Au cours d’une audience privée avec des membres de la presse vaticane, le pape a cédé une fois de plus à son intempérance verbale Mettant de côté le texte préparé, il a remercié les journalistes pour « la délicatesse dont vous faites souvent preuve lorsque vous parlez des scandales de l’Église ». Phil Lawler s’interroge: Que voulait-il dire?

François semble encourager les journalistes à ne pas parler des scandales du Vatican.

Ce message – qu’il ait été transmis intentionnellement ou non – diffère à 180 degrés de l’engagement souvent affirmé par le pape en faveur de la transparence et de la divulgation complète.

Quand le pape François sort du script

Phil Lawler
www.catholicculture.org

À l’époque où il était archevêque de Buenos Aires, le cardinal Jorge Bergoglio a décliné la demande d’un journaliste pour une interview approfondie. Il a expliqué qu’il ne se sentait pas à l’aise pour s’exprimer dans le cadre d’une interview ; il a suggéré que toute personne souhaitant comprendre sa pensée serait mieux servie par la lecture de ses œuvres écrites.

Mais c’était il y a bien longtemps. Depuis son élection en 2013, le pape François n’a pas montré une telle aversion pour les conversations non scénarisées. Il est sûrement le pontife le plus interviewé de l’histoire, avec des dizaines de conversations approfondies publiées au cours de son pontificat. Parallèlement aux interviews officielles qui paraissent dans les journaux et les magazines, il s’est livré à des échanges de questions-réponses avec toutes sortes de publics. En fait, les voyages du pape à l’étranger comprennent désormais systématiquement une séance de questions-réponses avec les membres de la communauté jésuite locale.

Certaines des déclarations les plus mémorables – et les plus controversées – du pape ont été faites au cours de ces échanges impromptus. Ses conférences de presse aériennes (une autre caractéristique régulière de ses voyages à l’étranger) ont produit de nombreux titres sensationnels. Ses nombreuses conversations amicales avec le défunt Eugenio Scalfari – que le journaliste athée a reproduites de mémoire, sans bénéficier d’une transcription ou d’un enregistrement – ont à plusieurs reprises envoyé le bureau de presse du Vatican en mode « contrôle des dégâts ». La déclaration la plus célèbre de tout son pontificat a probablement été une réponse à la question d’un journaliste : « Qui suis-je pour juger ? »

D’ordinaire, lorsqu’un pape – n’importe quel pape – fait une déclaration officielle [/for the record], il s’exprime à partir d’un texte préparé. Avec des milliers de personnes qui lisent ses paroles, la précision est importante ; la spontanéité peut être imprudente.

La spontanéité est une caractéristique de son pontificat, cependant, et le pape François n’est pas découragé par les fureurs qu’il a suscitées par ses remarques publiques non vérifiées. D’ailleurs lorsqu’il écrit, il le fait souvent de manière impulsive. Les fonctionnaires du Vatican se plaignent d’avoir été pris au dépourvu par des annonces majeures, publiées sans consultation. Même dans son rôle de législateur canonique, il peut être hâtif. Andrea Gagliarducci note qu’il a publié un nombre étonnant de 70 motu proprios, ajoutant ou modifiant le droit canon, au cours de sa décennie sur le Trône de Pierre. Dans plusieurs cas, un motu proprio a corrigé les oublis d’un autre.

Nous sommes tous sujets à l’erreur lorsque nous parlons trop vite. Pour la plupart d’entre nous, heureusement, ce que nous disons n’a pas tellement de conséquences. À Buenos Aires, le cardinal Bergoglio aurait pu parler à bâtons rompus [a braccio] sans provoquer plus que quelques vagues de curiosité. À Rome, sous le regard constant de la presse, il en va tout autrement.

Et cette semaine, c’est au cours d’une audience privée avec des membres de la presse vaticane que le pape a lâché sa dernière citation qui a attiré l’attention. Elle est apparue lorsqu’il a mis de côté les remarques qu’il avait préparées et a remercié les journalistes rassemblés pour « la délicatesse dont vous faites souvent preuve lorsque vous parlez des scandales de l’Église. »

Qu’entendait le pontife par « délicatesse » dans la couverture des scandales ? Il a expliqué qu' »il y en a tellement, et j’ai vu chez vous une grande délicatesse, un respect, un silence presque honteux. » (Ici, « honteux » pourrait être mieux traduit par « abasourdi »).

Dans le contexte, le pape remerciait les journalistes de ne pas fouiller dans les détails les plus sordides des scandales. Et il est important de garder à l’esprit que tous les pays n’ont pas connu la même saturation de couverture des scandales d’abus sexuels que les médias américains au cours des vingt dernières années. Néanmoins, les commentaires du Pape – comme tant d’autres de ses commentaires « hors du script » – vont certainement lui causer de réelles difficultés.

Tout d’abord, le pape François semble encourager les journalistes à ne pas parler des scandales du Vatican. Ce message – qu’il ait été transmis intentionnellement ou non – diffère à 180 degrés de l’engagement souvent affirmé par le pape en faveur de la transparence et de la divulgation complète.

Deuxièmement, le pape semble remercier les membres accrédités du corps de presse du Vatican – les journalistes dont le travail nécessite un accès régulier aux responsables du Vatican – pour avoir gardé un silence discret sur les scandales. Reconnaît-il implicitement qu’à ce jour, les journalistes n’ont pas remis en question son implication personnelle dans l’affaire Zanchetta, le scandale Rupnik, le fiasco de l’immobilier londonien ? Pourrait-il même laisser entendre que pendant le reste de son pontificat, les journalistes qui traitent ces questions avec « délicatesse » et peut-être même avec un « silence honteux/abasourdi » seront traités avec faveur ?

Voici une autre chose que nous avons apprise au cours de ce pontificat : lorsque le pape François sort du script, ni lui ni le service de presse du Vatican ne se soucient de clarifier les choses. Les questions restent donc en suspens.

Share This