Nous avons évoqué il y a quelques jours, à travers l’éditorial de Riccardo Cascioli, la rencontre à Milan, plus qu’amicale (cf. L’Eglise s’apprête-t-elle à « accueillir » la franc-maçonnerie »?), entre les plus hauts responsables de la Maçonnerie italienne, et des représentants de l’Eglise du « dialogue », en particulier Mgr Staglianò, président de l’Académie pontificale de théologie, (l’homme qui est si fier de la croix pectorale qu’il porte qu’il la cache sous sa veste avant de saluer le Grand Maître d’une des obédiences). Aiguillonné par les allusions de Riccardo Cascioli, Staglianò répond indirectement. Une réponse qui ne laisse plus guère de place au doute:

La tactique est toujours la même : les mots disent que la doctrine ne change pas, mais ensuite il y a la vie, qui est toujours plus grande que la doctrine.

Franc-maçonnerie, le double langage de Staglianò

Riccardo Cascioli
La NBQ
27 février 2024

Pressé par l’article de Bussola, le président de l’Académie pontificale de théologie publie le discours qu’il a prononcé lors de la conférence de Milan sur l’Église et la franc-maçonnerie. Et ainsi, il devient encore plus clair qu’il indique pour les francs-maçons la solution Fiducia Supplicans.

Staglianò (a destra) con il Gran Maestro Bisi
Staglianò avec le Grand Maître Bisi

Il aura fallu un article de La Bussola pour obtenir que soit publié l’intégralité du discours de Mgr Antonio Staglianò lors du séminaire « Église et franc-maçonnerie » organisé par le GRIS (Gruppo di Ricerca e Informazione Socio-religiosa) à Milan le 16 février dernier. Les révélations de La Bussola sur les ambiguïtés de Staglianò, président de l’Académie pontificale de théologie, ont dû provoquer quelques aigreurs d’estomac au Vatican, à tel point qu’il a paru souhaitable de réparer les dégâts
Par une manœuvre sournoise, toutefois : la mise en ligne, le 26 février, de la vidéo intégrale du discours a été précédée, le 24 février, d’une interview « commandée » aux médias du Vatican, dans laquelle Staglianò explique pourquoi l’Église et la franc-maçonnerie « sont profondément irréconciliables ».

L’objectif évident est de se montrer parfaitement en phase avec près de 300 ans de magistère de l’Église sur la franc-maçonnerie et de réfuter ce qui a été publié par La Bussola, misant aussi sur le fait qu’après avoir lu la brève interview, très peu iront écouter les 46 minutes de discours enregistré. Mais dans l’interview, Staglianò ne fait que répéter certains des concepts exprimés lors de la conférence de Milan, laissant de côté les plus discutables, en partie rapportés par La Bussola (chacun peut vérifier l’exactitude de nos citations).

La tactique est toujours la même : les mots disent que la doctrine ne change pas, mais ensuite il y a la vie, qui est toujours plus grande que la doctrine. C’est exactement le sens du discours prononcé par Staglianò à Milan.
Ainsi, nous trouvons d’une part l’affirmation de la profonde diversité entre le Dieu chrétien et la conception maçonnique du Grand Architecte, mais d’autre part le dépassement de l’obstacle doctrinal avec le concept d’amour et de miséricorde, qui englobe tout.

Mais surtout, nous devons considérer le contexte du discours de Mgr Staglianò. Il s’exprimait lors d’une conférence avec les grands maîtres des trois principales loges italiennes, accompagnés de dizaines d’autres « frères ». Les dirigeants francs-maçons, avec des nuances différentes, ont tous dit deux choses en particulier : premièrement, qu’il peut y avoir compatibilité entre l’Église et la franc-maçonnerie ; deuxièmement, ils ont fait une demande explicite de ne plus considérer l’appartenance à la franc-maçonnerie comme un obstacle à l’accès aux sacrements ; et dans un premier temps (comme l’a dit le Grand Maître de la Grande Loge Régulière d’Italie, Fabio Venzi), il faut faire une distinction entre les loges, en reconnaissant au moins celles qui sont fondées sur des rites chrétiens.

Quelle a été la réponse de Staglianò ? Eh bien, sur la doctrine, il n’y a pas grand-chose à faire, la différence entre l’Église et la franc-maçonnerie est trop évidente. Mais il y a la vie et surtout la miséricorde de Dieu, dont la bénédiction « tombe sur les justes et les injustes » : c’est ensuite Dieu qui jugera en dernier ressort de la façon dont nous l’avons reçue. Ce n’est pas pour rien que le Grand Maître du Grand Orient d’Italie, Stefano Bisi, avait évoqué l’ouverture envers les couples homosexuels et les divorcés remariés ; et Staglianò a pris l’exemple de Fiducia Supplicans avec la bénédiction pour les couples homosexuels pour expliquer la question de la Miséricorde qui s’applique à tous.

En revanche, force est de constater que d’un point de vue logique, le discours de Bisi ne fait pas un pli : si nous sommes tous pécheurs et que tous doivent être accueillis dans l’Église avec tous les droits, pourquoi les couples irréguliers oui et les francs-maçons non ? Comme pour les unions gays, on peut toujours dire que ce n’est pas la franc-maçonnerie qui est bénie mais les francs-maçons individuels. Et en fait, Staglianò ne défend pas cette discrimination, il pose plutôt les bases pour la surmonter. Y compris l’invocation finale d’une « saine théologie sapientielle » qui dépasse l’approche doctrinale dont est encore imprégné le dernier document du Dicastère pour la doctrine de la foi publié en novembre dernier.

Si l’on a la patience – et la volonté de se sacrifier – d’écouter l’intégralité du discours de Mgr Staglianò et de le contextualiser, on ne manquera pas de remarquer l’importance de l’ouverture faite, qui culmine avec la proposition du cardinal Coccopalmerio de créer une « table permanente » Église-Maçonnerie. En bref, le schéma désormais familier se répète : l’idéologie du genre est condamnée, mais ensuite les groupes organisés de gays et de trans sont chez eux au Vatican ; le diaconat des femmes est rejeté, mais ensuite des commissions sont créées pour l’étudier et aucune mesure n’est prise dans les pays européens où les femmes agissent aussi en qualité de prêtres de paroisse ; l’importance du maintien du célibat des prêtres est défendue, mais ensuite il est convenu d’en discuter. Et ainsi de suite.

C’est maintenant au tour de la franc-maçonnerie. C’est là que Staglianò devrait donner une explication convaincante : s’il pense vraiment que l’Église et la franc-maçonnerie « sont profondément irréconciliables », pourquoi s’est-il engagé depuis des années dans ce dialogue, qu’il voudrait même maintenant élever à un niveau supérieur ? Quel est l’intérêt de continuer à organiser des conférences et même une  » table permanente  » pour dire que nous sommes irréconciliables et que l’Église a raison de condamner la franc-maçonnerie ?

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