A la veille du premier anniversaire de sa mort, l’hommage – bien résumé dans le titre, qui n’est pas que de pure forme – d’un moine bénédictin italien, sur le blog de Sabino Piaciolla. Il nous offre l’occasion de relire le Testament spirituel du Saint-Père (cf. Annexe)

Les trois aspects dominants de la figure de J. Ratzinger – le théologien exigeant, le gardien infatigable de la foi, le pasteur soucieux du bien de l’Église universelle – trouvent leur point de convergence et leur origine dans le fait qu’il a été un homme de prière, comme le démontrent ses dernières années. À la fin de sa vie, dans un cadre monastique, il a fait de la prière le moment déterminant de sa vie. La dernière étape ou le couronnement de la vie de Joseph Ratzinger n’a donc pas été le trône de Pierre, mais le monachisme, en tant que vie centrée sur la prière, c’est-à-dire au cœur de la christologie et de la foi christologique.

Benoît XVI théologien, pasteur et moine. A un an de sa mort

www.sabinopaciolla.com/benedetto-xvi-teologo-pastore-e-monaco-un-anno-dalla-morte/

. . . . . .

Dom Giulio Meiattini OSB (*)

Exactement un an après la mort du bien-aimé Pontife Benoît XVI, mes pensées reviennent surtout à son Testament spirituel, avec lequel il nous a tendu la main une dernière fois avec la pénétration, la pertinence et la lucidité incomparables de ses paroles et de son écriture. Dans ces lignes, qu’il vaut la peine de relire et de méditer, il invitait d’abord sa patrie, l’Allemagne, puis l’Église tout entière, à garder la foi. Il a écrit : « Ce que j’ai dit auparavant à mes compatriotes, je le dis maintenant à tous ceux qui, dans l’Église, ont été confiés à mon service : restez fermes dans la foi ! » Par ces mots, il reprenait littéralement une exhortation biblique que l’on retrouve à plusieurs reprises et avec de légères variations dans le Nouveau Testament : dans les lettres de saint Paul (« demeurez fermes dans la foi » : 1 Co 16,13 ; Col 2,7), dans celles de saint Pierre (« résistez-lui [au diable], demeurez fermes dans la foi » : 1 P 5,9), dans les Actes des Apôtres (Paul et Barnabé « exhortaient les disciples à demeurer fermes dans la foi » : 14,21). La répétition insistante de cette exhortation dans les pages testamentaires du pape émérite ne peut être comprise que dans le contexte de la crise profonde et de la perte de la foi qui affecte non seulement le « monde » d’aujourd’hui, mais aussi la maison de Dieu qu’est l’Église.

Cette recommandation solennelle, parce qu’elle était contenue dans un testament, était le couronnement d’une vie entière consacrée au service de la foi en Jésus-Christ. L’énorme tâche que Joseph Ratzinger a consciemment entreprise a été de reproposer le caractère raisonnable et en même temps absolu et pérenne de la foi chrétienne, dans un cadre historique où elle est de plus en plus assimilée à quelque chose d’optionnel, de superflu, de purement privé ou tout simplement de dépassé et d’anachronique. Ou, pire encore, elle est présentée, même par quelques théologiens et pasteurs « catholiques », d’une manière déformée et méconnaissable. Ceux qui veulent bien lire la monumentale biographie consacrée à Benoît XVI par l’écrivain et journaliste Peter Seewald se rendront compte que Ratzinger, précisément en raison de sa défense et de sa réinterprétation intelligentes de la foi catholique, a été à maintes reprises la cible d’attaques spécieuses, voire calomnieuses.

Joseph Ratzinger-Benoît XVI a servi la foi dans de nombreux rôles et sous de nombreuses formes : d’abord en tant que théologien et conférencier, puis en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et enfin en tant que souverain pontife et successeur de Pierre. Il ne faut cependant pas oublier la dernière phase de son existence, celle qu’il a vécue pendant presque dix ans « dans l’enceinte de Pierre », selon sa propre expression, après avoir renoncé au ministère pétrinien. C’est peut-être précisément cette dernière période qui a mis en lumière l’aspect le plus profond sur lequel reposait son service théologique et pastoral. En se retirant à la vie monastique dans le petit monastère vaticanais Mater Ecclesiae, qui, pendant de nombreuses années, a abrité alternativement plusieurs communautés cloîtrées de femmes, Ratzinger-Benoît XVI s’est concentré sur la prière. Devant le monde entier, il a ainsi mis en évidence le caractère essentiel de la prière, en tant que source d’alimentation de la foi et en même temps son expression et sa mise en œuvre les plus originales. La foi, en tant que réponse au Dieu qui se révèle et se communique, est en elle-même un acte de prière et d’adoration. C’est la prière qui fait le croyant et, sans elle, ni la théologie ni la pastorale ne peuvent être fécondes et connectées. Le service ecclésial du théologien et celui des pasteurs, des évêques et des prêtres, trouvent dans la prière leur racine commune, sans laquelle la théologie et la pastorale ne pourront jamais s’entendre. La rupture schizophrénique entre la doctrine et les méthodes pastorales, dont nous souffrons aujourd’hui, trahit leur déconnexion de la prière.

