L’analyse lucide de Julio Loredo, sur le site de l’ATFP (Associazione Tradizione Famiglia Proprietà). Ceux qui s’attendaient à un document explosif, ouvrant aux revendications les plus extrêmes des factions progressistes (sacerdoce féminin, mariage homosexuel, droits LGBT…) ont été déçus, ou soulagés, selon les cas. En réalité, le rapport de synthèse vise à rien de moins que la constitution d’une nouvelle « Église synodale », dont il peut être considéré comme l’acte de naissance.

La naissance d’une nouvelle Église

Julio Loredo (atfp.it)
www.aldomariavalli.it/2023/11/11/latto-di-nascita-di-una-nuova-chiesa/

Le 29 octobre s’est achevée à Rome la première session du Synode sur la synodalité, avec la publication d’un « rapport de synthèse ».

Le document de clôture ne conclut rien et laisse tout en suspens. Cela a conduit certains à en minimiser l’importance: une révolution dans l’Église aurait été évitée.

Ceux qui s’attendaient à un document incendiaire, ouvrant aux revendications les plus extrêmes des factions progressistes, telles que le sacerdoce des femmes, le mariage homosexuel, les droits LGBT, etc. ont été déçus.

Le document de clôture ne conclut rien et laisse tout en suspens. Cela a conduit certains à en minimiser l’importance. Certains commentateurs conservateurs ont même chanté victoire : une révolution dans l’Église aurait été évitée. Les Allemands, en particulier, ont été très frustrés de voir que leur fameux Synodaler Weg ne comptait finalement pas pour grand-chose.

Il semble en effet qu’au sein de l’Assemblée synodale, il y ait eu quelques désaccords non négligeables, notamment de la part des représentants de l’Europe centrale et orientale, de l’Australie et du Tiers-Monde, et que cela ait plutôt refroidi l’ardeur des factions progressistes sur les questions les plus brûlantes, en particulier dans le domaine moral. En ce sens, le document peut représenter une demi-victoire.

Je me permets néanmoins de faire une lecture différente (et inquiète).

En réalité, le rapport de synthèse traite de l’essence même du processus synodal : la réforme de l’Église, visant à la constitution d’une nouvelle « Église synodale », dont le document peut être considéré comme une sorte d’acte de naissance. En ce sens, il revêt une importance historique. Le sacerdoce des femmes, le mariage homosexuel et d’autres questions similaires étaient en fait des points secondaires face au grand projet synodal, à savoir changer la structure même de l’Église dans ses trois axes fondamentaux : sa constitution hiérarchique, son enseignement et sa praxis; ou, si vous voulez, dans le munus regendi, docendi et sanctificandi. En ce sens, le Rapport de synthèse est un document profondément révolutionnaire.

Le rapport de synthèse est un document révolutionnaire, qui vise à la constitution d’une nouvelle « Église synodale », dont il constitue l’acte de naissance.

La nature révolutionnaire du document est évidente non seulement par ce qu’il affirme, mais plutôt par ce qu’il insinue. En effet, le Rapport ne présente pas de conclusions, mais soulève des questions, propose des orientations, ouvre la voie vers celles-ci et souffle dans cette direction : « L’Assemblée n’est pas un événement isolé, mais une partie intégrante et une étape nécessaire du processus synodal » [1].

C’est pourquoi il parle de « dynamique synodale », c’est-à-dire d’un processus continu. Cependant, une lecture attentive du Rapport montre une logique très profonde qui unit et donne sens à toutes les propositions. Il s’agit de l’Église « pneumatique », « charismatique » ou « prophétique » dont rêvent les courants les plus dynamiques du progressisme.

Dans ce sens, il est utile de lire l’analyse que Plinio Corrêa de Oliveira a faite en 1969 de la « Nouvelle Église » proposée à l’époque par les courants dits « prophétiques ». Les parallèles avec le processus synodal actuel sont surprenants [cf. www.atfp.it]. Nous pouvons également déceler des parallèles surprenants avec le modèle de l' »Église pneumatique » proposé par les courants les plus récents de la théologie de la libération.

Une nouvelle façon de « faire Église »

La révolution synodale commence par le déroulement de l’Assemblée. Marshall McLuhan disait que « le médium est le message ». Nous pouvons dire que le synode EST la révolution. En d’autres termes, la manière même dont l’Assemblée s’est déroulée montre la nouvelle ecclésiologie.

Le Synode sur la synodalité a inauguré une nouvelle façon de « faire Église ». « Dans cette première session, nous avons pu faire l’expérience [du Synode], nous avons pu vivre ensemble avec un seul cœur et une seule âme. (…) Dans la multiplicité des interventions et la pluralité des positions, l’expérience d’une Église qui apprend le style de la synodalité a résonné ».

