Décidément, Lucetta Scaraffia, dite « la féministe du Vatican » a des comptes à régler avec François (sans doute pour ne rien avoir fait de concret pour changer la place des femmes en général – et d’elle-même en particulier – dans l’Eglise). Après l’interview au très mondialiste HuffingtonPost (cf. Un Pape catastrophique) elle récidive avec un portrait-bilan grinçant et assez juste, à quelques détails près..
Curiosité, l’article est publié dans La Stampa, qui fut un soutien inconditionnel de François de la première heure, au point d’avoir ouvert en 2013 une section spéciale coordonnée par Andrea Tornielli (qui a eu une belle carrière depuis) « Vatican Insider » consacrée à la promotion exclusive du « pape venu du bout du monde »

De l’humble jésuite au pape-roi de l’Église

La parabole de François le faux novateur

Lucetta Scaraffia
La Stampa, 18 décembre 2023
(via Korazym.org)

La condamnation de Becciu est le succès du pontife qui a changé les règles pour gagner. Mais les contradictions de Bergoglio, qui a décidé de régner en roi de l’Église, sont nombreuses

Il s’est construit une image publique de réformateur avec l’aide des médias et en exploitant l’ignorance croissante de la tradition religieuse.
Il a déclaré que la communion devait être donnée aux mères célibataires. Mais je me demande, qui a bien pu la leur retirer?

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Il ne fait aucun doute que pour le pape François, le plus beau cadeau d’anniversaire a été la sentence condamnant le cardinal Becciu. Il y a trois ans, il l’avait déclaré coupable sur la base des accusations d’un hebdomadaire, lui retirant sa charge et ses prérogatives cardinalices, de sorte que pour Bergoglio, il aurait été vraiment grave que le procès long et tourmenté qui s’en est suivi se termine par un acquittement. En réalité, le risque était là, et il était fort, car Becciu a été condamné pour des fautes sur lesquelles, de l’avis de presque tous les observateurs présents aux longues séances du procès, celui-ci a jeté de nombreux doutes décisifs : et cela malgré le fait que le pape lui-même soit intervenu quatre fois au cours du procès pour modifier les règles afin de les rendre plus utilisables au détriment de l’accusé. Tout le monde sait que dans un État de droit, de telles modifications ne sont pas permises dans des procédures déjà en cours, mais au Vatican, le pape-roi a toujours raison et l’État de droit est manifestement une denrée inconnue.

Jorge Mario Bergoglio semble aujourd’hui très différent du pontife élu il y a dix ans, lorsque, pour la première fois, un jésuite originaire d’un continent non européen, l’Amérique latine, est monté sur le trône de Pierre.

Au départ, il se présentait presque comme un modeste prêtre de la ville, qui n’arrivait pas à s’habituer au luxe du Vatican, à l’isolement du monde commun auquel la haute fonction le destinait. Il avait choisi de vivre à l’hôtel, de se déplacer dans une voiture modeste, de voyager en portant à la main, dans un vieux sac, son bagage de papiers divers.

Autant de choix qui étonnent et plaisent, sauf au Vatican où ils ne manquent pas de créer de nombreuses complications cérémonielles ainsi que de nombreux problèmes liés à la sécurité du pontife. C’est ainsi qu’a commencé son opposition au monde curial, que Bergoglio a lui-même exacerbée par des actes de réforme confus et souvent contradictoires. En substance, un pape qui parle tant en public d’un esprit synodal au sein de son petit État a initié des pratiques de commandement en tant que pape-roi, ignorant les organes traditionnels qui auraient dû partager ses choix – en premier lieu la Secrétairerie d’État – pour les remplacer par des personnes choisies personnellement, souvent en dehors de la hiérarchie ecclésiastique et souvent après un court laps de temps, démises de leurs fonctions.

Mais l’effet de cette manière autocratique de gouverner ne s’est fait sentir qu’avec le temps.

