A l’occasion du premier anniversaire de la mort de Brenoît XVI, le discret cardinal Filoni (cf. L’éviction du bon serviteur), issu de la diplomatie vaticane et qui fut un proche collaborateur et un ami du Saint-Père (qui l’a fait cardinal en 2012) a répondu aux questions de Il Giornale, et il dresse un beau portait du Saint-Père, qu’il voudrait voir proclamé « Docteur de l’Eglise ».

« Ratzinger doit être fait Docteur de l’Eglise ».

Fabio Ragona
29décembre 2023
www.ilgiornale.it

« Benoît XVI n’était pas un gardien de la foi revêche, il soutenait au contraire que le Pape n’impose rien, mais qu’il propose et laisse ensuite l’Esprit faire son travail. Et aujourd’hui, nous le demandons à nouveau : qu’il soit proclamé « Docteur de l’Église ».

Le cardinal Fernando Filoni Grand Maître de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, a été un proche collaborateur de Benoît XVI, d’abord comme Substitut de la Secrétairerie d’État, puis comme Préfet de Propaganda Fide. Aujourd’hui, il se souvient de Joseph Ratzinger à l’occasion du premier anniversaire de sa mort.

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Cardinal Filoni, quel souvenir gardez-vous du 31 décembre 2022, quand fut annoncée la mort du pape émérite ?

« Je me souviens d’une tristesse sereine, c’était un moment auquel nous nous attendions tous, parce que sa vie s’épuisait comme l’huile d’une lampe. C’était un homme de Dieu qui vivait la lumière du Seigneur et sa vie a été vécue dans cette attente. Il l’avait dit à plusieurs reprises et ce moment pour moi, à côté de son cercueil, a été un moment de tristesse pour un être cher qui s’en va, mais aussi de sérénité parce qu’il avait fait la volonté de Dieu ».

Une banderole est même apparue lors des funérailles, sur laquelle on pouvait lire « Santo subito ». Comment avez-vous accueilli cette demande ?

« Je ne l’ai pas vue, mais si j’avais dû faire une banderole, j’aurais peut-être écrit « Dottore della Chiesa subito ». Parce que sa doctrine, sa science, sa vie étaient vraiment à la lumière d’un enseignement qu’il disait être un don de Dieu. En même temps, il l’a transmis et cela a fait beaucoup de bien à l’Église. Cela aurait peut-être été la plus belle des demandes. Il est vrai que jusqu’à présent, on ne trouve aucun docteur de l’Église qui n’ait pas été déclaré saint au préalable, mais je crois que la sainteté de la vie de cet homme était évidente pour tout le monde ».

Comment était-ce de travailler aux côtés de Benoît XVI ?

« C’était un homme extrêmement aimable et à l’écoute. Même face à des problèmes divers, avant de parler, il disait : « Mais vous, qu’en pensez-vous ? Et comment pourrait-on faire ? » Ce n’était pas un homme qui parlait comme s’il avait la science infuse, il avait besoin de conseils, d’être accompagné, parce qu’il sentait que le ministère pétrinien pour lui ne devait pas être vécu seul, mais avec tous les collaborateurs et avec l’Église. De temps en temps, il me téléphonait et me disait : « Mais vous n’avez pas encore pris vos vacances, quand allez-vous les prendre ? » Ou encore : « J’ai vu que vous avez fait tout ce travail, mais n’en faites pas trop, je vous en prie ». Il y avait une grande amabilité et il était très attentif aux gens ».

Est-il vrai qu’il était très timide ?

« Sa timidité était liée à son caractère respectueux, elle ne naissait pas de la peur, ou de ne pas savoir. En revanche, lorsqu’il devait décider, il était ferme. Avec les enfants, par exemple, il n’avait pas la capacité de faire des gestes extravagants, des embrassades ou des baisers. Malgré cela, il demandait toujours : Comment t’appelles-tu ? D’où viens-tu ? Dans quelle classe es-tu ? Et il établissait ce petit dialogue qui laissait ensuite une trace profonde de cette relation chez les enfants. C’était un homme simple, capable de manifester cette humanité, cette sympathie ».

Pourtant, durant son pontificat, il a été attaqué de toutes parts. Pourquoi a-t-il été pris pour cible ?

« C’est injuste la façon dont il a été traité. J’ai été surpris dès le début quand j’ai lu des expressions lourdes, comme s’il était un sinistre gardien de la foi. Au contraire, il disait une chose : le Pape n’impose rien, le Pape propose et laisse ensuite l’Esprit de Dieu faire son travail. Il y a eu des cas où il a été mal interprété : je pense par exemple au cas de la controverse sur l’Islam en 2006 [à Ratisbonne, ndt] où on lui a attribué ce qu’il n’avait pas dit sauf en citant quelqu’un d’autre. Cela a donné lieu à une polémique déplacée. Dans de nombreuses situations, je pense que certains aspects de la controverse se sont ensuite dissipés presque naturellement lorsqu’il a fait ce geste énorme et mystérieux de renonciation. C’est là que nous avons vu qui était Benoît XVI : un homme qui n’était pas attaché au pouvoir et qui défendait la vérité ».

Cependant, même en tant que pape émérite, certains n’ont pas hésité à le mettre en opposition avec le pape actuel, François…

« A l’évidence, des gens qui n’ont pas bien vu son renoncement. C’est humain, c’est compréhensible. Tout le monde ne pense pas de la même manière. Mais il faut voir les choses de l’intérieur, selon la vision de Benoît XVI : il aimait l’Église à fond et il était conscient que si un moment venait où il ne pourrait pas remplir les engagements que sa charge exigeait de lui, il n’aurait pas peur de faire un pas en arrière. Dès les premiers jours où je suis arrivé comme Substitut, c’était sa préoccupation : et si un jour je n’étais plus en mesure de diriger l’Église ? Et il a dit ce qu’il pensait à ce sujet. C’est un mystère qui demeure dans la réalité d’une Église qu’il aimait. Le geste n’est peut-être pas très compréhensible à l’extérieur, mais dans le cœur et la vie de l’Église, c’était un extraordinaire mystère d’amour pour elle ».

Et quel héritage Joseph Ratzinger laisse-t-il au monde d’aujourd’hui ?

« Il est presque difficile de parler d’héritage car il a beaucoup écrit et je crois qu’il a été le plus grand théologien des deux ou trois derniers siècles. Mais il n’a pas écrit pour le plaisir d’écrire, il a écrit parce qu’il sentait qu’il devait communiquer un message du Seigneur. Tout ce qu’il a écrit et dit était le résultat du partage des dons que Dieu lui avait donnés : la connaissance, l’intelligence et la sagesse. Mais il portait aussi un jugement sur la réalité du monde. Pourquoi parlait-il ? Par amour de la vérité et parce qu’il avait constaté que notre époque était en train de perdre la conscience de Dieu : Ratzinger pensait que la conscience était le sanctuaire le plus profond et le plus intime de l’homme, où personne ne peut jamais porter la main, à moins de profaner l’homme lui-même ».

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