteté, vous ne serez pas surpris si mes brèves paroles contiennent des accents d’émotion particulière… ». 

Salle Paul VI, 4 février 2013, concert à l’occasion du 84ème anniversaire des Pactes du Latran. Benoît XVI et le premier ancien président communiste de la République italienne se regardent dans les yeux. Ils se connaissent depuis des années, ont presque le même âge et leur amitié s’est développée au fil du temps, au-delà du respect institutionnel et des bonnes relations désormais établies entre les « deux collines » situées sur les rives opposées du Tibre, le Quirinal et le Vatican.

Le Président de la République rappelle « les rendez-vous, favorisés par un amour commun pour la musique, qui se sont succédé d’année en année » et explique que ce concert sera « pour moi » le dernier car « il coïncide avec la dernière partie de mon mandat ».

Depuis des jours, on écrit et on parle des adieux au Pape du Président qui se prépare à partir, et personne à ce moment-là ne peut se douter que c’est exactement le contraire qui est en train de se passer. Personne, sauf eux deux.

L’émotion de Napolitano ne dépend pas seulement de l’occasion. Avant le concert, ils se sont parlé en privé et Ratzinger lui a dit : « Je n’y arrive plus ».

Une semaine plus tard, le 11 février 2013, Benoît XVI annonce aux cardinaux et au monde entier sa « démission de la papauté ». A ce moment-là, le Président est le seul à savoir, en dehors d’un cercle très restreint de collaborateurs du Pape. Il a la même réaction de stupeur que le monde entier ressentira sept jours plus tard : « Mais ça n’est jamais arrivé… ».

Giorgio Napolitano en parlera des années plus tard, en 2018, dans une interview pour le livre d’Alessandro Acciavatti Oltretevere :

« À mon mouvement instinctif d’étonnement, il a simplement répondu qu’il se passait beaucoup de choses qui n’étaient jamais arrivées auparavant, dans de multiples domaines. Et puis, bien sûr, il m’a parlé de sa fatigue et donc de l’impossibilité réelle pour lui de continuer. J’ai ressenti une grande admiration et une grande solidarité à son égard ».

Pendant ces sept jours, Napolitano a gardé l’un des secrets les plus incroyables de l’histoire de l’Eglise.

Au printemps de cette année-là, le 20 avril, il sera le premier président de la République à être réélu pour un second mandat.

Ce qui devait être l’adieu du Président au Pape, rétrospectivement, était devenu l’inverse. Mais il ne s’agissait que d’un adieu formel, car Napolitano et Ratzinger ont continué à s’écrire et à se voir, au monastère Mater Ecclesiae du Vatican, où le pape émérite s’est retiré :

« Je suis resté admiratif devant la modestie et la sobriété de son bureau, qui reflétait son dévouement désormais total à l’étude et à la méditation ».

Dans l’interview avec Acciavatti, Napolitano explique comment cette amitié est née :

« Dans un court texte que j’ai écrit pour le volume consacré en 2013 aux discours de Benoît XVI Ragione e diritto, la singulière compréhension mutuelle et, à bien des égards, les points communs humains et idéaux entre nous m’ont semblé découler du fait que lui et moi avions vécu notre vie comme « intégralement inscrite dans l’expérience historique du 20ème siècle ». Une expérience qui avait traumatisé, jusqu’au milieu du siècle dernier, nos deux pays, l’Italie et l’Allemagne, et qui avait ainsi abouti à la vision, partagée par nous deux, « d’une nouvelle Europe enfin unie dans la paix et la liberté » « .

Dans ce même livre, Benoît XVI retrace ses relations avec Giorgio Napolitano et conclut : « L’Italie a certainement eu la chance d’être guidée dans des moments difficiles et au milieu de toutes sortes d’écueils par un tel homme ». 

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