Suite du feuilleton, et c’est très intéressant (premiers épisodes ici: L’interview perdue (puis retrouvée) du cardinal Müller).
Pour comprendre ce qui suit, il faut savoir que le site katholisch.de se présente comme « le portail d’information de l’Église catholique en Allemagne ». Il suffit de lire l’article plein de fiel et parcouru d’une méchante ironie, signé d’un certain Felix Neumann, publié sur le portail le 9 novembre pour deviner qu’il est géré par les ultra progressistes du Synodal Weg, Batzing & cie. Et que ceux-ci détestent le cardinal Müller.
Voilà donc qu’ils se déchaînent contre l’interview publiée sur Life Site News, le 8 novembre, puis disparue, ce que j’avais immédiatement remarqué (en toute modestie). Après quoi l’interview est réapparue, ce que j’ai également signalé dès que je m’en suis aperçue.
J’ignore les raisons de ces aller-retours, mais le fait est que la remise en ligne de l’interview de Life Site News démolit en grande partie l’argumentation du nommé Felix Neumann (a-t-il fait une mise à jour?), et la rend obsolète. Apparemment, et contrairement à ce qu’il insinue, le cardinal Müller assume ses propos.
Dans sa rage, Neumann n’hésite pas à utiliser contre le cardinal l’accusation qui tue, surtout en Allemagne, l’antisémitisme.
Ambiance…

UNE INTERVIEW AVEC UNE CRITIQUE VIRULENTE DE FRANÇOIS MISE HORS LIGNE

katholisch.de

Müller accuse le pape François d’hérésie – c’est sans doute allé trop loin
Depuis qu’il a été limogé par François, le cardinal Gerhard Ludwig Müller s’impose dans l’espace public comme détracteur le pape et se pose en contre-penseur. Ses critiques sont de plus en plus virulentes – il semble désormais avoir dépassé les bornes. Une interview particulièrement explicite a disparu.

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Bonne nouvelle pour le pape François : il peut rester pape pour le moment – c’est du moins l’avis du cardinal Gerhard Ludwig Müller. Même si François n’a cessé de propager une multitude d’hérésies, il n’y a pas d’acte d’hérésie formel pour qu’il perde sa fonction, a constaté l’ancien dogmatique en chef du Vatican dans une interview publiée mardi par la plateforme américaine réactionnaire et anti-papiste « LifeSiteNews« . Si tant est qu’il l’ait dit. Car même si la critique acerbe du pape sur un ton complaisant correspond à l’attitude de Müller, l’interview, dont katholisch.de dispose de la version publiée à l’origine, n’est plus disponible en ligne depuis mercredi. Elle a été retirée du site sans commentaire et l’adresse ne renvoie plus qu’à un message d’erreur.

L’authenticité de l’interview est confirmée par le fait qu’il [Müller] met régulièrement à disposition du portail des contenus exclusifs et qu’il autorise des publications ultérieures. Il est toutefois possible que la dernière interview contienne trop d’explosifs, même pour Müller.

Le pape encouragerait une « hérésie de fait » en soutenant et en tolérant indirectement la bénédiction des couples de même sexe. Pourquoi le pape s’affiche-t-il par exemple avec des militants LGBT et non avec un père, une mère et leurs cinq enfants, demande le cardinal. C’est bien connu: les hérésies ouvertes sont rarement enseignées. Au lieu de cela, elles sont introduites par la voie de la pastorale. En outre, le pape envoie son nouveau préfet de la foi : ce que le cardinal Víctor Fernández a dit sur la communion des divorcés remariés est à la limite de l’hérésie formelle.

Il ne rejette pas les mythes conspirationnistes qui circulent depuis l’élection du pape François, selon lesquels l’élection du pape n’est pas valide. Ses interlocuteurs évoquent la variante de prétendus accords illicites entre les électeurs progressistes du pape. Müller indique qu’il est difficile de juger si l’élection était valide ou non, « mais à la fin, il a été clairement élu par la majorité, et il n’y a pas eu d’objections qualifiées à la procédure », déclare Müller, qui n’a été élevé au rang de cardinal que par François et n’a donc pas participé lui-même au conclave de 2013. Même s’il y avait eu des irrégularités lors de l’élection, elles seraient de facto réparées par le fait que François exerce son mandat de pape. Pour Müller, le plus grand problème des doutes sur la légitimité du pape François est le chaos qu’ils engendreraient. Les objections feraient plus de mal que de bien, et c’est là qu’il faut garder à l’esprit le bien de l’Eglise.

Des relations froides avec le pape déjà quand il était préfet de la foi

Depuis sa révocation surprise en tant que préfet de la foi en 2017, au terme de son premier mandat de cinq ans, Müller se positionne de plus en plus clairement comme un opposant au pape François. Les relations entre le conservateur allemand et le progressiste argentin étaient déjà froides lorsqu’il travaillait à la Congrégation pour la doctrine de la foi. En 2015, Müller a déclaré dans une interview qu’il se considérait comme une sorte de pompier d’un pontificat théologiquement chaotique : « Le pape François est très pastoral, et la Congrégation pour la doctrine de la foi a pour mission de structurer théologiquement un pontificat ». Il est peu probable que cela lui ait attiré la sympathie du pape.

D’un point de vue ecclésiologique, Müller évolue sur une ligne étroite : quand il est le gardien de l’orthodoxie, il ne peut pas passer à côté des dogmes papaux de Vatican I. La primauté de juridiction et d’enseignement impose des limites étroites à la critique épiscopale du pape et à son action souveraine. Des déclarations telles que celle selon laquelle un pape « ne peut pas faire tout ce qu’il veut » sont en contradiction avec les vastes pouvoirs dogmatiques de l’évêque de Rome, comme l’a expliqué le spécialiste du droit canonique Norbert Lüdecke dans une tribune publiée par katholisch.de. En tant que dogmaticien, Müller peut défendre des positions scientifiques comme n’importe quel théologien, en tant que catholique, il peut émettre des critiques comme n’importe quel croyant, en tant qu’évêque et cardinal, il peut donner des conseils au pape de manière collégiale. Mais quand il était préfet de la foi, il n’avait déjà qu’une fonction de service pour le pape et non de contrôle – d’autant moins maintenant.

