Ce rappel du parcours en Terre Sainte du néo-cardinal que le conflit israélo-palestinien place en ce moment sous le feu des projecteurs, complète le portrait esquissé dans The Pillar que j’ai traduit la semaine dernière (cf. Papabili (I). Pizzaballa). C’est un homme de terrain et d’expérience, il a été nommé à la tête de la Custodie franciscaine de Terre Sainte une première fois en 2004, et renouvelé successivement par Benoît XVI, puis par François. Il y a témoigné de qualités de gestionnaire (il a assaini la situation financière de quasi-faillite que lui avait léguée son prédécesseur), et aussi de pasteur, comme l’ont illustré ses dernières interventions. Serait-il la bonne surprise des nominations de François??…

« Les chrétiens de Terre Sainte sont moins de 2 % alors que les juifs sont près de 7 millions. Notre vocation peut aussi s’exprimer sereinement en tant qu’Église minoritaire. Au cours de l’histoire, nous l’avons toujours été. Chaque fois qu’il y a eu une tentative de devenir fort et puissant – je pense à la saison des Byzantins d’abord et à celle des Croisés ensuite – les tentatives ont échoué. Je crois que c’est notre identité : là où le christianisme est né, les chrétiens doivent être à la frontière, ne pas avoir trop de pouvoir et témoigner de leur présence par leur mode de vie. C’est de là que passe l’Évangile. Seulement de là »

La frontière de Pizzaballa. Un franciscain à Jérusalem

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(Francesco Peloso, Domani)

Le patriarche latin a reçu la pourpre cardinalice des mains du pape François lors du consistoire du 30 septembre, quelques jours après le déclenchement du nouveau conflit entre le Hamas et Israël. Une vie passée au Moyen-Orient ; Pizzaballa a été custode franciscain de la Terre Sainte, a eu des relations avec Benoît XVI et François, et a dû rétablir le grave effondrement financier du patriarcat —

« Nous vivons, une fois de plus, malheureusement, des jours dramatiques, avec une intensité, une violence et une haine que nous n’avons jamais vues auparavant. Nous sommes consternés par tout ce qui s’est passé cette semaine et nous ne pouvons rien faire d’autre, dans ces circonstances douloureuses, que de nous unir à tous ceux qui souffrent, nos frères, nos sœurs, et surtout de nous tourner vers Dieu le Père ».

C’est par ces mots que le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, s’est adressé aux fidèles du diocèse de Côme dans un message vidéo le 18 octobre dernier ; Pizzaballa est le premier cardinal de la ville sainte, nommé fin septembre par le pape François avec 20 autres cardinaux.

Le patriarche a également proposé d’être échangé comme otage pour que les enfants soient libérés des mains du Hamas. « Pour ma part », a-t-il dit, « une disponibilité absolue ». Il a ensuite ajouté une considération plus politique concernant la crise actuelle :

« Nous devons trouver une issue, trouver un moyen de récupérer les otages. Nous devons le faire. Sinon, il sera très difficile d’arrêter ces développements. Nous sommes disponibles, nous pouvons aussi nous engager, nous sommes prêts, tout ce qui peut ramener un minimum de calme et de désescalade, nous sommes prêts ».

Avec Ratzinger et Bergoglio

Il a été nommé à la tête de la Custodie franciscaine de Terre Sainte une première fois en 2004 pour un mandat de six ans, puis il a été renouvelé à ce poste à deux reprises, en 2010 et en 2013 pour deux mandats de trois ans chacun.

Le néo-cardinal, franciscain, âgé de 58 ans, originaire de Cologno al Serio dans la province de Bergame, est en Terre Sainte depuis 1997 ; l’expérience, en somme, ne lui fait pas défaut. Il a été nommé à la tête de la Custodie franciscaine de Terre Sainte (présente depuis environ 1300 à Jérusalem, elle comprend les territoires d’Israël, de Palestine, de Jordanie, de Syrie, du Liban, d’Égypte, de Chypre et de Rhodes) une première fois en 2004 pour un mandat de six ans, puis il a été renouvelé à ce poste à deux reprises, en 2010 et en 2013 pour deux mandats de trois ans chacun.

En tant que Custode, il a accueilli Benoît XVI en Israël en 2009 et en 2010 lors de son voyage à Chypre. L’année précédente, en 2008, Ratzinger l’avait nommé consulteur de la Commission pour les relations avec le judaïsme au sein du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. À la tête des Franciscains de Terre Sainte, Pizzaballa a également fait la connaissance de l’archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, car la capitale argentine possède une Custodie (« commissariat ») avec un couvent et un collège.

En 2014, le père Pizzaballa a accompagné le pape François lors de sa visite à Jérusalem, et lui a d’ailleurs servi d’interprète lors d’entretiens avec diverses personnalités israéliennes hébréophones. Il a également fait partie des organisateurs de la rencontre de juin 2014 au Vatican entre le pontife lui-même, le président israélien Shimon Peres, le chef de l’Autorité nationale palestinienne Abou Mazen et le patriarche Bartholomée de Constantinople.

Une dette astronomique

En 2016, le pape l’a nommé administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem ; il succédait au patriarche jordanien Fwad Tawl, qui lui a légué un gros problème à résoudre : une dette de 100 millions de dollars. Une note publiée par le Patriarcat en 2020 clarifie la question en termes concrets :

« Ces dernières années, le Patriarcat latin de Jérusalem a accumulé un énorme déficit d’environ 100 millions de dollars, causé par une mauvaise gestion opérationnelle passée, liée à l’Université américaine de Madaba (la ville dont Twal est lui-même originaire, ndlr) en Jordanie.

