Luisella Scosatti regrette que le « non » des évêques africains s’appuie essentiellement sur ‘incompatibilité avec la culture africaine (c’est évident!), alors que la déclaration FS est un mal intrinsèque. Avec cette stratégie, dit-elle, le cardinal Ambongo « choisit de rester dans le périmètre de liberté accordé par le cardinal Fernández dans le communiqué du 4 janvier », et elle déplore que la résistance à FS « se constitue ainsi sur la base d’une sorte de fédéralisme ecclésial ». Ajoutant, non sans raison: « Si un jour la culture africaine, sous l’impulsion de l’idéologie arc-en-ciel, se montrait plus ‘ouverte’, que se passerait-il ? »
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Mais si je puis me permettre un petit plaidoyer, à mon très modeste niveau, je pense qu’il s’agissait de la part du prélat africain d’une exit strategy assez habile, sous la forme d’un prétexte pour se débarrasser poliment d’un importun sans rompre les ponts avec le requérant. C’est une situation à laquelle chacun de nous a pu être confronté. Qu’elle puisse s’appliquer au pasteur d’un aussi grand troupeau, c’est une autre question.

La lettre du président du SCEAM met encore plus en évidence la curieuse précipitation avec laquelle le pape François et Fernández ont voulu publier un document sur un sujet aussi sensible. Quand on sait qu’un continent entier a immédiatement réagi en soulignant la confusion et le scandale qu’une mise en œuvre de la Déclaration entraînerait dans ses propres territoires pastoraux, on comprend à quel point la publication de la Déclaration le 18 décembre est allée à l’encontre de tout bon sens et de toutes les normes de prudence.

PÉRIPHÉRIES À CONTRE-COURANT

Sur les bénédictions homosexuelles, l’Afrique dresse un mur en laissant une brèche

Luisella Scrosatti
La NBQ

13 janvier 2023

Pour les conférences épiscopales du continent noir, bénir les couples homosexuels irait à l’encontre de la culture africaine (et si elle changeait demain ?). L’argument est faible, mais l’opposition à Fiducia supplicans est claire.

L’Afrique se configure, dans son ensemble, comme une zone franche à l’égard de Fiducia supplicans [FS]. Telle est la substance de la lettre publique que le cardinal Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa et président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) a rendue publique le jeudi 11 janvier. Tout en réaffirmant avec insistance leur communion avec le pape François, les évêques africains estiment que les bénédictions extra-liturgiques dédouanées par FS ne doivent pas l’être.

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Une lettre qui résume le jugement que, jour après jour, les différentes conférences épiscopales africaines ont exprimé sur la possibilité de bénir les couples de même sexe : « Les conférences épiscopales préfèrent généralement – chaque évêque restant libre dans son diocèse – ne pas donner de bénédictions aux couples de même sexe. Cette décision découle de la préoccupation concernant la confusion et le scandale potentiels au sein de la communauté ecclésiale ».

Le cardinal Ambongo a mis l’accent sur l’inopportunité de telles bénédictions, car, a-t-il expliqué, « dans notre contexte, cela causerait de la confusion et serait en contradiction directe avec l’éthique culturelle des communautés africaines« . Le prélat a également rappelé l’enseignement constant de l’Église qui « qualifie les actes homosexuels de « intrinsèquement désordonnés » (…) et contraires à la loi naturelle ».

1- Tout d’abord, une considération évidente. Cette lettre du président du SCEAM met encore plus en évidence la curieuse précipitation avec laquelle le pape François et Fernández ont voulu publier un document sur un sujet aussi sensible. Quand on sait qu’un continent entier a immédiatement réagi en soulignant la confusion et le scandale qu’une mise en œuvre de la Déclaration entraînerait dans ses propres territoires pastoraux, on comprend à quel point la publication de la Déclaration le 18 décembre est allée à l’encontre de tout bon sens et de toutes les normes de prudence. Mais l’Afrique n’est pas la seule à avoir signalé le problème : les évêques du Kazakhstan, de Pologne, d’Ukraine, de Hongrie, d’Haïti et d’autres évêques individuels ont interdit la mise en œuvre de la FS dans leur région pour des raisons similaires.