La disposition même de la salle synodale a été conçue pour traduire cette nouvelle ecclésiologie, circulaire et non plus pyramidale : « La manière même dont l’Assemblée s’est déroulée, à commencer par la disposition des personnes assises en petits groupes autour de tables rondes, est emblématique d’une Église synodale ».

Dès l’introduction, le rapport explique que le baptême nous rend « un », puisque nous vivons tous de la même vie de l’Esprit Saint. Sans l’affirmer – mais en le laissant entendre à plusieurs reprises – le rapport laisse entendre que cela établit une égalité de fond au sein du « Peuple saint de Dieu ». Les différences dans l’Église seraient des « ministères » différents, sans que cela ne caractérise une véritable « hiérarchie ». Le pape lui-même, comme nous le verrons, serait presque un point de référence : « Nous nous sommes réunis à Rome autour du successeur de Pierre ».

Une nouvelle « Église synodale »

La « synodalité », concept répété pas moins de 192 fois ( !), devient la clé pour réinterpréter toute l’Église. En d’autres termes, toute l’Église doit être repensée selon une clé « synodale » : « Les termes « synodal » et « synodalité » indiquent une manière d’être Église qui articule communion, mission et participation », c’est-à-dire tout. Il y a donc une « manière synodale » de diriger l’Église, une « manière synodale » de présenter sa doctrine, une « manière synodale » d’accomplir ses rituels, une « manière synodale » de prier, et ainsi de suite.

La synodalité – c’est-à-dire la manière dont les fidèles sont en relation les uns avec les autres – devient ainsi le fondement même de l’Église, au détriment de toute structure : « C’est précisément cette expérience et ce désir d’une Église plus proche des gens, moins bureaucratique et plus relationnelle qui ont été associés aux termes « synodalité » et « synodal » ». Il appartiendrait au processus synodal d’esquisser « le visage de l’Église synodale, en présentant les principes théologiques qui éclairent et fondent la synodalité ». Le style de la synodalité apparaît ici comme une manière d’agir et de fonctionner dans la foi ».

L’expérience

Le terme « expérience » est utilisé pas moins de 53 fois dans le Rapport, et constitue un fil rouge. Tout naît, se développe et s’achève dans l’« expérience » des fidèles, dans l’ « expérience vécue ». L’Assemblée générale du Synode n’était pas destinée à définir une doctrine, mais à « faire l’expérience de la synodalité », à « faire l’expérience du partage », à « faire l’expérience de l’humain », à « faire l’expérience de la rencontre », etc.

Cet appel constant à l’ « expérience » – au détriment de la recherche théologique, ou du moins rationnelle – rappelle l’hérésie moderniste du début du XXe siècle. Les modernistes niaient que l’homme puisse parvenir à la connaissance de Dieu (agnosticisme), et fondaient la Foi sur le « sentiment religieux », c’est-à-dire sur l’expérience du divin agissant dans l’âme. Nous lisons dans le Programme des Modernistes :

« La connaissance religieuse est l’expérience réelle du divin agissant en nous et en toute chose ».

[Ernesto BUONAIUTI], Il Programma dei Modernisti, s/e, 1907

Ainsi, toute possibilité d’une Vérité objective est éliminée à la racine. L’Église elle-même serait un produit de l’expérience collective, c’est-à-dire l’association de consciences individuelles qui mettent en commun leurs expériences religieuses. En bref, l’Église serait une émanation vitale de la collectivité des fidèles, et non une société surnaturelle directement fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Une Église charismatique

Selon le rapport, nous devrions expérimenter concrètement le souffle de l’Esprit Saint, qui est l’âme du Synode et de l’Église. Attention cependant : il ne s’agit pas d’étudier la théologie de l’Esprit Saint, mais de ressentir son action immanente. C’est pourquoi, dans les cercles mineurs (les tables rondes), on s’arrêtera de temps en temps pour se recueillir et entendre la voix de l’Esprit au plus profond de son âme : « La conversation dans l’Esprit est un instrument qui, même avec ses limites, est fécond pour permettre une écoute authentique et discerner ce que l’Esprit dit aux Églises ».

L’action de l’Esprit Saint, conséquence du Baptême que reçoivent tous les croyants, assure l’égalité de tous dans l’Église, en éliminant pratiquement toute hiérarchie. Le souffle de l’Esprit est le même chez le pape et chez les laïcs : « Nous avons tous été baptisés par un seul Esprit pour former un seul corps. C’est pourquoi il existe entre tous les baptisés une véritable égalité de dignité et une responsabilité commune pour la mission ». L’existence de différentes « vocations » dans le Peuple de Dieu n’invalide pas cette égalité fondamentale, car elle constitue simplement un « signe charismatique ».