Les dettes ont été contractées auprès de certaines banques et non auprès du Vatican ».

Pizzaballa, poursuit la note

« a été nommé administrateur apostolique afin de résoudre le problème. Au cours des quatre dernières années, une importante réorganisation administrative a été réalisée, avec des contrôles et des limitations internes appropriés ».

Cependant, compte tenu de l’ampleur de la dette,

« malgré de nombreux efforts pour trouver des fonds, il a semblé évident que la seule solution possible était la vente de certaines propriétés ».

Pour résoudre ce problème, on a pris en compte

« plusieurs propriétés en Jordanie, bien que la situation économique du pays ne soit pas bonne et que les prix soient bas ».

Comme il n’y a « pas assez de biens dans le Royaume hachémite pour payer toutes les dettes », la note précise:

« Une décision difficile a été prise – approuvée par toutes les instances compétentes, y compris les commissions internes du Patriarcat latin et du Saint-Siège – de vendre un terrain à Nazareth ». Plus de 100 dunams (10 hectares) de terres destinées à la communauté chrétienne de Nazareth ont été exclues de la transaction ».

La note concluait:

« La vente, à un homme d’affaires arabe a été faite selon des prix commerciaux et selon une évaluation formelle ».

Pizzaballa a commenté:

« Ces dernières années nous avons réorganisé l’économie du Patriarcat, avec des audits et des contrôles internes et externes. Nous avons fait tout ce qui est exigé d’une institution qui a près de deux mille salaires à payer chaque mois. Un chiffre très élevé, mais les dettes doivent être payées… Si le problème a été créé ici, c’est ici qu’il doit être résolu et nous devons prendre la responsabilité de payer ».

La politique d’assainissement a eu un coût en termes de ressources retirées aux communautés chrétiennes de la région, qui sont déjà en grande difficulté, mais elle a permis d’éviter la faillite de l’institution.

Le 24 octobre 2020, le pape a nommé Pizzaballa patriarche latin de Jérusalem, couronnant ainsi l’efficacité avec laquelle il avait géré la crise financière et sa longue expérience de la crise au Moyen-Orient.

Église minoritaire

Par ailleurs, parmi les défis auxquels le patriarcat est confronté, il y a celui de la diminution progressive de la composante arabo-chrétienne en Terre Sainte.

Les chrétiens de la région représentent moins de 2 % de la population, soit environ 150 000 personnes ; en 2021, les Arabes chrétiens vivaient principalement à Nazareth, où ils sont un peu plus de 21 000, à Haïfa (16 700), à Jérusalem (12 900) et à Shefar’am (10 500).

Dans un entretien accordé au mensuel Jesus à l’occasion de sa nomination comme patriarche, Mgr Pizzaballa a expliqué:

« Les chrétiens de Terre Sainte sont moins de 2 % alors que les juifs sont près de 7 millions. Notre vocation peut aussi s’exprimer sereinement en tant qu’Église minoritaire. Au cours de l’histoire, nous l’avons toujours été. Chaque fois qu’il y a eu une tentative de devenir fort et puissant – je pense à la saison des Byzantins d’abord et à celle des Croisés ensuite – les tentatives ont échoué. Je crois que c’est notre identité : là où le christianisme est né, les chrétiens doivent être à la frontière, ne pas avoir trop de pouvoir et témoigner de leur présence par leur mode de vie. C’est de là que passe l’Évangile. Seulement de là ».

Il a ensuite ajouté, à propos du sens même de se considérer comme une minorité :

« Quand on est minoritaire, il faut être proactif : il ne faut pas essayer de se défendre ou de se protéger. Je pense que c’est l’erreur que les chrétiens ont souvent commise au Moyen-Orient. L’important n’est pas de chercher à se protéger mais de faire des propositions. Celles-ci peuvent bien sûr être acceptées ou rejetées, mais elles marquent une présence vivante sur le territoire. Sans peur, avec sérénité, avec passion et, pourquoi pas, avec la fierté de son identité et de sa tradition ».

Le 30 septembre, le pontife l’a nommé cardinal, une première fois pour l’Église de Jérusalem. Fait d’une grande valeur historique et symbolique, le patriarcat a en effet été établi en 451, mais un patriarcat latin n’est né qu’à l’époque des croisades et a cessé d’exister en 1291, avec la fin de la présence des royaumes croisés en Terre sainte.

Sa restauration est due à Pie IX, en 1847, qui conclut un accord avec l’Empire ottoman, à une époque où le Moyen-Orient s’ouvre au monde, notamment en raison des intérêts coloniaux des puissances occidentales. S’il s’agit d’un passé lointain, le présent est fait de conflits violents, de migrations, de guerres et de faibles espoirs de paix.

Au lendemain de sa nomination comme cardinal, le patriarche expliquait dans une interview à l’agence missionnaire Asia news :

« Dans un contexte de conflit comme le nôtre, l’Eglise – et les religions en général – doivent avoir un rôle politique au sens élevé, elles doivent donner des lignes directrices, des indications, utiliser un langage qui ne soit pas exclusif, mais garder à l’esprit que nous appartenons à l’humanité commune et que nous devons partir de là. À Jérusalem, il y aura toujours des juifs, des chrétiens et des musulmans avec lesquels je devrai compter. Partir de l’hypothèse « moi et pas l’autre », c’est nier la réalité, donc nier ma foi en Dieu qui doit illuminer ma vie civile, et pas seulement ma vie religieuse ».

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