Ratzinger lui-même, dans certains de ses écrits théologiques, avait fait remonter le nœud central de la foi, la christologie, à la prière de Jésus. L’invocation du Père est le geste-parole synthétique et le plus révélateur de l’identité du Fils fait homme. Le dogme christologique exprimé à Nicée et à Chalcédoine, comme Ratzinger l’a lui-même illustré à plusieurs reprises, est une interprétation et une clarification en langage métaphysique de l’être de prière de Jésus. Le Logos divin est intimement prière et toute compréhension et proclamation du Logos fait chair ne peut se faire que par la participation à sa propre relation de prière exprimée dans l’invocation Abba. La prière a donc une affinité étroite avec la raison humaine, qui est un reflet du Logos éternel, dans l’articulation étroite de ratio-oratio-relatio.

Conformément à cette vision, les trois aspects dominants de la figure de J. Ratzinger – le théologien exigeant, le gardien infatigable de la foi, le pasteur soucieux du bien de l’Église universelle – trouvent leur point de convergence et leur origine dans le fait qu’il a été un homme de prière, comme le démontrent ses dernières années. À la fin de sa vie, dans un cadre monastique, il a fait de la prière le moment déterminant de sa vie. La dernière étape ou le couronnement de la vie de Joseph Ratzinger n’a donc pas été le trône de Pierre, mais le monachisme, en tant que vie centrée sur la prière, c’est-à-dire au cœur de la christologie et de la foi christologique. Ce n’est pas un hasard s’il a pris le nom du patriarche de la vie monastique en Occident, saint Benoît de Norcia. Les dernières années, considérées dans cette perspective, sont les plus éloquentes et les plus prophétiques.

Ce faisant, Ratzinger a ravivé et augmenté une tradition insigne et fructueuse. L’histoire de l’Église ne manque pas d’exemples de saints, en Orient et en Occident, qui ont unifié en leur personne trois caractéristiques très différentes, mais profondément amalgamées et syntoniques : être théologiens (ou docteurs), pasteurs et moines. C’est le cas de saint Basile le Grand, fondateur de communautés monastiques, évêque de Césarée de Cappadoce et l’un des plus grands théologiens de l’époque patristique. Nous pouvons placer à ses côtés saint Jean Chrysostome, consacré pendant plusieurs années à la vie d’ermite, puis évêque de Constantinople et vénéré comme docteur de l’Église pour ses commentaires bibliques. Il en va de même pour saint Augustin d’Hippone, dont l’œuvre a profondément inspiré Ratzinger. Après sa conversion et son baptême, l’Hipponite s’est consacré à la vie ascétique pendant quelques années avec un groupe d’amis et de disciples, a écrit l’une des règles de vie monastique les plus importantes de l’Antiquité et a été le plus grand génie théologique du premier millénaire du christianisme ainsi qu’un évêque influent de son temps.

Un autre exemple est celui de saint Anselme d’Aoste, d’abord moine bénédictin et abbé du monastère de Beck, en Normandie, brillant théologien de l’époque médiévale, et enfin éminent et courageux évêque de Canterbury, en Angleterre. Tous ces saints étaient des pasteurs, des théologiens et des docteurs de l’Église, mais ils étaient aussi et encore plus profondément des moines. De leurs âmes monastiques rayonnait leur mission ecclésiale différenciée et unifiée.

Joseph Ratzinger, lui aussi, prolongeant cette vénérable tradition, a unifié ces trois aspects en lui-même, bien que d’une manière quelque peu différente des exemples cités. Ces derniers ont commencé par être moines et théologiens, avant d’accéder, souvent contre leur gré, à l’épiscopat. Ratzinger, en revanche, a commencé comme théologien, a continué non sans résistance comme évêque, jusqu’au siège romain, et s’est finalement consacré à une vie monastique « dans l’enclos de saint Pierre ». Nous pouvons penser ici à un autre exemple de la première grandeur, saint Grégoire le Grand. Voué dans sa jeunesse à la vie monastique dans sa maison de la colline du Caelius à Rome, puis élu pape, il est resté moine dans l’âme tout au long de sa vie, réalisant une œuvre magistrale de commentateur de l’Écriture Sainte, qui a profondément inspiré la théologie de toute l’époque médiévale.

La primauté de la prière, une vie marquée par l’empreinte monastique, est le dernier exemple que Joseph Ratzinger-Benoît XVI nous a laissé, après nous avoir transmis celui de la sagesse théologique et celui de l’exigeant soin pastoral de l’Église. Les dernières années de Joseph Ratzinger-Benoît XVI, consacrées à la prière, ont peut-être été son service pastoral le plus élevé et son magistère le plus profond, en même temps que sa théologie la plus accomplie. Comme si, dans la dernière décennie de sa vie, ce qui l’avait toujours animé remontait à la surface : la foi qui est prière, la prière qui est foi en action.

C’est à partir de son héritage qu’il faudra tôt ou tard recommencer, comme à partir d’un repère essentiel, à réparer les énormes dégâts subis par l’Église. Redonner à la prière et au culte la place prééminente qu’ils méritent signifie rétablir le juste rapport entre l’anthropologie et la théologie, entre la théologie et la pastorale, entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, un rapport que nous voyons trop souvent renversé de façon idolâtre pour mettre au centre l’homme, ses besoins, voire ses caprices.

(*) Dom Giulio Meiattini OSB (Ordre de Saint Benoît), théologien, est moine à l’abbaye Madonna della Scala à Noci (province de Bari), professeur de théologie à l’Athénée pontifical Sant’Anselmo, institution universitaire catholique basée à Rome et dépendant du Saint-Siège.

Annexe

Share This