L’Esprit étant unique, cette action dans les âmes doit conduire à un consensus entre les fidèles. Ce consensus devient le critère de la Vérité et de la praxis dans l’Église : « Par l’onction de l’Esprit, tous les croyants possèdent un instinct pour la vérité de l’Évangile, appelé sensus fidei. Il consiste en une certaine connaturalité avec les réalités divines et en l’aptitude à saisir intuitivement ce qui est conforme à la vérité de la foi. Les processus synodaux valorisent ce don et permettent de vérifier l’existence de ce consensus des fidèles (consensus fidelium) qui constitue un critère sûr pour déterminer si une doctrine ou une pratique particulière appartient à la foi apostolique ».

C’est pourquoi le rapport, tout en occultant les aspects structurels, met l’accent sur la « dimension charismatique de l’Église ». Et il affirme : « Le peuple saint de Dieu reconnaît [dans les charismes] l’aide providentielle avec laquelle Dieu lui-même soutient, oriente et éclaire sa mission ».

Ainsi, comme le prévoyaient les courants « prophétiques » depuis les années 1960, l’Église est fondée non pas sur le triple munus de la hiérarchie, mais sur les charismes de l’Esprit, qui « souffle où il veut ».

Une nouvelle conception des sacrements

Dans cette optique, les sacrements revêtent un caractère « communautaire », c’est-à-dire « synodal ». Par exemple, la Messe ne serait plus un renouvellement du sacrifice du Calvaire, mais une réunion du Peuple de Dieu : « La célébration de l’Eucharistie, surtout le dimanche, est la première et fondamentale modalité de rassemblement et de rencontre du Peuple saint de Dieu. Là où elle n’est pas possible, la communauté, tout en la désirant, se rassemble autour de la célébration de la Parole ».

L’Église : une « communion d’Églises »

Dans la logique d’une « Église charismatique », c’est aussi toute la structure qui change. Refusant tout « cléricalisme », le Rapport passe en revue tous les secteurs de l’Eglise, en les réinterprétant sous ce nouveau jour.

Par exemple, sans nier que l’évêque est le successeur des apôtres, le rapport réinterprète son rôle : « L’évêque est mis au service de la communion qui se réalise dans l’Église locale. (…) Il a notamment pour tâche de discerner et de coordonner les différents charismes et ministères suscités par l’Esprit pour l’annonce de l’Évangile et le bien commun de la communauté. Ce ministère est exercé de manière synodale lorsque la gouvernance est exercée en coresponsabilité ».

En d’autres termes, l’évêque perd le pouvoir de gouverner, d’enseigner et de sanctifier son diocèse, et est réduit à la situation de « facilitateur » [modérateur] des charismes qui traversent son troupeau. L’évêque, dit le rapport, doit « initier et animer le processus synodal dans l’Église locale, en promouvant la circularité ».

La logique de l’ « Église charismatique » affecte également le rôle du pape : « La dynamique synodale jette une lumière nouvelle sur le ministère de l’évêque de Rome. La synodalité, en effet, articule de manière symphonique les dimensions communautaire (« tous »), collégiale (« quelques-uns ») et personnelle (« un ») de l’Église aux niveaux local, régional et universel. Dans une telle vision, le ministère pétrinien de l’évêque de Rome est intrinsèque à la dynamique synodale, tout comme l’aspect communautaire qui inclut l’ensemble du peuple de Dieu et la dimension collégiale du ministère épiscopal ».

Ainsi se dessine le modèle d’une nouvelle Église. Puisque tout le « Peuple saint de Dieu » est animé par l’Esprit Saint, chaque structure dans laquelle les fidèles se rencontrent constitue une « Église » : la famille, la paroisse, le diocèse, la nation, le continent, et ainsi de suite jusqu’à l’Église universelle, qui apparaît ainsi comme une « Communion d’Églises ». Ainsi, indépendamment de ce qui se pratique ou se dit encore ailleurs aujourd’hui, l’Église conjecturée par le « Rapport de synthèse » synodal abandonnera sa structure hiérarchique, et prendra les traits d’un réseau de communautés, non plus unies par une même autorité et un même magistère, mais librement animées par le souffle de l’Esprit.

[1] Toutes les citations (en italique) sont extraites du texte officiel publié sur le site du Vatican: ICI

La version originale est en italien. Pour l’instant, seules les versions anglaise et polonaise sont disponibles. Résumé en français ici: https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2023-10/synode-synodalite-document-final-synthese.html

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