L’opposition au pape n’a cessé de s’aggraver au cours des dernières années. La seule fonction ecclésiastique que Müller exerce actuellement ne semble pas le combler : en 2021, le pape François a désigné ce dogmaticien ne disposant d’aucune qualification en droit canonique comme juge à la Signature apostolique, le tribunal suprême de l’Église. Depuis, le dogmaticien ne s’est pas fait remarquer par ses contributions à la canonistique, mais par sa grande conscience de sa mission : l’Eglise ne peut pas se passer de l’expertise théologique exceptionnelle du cardinal Müller. C’est ce que pense le cardinal Müller. En 2019, il a publié un manifeste de la foi « face à la confusion qui se propage dans l’enseignement de la foi » – selon Müller -, en réponse à la supplique de nombreux évêques, prêtres, religieux et laïcs pour un « témoignage public de la vérité de la révélation ».

L’année suivante, il a signé un manifeste de l’ancien nonce américain et archevêque Carlo Maria Viganò, qui contenait tous les clichés classiques des mythes conspirationnistes d’extrême droite : D’inquiétantes « puissances étrangères » et des « entités supranationales », une « politique de réduction drastique de la population », un « prélude à la création d’un gouvernement mondial » prétendait Viganò, Müller a signé. Plus tard, il s’est distancié à demi-mot et a qualifié le document d' »appel à la réflexion » qu’il avait signé parce qu’il ne voulait pas désavouer brutalement Viganò, qui avait été « malmené ».

Mais en 2021, Müller en a remis une couche en déclarant dans une interview que la pandémie de Covid était utilisée pour « mettre les gens au pas » et les soumettre à un « contrôle total ».

Les déclarations de Müller ont été perçues, entre autres, par le délégué à l’antisémitisme du gouvernement fédéral, Felix Klein, et le Conseil central des Juifs comme des codes antisémites. La Conférence des évêques allemands (DBK) a également pris clairement ses distances. Müller, quant à lui, s’est montré offensé et a rejeté la critique. Elle provient de personnes « qui ne savent même pas comment ouvrir une Bible en hébreu, et encore moins lire une phrase, qui accusent ensuite un professeur de théologie chevronné d’antisémitisme et qui ne connaissent en fait rien de l’Ancien Testament ».

Le pape ignore et embrasse

Le pape François semble continuer à miser sur sa politique d’ignorance et d’accolades : la nomination à la Signature apostolique a été suivie cette année par la nomination de Müller comme membre du Synode mondial. Mais François n’a pas été remercié pour l’intégration de son détracteur. Quand Müller a été le premier évêque parmi les synodaux à s’exprimer publiquement après le début du Synode mondial, il s’est même montré modérément positif. Les expériences de son groupe de travail ont été très bonnes. Mais en même temps, il a posé l’ancre pour les critiques ultérieures : la vision du monde de Müller implique que tous ceux qui ne suivent pas l’enseignement de l’Eglise, et donc sa position, sont dirigés de l’extérieur par des cercles obscurs et des intrigues pontificales. Il faut attendre de voir dans quelle direction le synode va finalement s’orienter et « quelles décisions seront prises en coulisses ».

Par la suite, Müller ne s’est pas non plus montré très respectueux de la réserve imposée par le pape aux membres du synode en public. Son intervention dans l’aula du synode est devenue publique avec sa permission, contrairement au règlement. Il a justifié sa violation de la confidentialité en disant qu’il n’y avait pas non plus de secret pontifical « pour les hérétiques et les mondialistes ». Régulièrement, Müller s’est exprimé tout au long du synode, notamment pour mettre en garde contre une « prise de contrôle hostile » de l’Eglise par la « folie LGBT », mais aussi pour revendiquer le port de la soutane dans l’aula synodale.

Kardinal Gerhard Ludwig Müller verlässt in Soutane die Synodenaula
Le cardinal Gerhard Ludwig Müller quitte l’aula synodale en soutane.
Même si presque tous les autres évêques présents portent un costume noir, pas lui. En matière de mode aussi, le cardinal Müller est un confesseur [de la foi]

Au Vatican, Müller semble manquer de caisse de résonance. Le pape a jusqu’à présent ignoré ses interventions. Le successeur de Müller, le préfet de la foi Fernández, s’en tient à sa ligne, indifférent aux accusations d’hérésie : son dicastère publie des réponses aux questions critiques de l’entourage de Müller. Pas plus tard que mardi, une lettre a été publiée, dans laquelle le dicastère de la foi a clairement souligné que les croyants queer peuvent en principe aussi être considérés comme parrains et témoins de mariage, et que le transsexualisme n’est pas un obstacle à la réception du baptême. Müller ne trouve plus d’écho que dans la bulle réactionnaire des opposants au pape, très proche de l’extrême droite américaine, et dans le cercle d’autres évêques égarés comme Viganò et le Texan Joseph Strickland.

La raison pour laquelle la dernière interview a été supprimée reste pour l’instant inconnue. Une demande de katholisch.de adressée à la journaliste qui a réalisé l’interview est restée sans réponse, tout comme celle adressée au cardinal Müller lui-même.

Peut-être l’interview supprimée est-elle le signe que même le cardinal Müller connaît des limites – ou qu’on lui en montre.

Felix Neumann

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