Un éditorial assez aigre contre le pape François paru dans « La Stampa », le deuxième plus grand journal italien, donne son titre à cet article publié dans le quotidien de droite « La Verità » (qui mérite souvent bien son nom). En fait, nous avons parlé récemment d’une tribune très critique contre François, signée Lucia Scaraffia (François, le faux novateur) parue dans la même Stampa. Les « pouvoirs forts » dont la Stampa est l’émanation, et qui étaient inconditionnellement bergogliens en 2013, sont donc en train de lâcher le Pape (curieusement, Andrea Tornielli, l’une des éminences grises de la communication vaticane, est issu de … La Stampa. Le monde est petit)..

Ratzinger a freiné la dérive à gauche. Aujourd’hui, Bergoglio irrite même la « claque »

La Verità (via blog.messainlatino.it)
Alessandro Rico

La mort du théologien allemand a poussé les progressistes à accélérer les réformes. Mais avec la bénédiction des couples homosexuels, ils sont allés trop loin : François reçoit des critiques de la part du clergé des « périphéries » et même de la presse amie.

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Pour l’Église, ce fut une annus horribilis. La mort de Benoît XVI, le 31 décembre 2022, a ouvert une boîte de Pandore, incitant les progressistes à accélérer l’agenda prôné par le Pape régnant, désormais libéré d’un « double » encombrant. Mais 2023 ne s’achève pas sur le triomphe des réformateurs, la soumission des bigots et les applaudissements enthousiastes des fidèles.

Au contraire, même la presse chic [/de la gauche caviar], habituée à encenser Jorge Mario Bergoglio, après le coup de force de Fiducia Supplicans, commence paradoxalement à lui tourner le dos.

Peut-être Benoît XVI était-il vraiment cette « force de freinage » qui ralentit la propagation du chaos. Pas seulement lorsqu’il était sur le trône et qu’il distillait des antidotes au relativisme et au nihilisme, dont certains sont rassemblés sur la page ci-contre, extraits des homélies pour les Te Deum prononcés pendant son pontificat. Même en apparaissant frêle, chétif, marginalisé, voire sous surveillance spéciale, l’émérite avait gardé la lucidité de la pensée et la capacité d’équilibrer les silences et les paroles. Ainsi, chaque intervention pour défendre le magistère résonnait avec poids et autorité.

A son départ, beaucoup ont pensé à un bouchon qui sautait. Depuis, les fractures dans la coque de la « barque de Pierre » se sont élargies.

L’amertume de ceux qui avaient aimé Joseph Ratzinger, comme son secrétaire personnel, le père Georg Gänswein, y a contribué : quelques jours après la mort du théologien allemand, il a publié un livre de mémoires qui sentait le bras de fer avec Jorge Mario Bergoglio.

Entre-temps, les progressistes se préparaient à une longue série d’embardées à gauche : la réponse expéditive aux dubia sur la communion aux divorcés remariés ; la publication de Laudate Deum, l’exhortation apostolique écologiste ; l’investissement rhétorique de François dans l’échec de la Cop28 ; le feu vert pour les parrains et marraines transgenres au baptême ; la décision de retirer au cardinal Raymond Leo Burke sa maison et son salaire, malgré les invitations faites aux prélats de s’exprimer librement.

Le dernier acte en date des conflits au Vatican – la déclaration de l’ancien Saint-Office autorisant la bénédiction des couples irréguliers et homosexuels – a toutefois irrité les représentants du clergé y compris ceux proches, ou du moins non hostiles, au Souverain Pontife. Ainsi, le schisme des conservateurs, redouté sinon brandi, devient moins probable : l’épiscopat des  » périphéries « , élues par Bergoglio comme lieu privilégié de l’évangélisation, s’est resserré sur les instances de la tradition. Les pasteurs attentifs à leur troupeau et intellectuellement honnêtes ne digèrent pas la logique bizarre du préfet de la foi, qui dénature la forme en garantissant que le fond restera intact.

Le pape fait entièrement confiance au cardinal Víctor Manuel Fernández, qu’il a placé à la tête du dicastère. A tel point qu‘il a signé le texte qu’il a rédigé sans même le lire.

Mais cette fois, Tucho est allé trop loin. Tant au niveau du modus operandi, puisqu’il a privé la Feria Quarta [réunion hebdomadaire de l’ensemble des membres du dicastère] de la rédaction de Fiducia Supplicans, qu’au niveau de la révolution que le cardinal a tenté de déclencher, en contredisant sans ménagement le Responsum d’il y a deux ans de son prédécesseur, par le biais d’un expédient boiteux: Jurer, en effet, que la modification de la pratique ne porte pas atteinte à l’enseignement séculaire de l’Église.

C’est un court-circuit qui a surpris hier Marcello Sorgi, abandonnant sa plume habituelle, dans un éditorial sévère de La Stampa. Le journaliste a cité entre guillemets les perplexités d’un cardinal anonyme sur la question des bénédictions :

« Si nous parlons simplement des gays, c’était déjà permis et nous ne voyons pas la nouveauté. Mais s’il s’agit de couples homosexuels, il faudrait expliquer comment on peut bénir des personnes qui, selon la doctrine, se rendent coupables d’un péché mortel comme la sodomie. D’ailleurs, qu’est-ce que la liturgie ? Et s’il n’y a pas de liturgie, de quelle bénédiction s’agit-il? »

Sorgi a également soulevé une question politique :

« Il n’y a pas besoin de la clarté doctrinale de Benoît […] pour comprendre que la bénédiction aux homosexuels introduite dans la saison des purges et des procès pour les responsables d’abus au sein de l’Eglise peut favoriser une certaine contradiction ».

Bref, il est devenu difficile de croire à la miséricorde et à la synodalité, tant le pouvoir est centralisé et exercé de manière arbitraire, parfois vindicative.

Pour le pontife, qui est convaincu que seule « la presse d’extrême droite » le critique, les deux pages du journal de Turin [La Stampa] consacrées à Ratzinger, et pas du tout bienveillantes à l’égard de l’Argentin, devraient être un signe alarmant. Les journaux progressistes, qui le célèbrent depuis une décennie pour ses courageuses « ouvertures » (aux migrants, aux femmes, aux homosexuels, aux transsexuels…), grondent. Et pas pour la timidité des réformes, pour l’inconsistance des discours de rupture qui peinent à se traduire en actes de gouvernement. A la barre, une audace désordonnée qui risque de s’avérer contre-productive.

Un détail n’aura pas échappé aux observateurs attentifs : La Stampa, qui a accueilli la tirade intempestive de Sorgi, est le journal dont est issu Andrea Tornielli, aujourd’hui directeur éditorial du Dicastère pour la communication.

Comme on dit : que Dieu me protège de mes amis, de mes ennemis, c’est moi qui m’en charge.

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