Au cours des premières années, une série d’interventions inattendues et bienvenues – comme son départ pour Lampedusa immédiatement après le naufrage qui a coûté la vie à de nombreux migrants – lui ont assuré la sympathie de l’opinion publique et ont créé un climat d’espoir. Un pape qui a le cœur sur la main, désireux de réformer l’Église, de l’ouvrir aux temps nouveaux et de réparer les nombreuses erreurs du passé : telle était l’image publique de Bergoglio au cours de ses premières années. Cette image s’est également construite grâce à de nombreuses interviews habiles, à des apparitions à la télévision dans des programmes à succès qui n’étaient pas nécessairement religieux, et à une succession de livres de lecture facile.

Son encyclique la plus récente et la plus importante est sans aucun doute Laudato sì, dans laquelle le pape embrasse le projet de la lutte écologiste, en acceptant quelque peu ses thèses sans les critiquer, mais en y apportant une innovation importante. En effet, François a mis sous les yeux du monde entier une réalité cachée : ce ne sont pas les pays riches, où des voix d’alarme se sont élevées, mais les pauvres qui se sont tus parce qu’ils n’avaient pas la force ou les moyens de se rebeller. Ce fut sans doute sa saison la plus heureuse. Cependant, même à ce moment-là, il y a eu ce qui est devenu la réaction habituelle à ses interventions : François est plus apprécié par les non-croyants que par les catholiques, des non-croyants qui ne semblent d’ailleurs pas du tout attirés par la religion catholique. En Europe du moins, les églises se vident de plus en plus vite, et l’Église prend de plus en plus l’allure d’une institution à la dérive.

Bien sûr, il s’agit d’une crise à laquelle le scandale des abus sexuels sur des mineurs et des religieuses, qui se sont multipliés, n’est certainement pas étranger.

Face à ce problème, Bergoglio a choisi une stratégie que l’on pourrait qualifier de familière : des condamnations sévères en paroles, un soutien de fond en réalité et même des déclarations de solidarité lorsque les auteurs des abus sont ses amis.

Il en va de même pour les femmes : des déclarations solennelles sur leur importance dans la vie de l’Église, sur la nécessité de leur ouvrir des rôles importants, mais dans la pratique, il leur attribue des postes qui ne sont pas vraiment influents et les désigne toujours pour leur obéissance. Il n’a jamais songé, par exemple, à s’ouvrir à l’écoute d’associations de religieuses combatives et pleines d’idées qui pourraient apporter une réelle contribution à l’Église. Avec les femmes, Bergoglio a aussi souvent appliqué une méthode utilisée pour d’autres questions : proclamer comme des ouvertures novatrices des transformations fondamentales qui, en réalité, ont déjà lieu depuis des années, comme la nomination de femmes au pastorat. La même chose s’est produite en ce qui concerne la possibilité de baptiser les personnes transgenres : quand un chrétien a-t-il jamais refusé le baptême à une personne qui voulait changer de vie en acceptant la morale catholique ? Et encore : il a proclamé que la communion devait être donnée aux mères célibataires : mais je me demande, qui donc leur a déjà retiré la communion ?

Le fait est que l’ignorance croissante de la tradition religieuse, d’une part, et une presse très complaisante, d’autre part, lui permettent régulièrement de célébrer chacune des déclarations que nous venons de citer comme des ouvertures révolutionnaires.

Enfin, en matière de politique étrangère, où il s’est très souvent engagé, seule la définition heureuse du pape d’une « troisième guerre mondiale par morceaux » a été couronnée de succès, je dirais, tandis que ses tentatives de médiation ont révélé sa difficulté à nourrir des perspectives autres que celles typiques d’un Argentin imprégné de préjugés anti-américains.

En fait, François a été très habile pour éviter les questions qui provoquent la controverse, comme celles relatives à la bioéthique, sur lesquelles il s’est en fait exprimé très rarement et toujours de manière strictement traditionnelle. Seule son image publique bien ancrée de novateur a permis aux médias de laisser chaque fois ces déclarations dans l’ombre, comme ce fut le cas par exemple pour celles contre l’avortement.

Bref, après presque onze ans, les nœuds d’un pontificat souvent contradictoire, qui a liquidé une tradition curiale qui avait un certain mérite si l’Église existait depuis deux mille ans, remontent tous à la surface.

Et ils rendent malheureusement ces années plus difficiles pour un homme désormais âgé et malade, à qui l’on ne peut cependant que souhaiter de ne pas laisser trop de problèmes à son successeur.

Lucetta Scaraffia

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