Cette situation met à nu l’idée que le pape se fait réellement de la synodalité dans l’Église : il s’agit d’un manteau avec lequel il donne l’impression de vouloir être attentif à la voix de tous, mais seulement lorsque cela sert à remettre en question ce qui a déjà été défini et établi dans l’Église. Si, en revanche, on a le sentiment que la synodalité ne va pas dans la bonne direction, que le peuple de Dieu n’a pas encore été atteint et forgé par l' »esprit », alors on agit de manière impulsive, sans même prendre la peine de ressentir d’abord les sentiments des évêques. Ou peut-être est-ce justement parce que ce sentiment défavorable, on en est bien conscient. FS est donc un acte d’imperium, l’imposition d’une volonté arbitraire, sans aucun fondement dans la Révélation, authentiquement interprétée par le Magistère, une volonté qui, au mépris de la « synodalité de l’Église », est sortie comme un éclair dans un ciel serein.

2- Une deuxième réflexion concerne les arguments de la lettre du cardinal Ambongo ; il s’agit essentiellement de justifier sa position en se référant à l’  » éthique culturelle  » des communautés africaines ou au langage subtil de la Déclaration. En ce qui concerne ce dernier point, il convient de souligner que si l’on peut parler de subtilités, il s’agit alors de subtilités sophistiques, savamment préparées précisément pour embrouiller les lecteurs.

La question la plus importante, cependant, reste l’affirmation selon laquelle FS ne peut être acceptée parce qu’elle est incompatible avec la culture africaine. Une stratégie similaire à celle de l’archevêque majeur de Kiev, Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk, qui a fait appel à la particularité du droit des Églises orientales et à la signification des bénédictions pour elles. Un choix compréhensible du point de vue de la stratégie territoriale, mais qui a pour effet pas si indirect d’encadrer la résistance à FS sur la base d’une sorte de fédéralisme ecclésial, plutôt qu’une opposition sur le principe inacceptable de la bénédiction des couples vivant more uxorio ou des couples homosexuels.

Avec cette stratégie, le cardinal Ambongo choisit de rester dans le périmètre de liberté accordé par le cardinal Fernández dans le communiqué de presse du 4 janvier : « La prudence et l’attention au contexte ecclésial et à la culture locale pourraient admettre des modalités d’application différentes, mais pas un refus total ou définitif de ce chemin proposé aux prêtres ».

Cependant, cet appel à la culture africaine semble faible. Si un jour la culture africaine, sous l’impulsion de l’idéologie arc-en-ciel, se montrait plus « ouverte », que se passerait-il ? Ou si une demande émanait du pape pour promouvoir des initiatives dans l’Église d’Afrique afin qu’elle soit plus activement « accueillante » à l’égard de la cohabitation entre personnes de même sexe et qu’elle favorise progressivement l’acceptation de FS?

Mais surtout : pourquoi s’agirait-il uniquement d’une question de culture africaine ? Lorsque des fidèles ivoiriens assistent à la bénédiction de deux homosexuels cohabitants, voient-ils quelque chose de différent de ce que voit un Français ? Ils comprennent ce signe sacramentel exactement comme le comprend un catholique européen. Et, justement, les deux sont scandalisés, ce qui n’est pas – il est bon de le rappeler – un simple acte d’indignation (que l’un peut avoir et l’autre non, en fonction justement des contextes culturels), mais le fait d’être confronté à un comportement qui constitue en soi une incitation au mal, à le faire ou à l’approuver.

Si quelqu’un met un couteau sous la gorge d’une autre personne, ce geste signifie la même chose au Cameroun, en Inde ou en Chine ; et il serait ridicule de protester qu’il n’y a en fait aucune trace de menace de mort, du fait que quelqu’un a rédigé un document plein de subtilités pour expliquer que ce geste est en fait un acte de bénédiction. Le geste de bénir, en tant que couple, ceux qui vivent leur sexualité en dehors du mariage ou même contre nature, n’est pas acceptable en soi, en raison de la signification objective de la bénédiction et du couple, et non pas parce que le document qui le soutient utilise un langage ‘trop subtil pour que les gens simples puissent le comprendre’.

Cette parenthèse dans la lettre, « chaque évêque restant libre dans son diocèse », prépare dangereusement le terrain pour le début d’un effritement interne, même sur le continent africain, et passe surtout à côté du point central de la question, à savoir qu’aucun évêque, pas même l’évêque de Rome, ne peut autoriser ce qui est exprimé dans FS. La Déclaration, dans la mesure où elle affirme la possibilité de bénir des couples « irréguliers » ou des cohabitants homosexuels, est donc irrecevable, comme l’ont clairement exprimé les cardinaux Robert Sarah et Gerhard Müller.

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