La réaction du Saint-Siège a été très en retrait, par rapport à ce qu’on aurait pu attendre, et de Sainte Marthe (le Pape!) est venu, disons, le minimum syndical. Le chef de la communication vaticane, Andrea Tornielli, s’est fendu d’un éditorial sur Vatican News (version en italien ici) certes fort beau, et qu’on ne peut que partager, mais à connotation plus sociologique que religieuse, et qui aurait eu davantage sa place dans un journal laïc défendant la vie (autant dire que ça n’existe pas) que dans le journal du Pape: bref, il manque l’essentiel, pour un chrétien. Les éclairages très intéressants de Giuseppe Nardi.

« Pour la vie, toujours » – mais jamais trop fort contre l’avortement

Après que l’Académie pontificale pour la vie ait réagi sans émotion au jugement du siècle de la Cour suprême des Etats-Unis, Andrea Tornielli, le rédacteur en chef de tous les médias du Vatican, a publié un éditorial. On peut supposer qu’il a été convenu au préalable avec Santa Marta. Mais ce qui est plus important, c’est que François n’a pas non plus mentionné le jugement sensationnel en faveur du droit à la vie lors de l’Angélus.

Le titre choisi par Tornielli est tout un programme :

Pour la vie, toujours.

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Il faut espérer que le jugement de la Cour suprême des Etats-Unis sera l’occasion de promulguer des lois pour la protection de la vie, des droits des femmes et de la maternité.

Il poursuit :

L’arrêt de la Cour suprême qui, après un demi-siècle, annule la légalisation de l’avortement au niveau fédéral aux États-Unis et donne à chaque État le pouvoir de légiférer, peut être l’occasion de réfléchir à la vie, à la protection des personnes sans défense et mises au rebut, aux droits des femmes et à la protection de la maternité.

C’est un sujet sur lequel le pape François s’est exprimé avec force et sans ambiguïté depuis le début de son pontificat. Dans ‘Evangelii gaudium‘, le document qui esquisse la feuille de route de l’évêque de Rome en exercice, on peut lire ceci :

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« Parmi ces faibles dont l’Eglise veut s’occuper avec prédilection, il y a aussi les enfants à naître, les plus vulnérables et les plus innocents de tous, auxquels on veut aujourd’hui dénier la dignité humaine pour pouvoir faire d’eux ce que l’on veut, en leur ôtant la vie et en favorisant la législation, de sorte que personne ne puisse l’empêcher. Pour tourner en ridicule la défense de la vie des enfants à naître par l’Église, on présente souvent la position comme idéologique, obscurantiste et conservatrice. La protection de la vie à naître est pourtant étroitement liée à la protection de tout droit humain. Elle présuppose la conviction que l’être humain est toujours sacré et inviolable, dans toutes les situations et à tous les stades de son développement. Elle est une fin en soi et jamais un moyen de résoudre d’autres problèmes« .

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Une réflexion sérieuse et commune sur la vie et la protection de la maternité supposerait de dépasser la logique des extrémismes opposés et la polarisation politique qui accompagnent malheureusement souvent la discussion sur ce thème et empêchent un véritable dialogue.

Être pour la vie, c’est toujours s’inquiéter, par exemple lorsque le taux de mortalité des femmes dû à la maternité augmente : Aux États-Unis, selon les données du rapport de l’agence fédérale Centers for Disease Control and Prevention, il est passé de 20,1 décès de femmes pour 100.000 naissances vivantes en 2019 à 23,8 décès de femmes pour 100.000 naissances vivantes en 2020. Et il est frappant de constater que le taux de mortalité maternelle chez les femmes noires était de 55,3 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2020, soit 2,9 fois plus que chez les femmes blanches.

Être pour la vie, c’est toujours se demander comment aider les femmes à concevoir une nouvelle vie : Selon des statistiques américaines, environ 75 % des femmes qui ont recours à l’avortement vivent dans la pauvreté ou ont un faible revenu. Et seulement 16 pour cent des employés du secteur privé ont accès à un congé parental payé, selon une étude publiée le 9 mars 2020 dans la Harvard Review of Psychiatry. Près d’une mère sur quatre qui n’a pas droit à un congé payé est obligée de retourner au travail dans les dix jours suivant l’accouchement.

Toujours être pour la vie, c’est aussi la défendre contre la menace des armes à feu, qui sont malheureusement devenues l’une des principales causes de décès des enfants et des adolescents aux États-Unis.

Il faut donc espérer que le débat sur l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis ne se réduise pas à une confrontation idéologique, mais qu’il donne l’impulsion nécessaire pour s’interroger, de part et d’autre de l’océan, sur ce que signifie accueillir la vie, la défendre et la promouvoir par des lois appropriées ».

Dans son commentaire, Tornielli évoque certaines particularités des États-Unis. Mais il n’y a chez lui aucune joie ni aucun enthousiasme pour le bien, pour la juste décision des juges suprêmes, pour la protection des enfants à naître, pour la victoire si longtemps considérée comme impossible mais tant attendue pour la vie. Les conséquences de l’arrêt vont bien au-delà de la question sociale que Tornielli a immédiatement évoquée à la place. Cette question sociale ne doit toutefois pas être surestimée. En Europe, où toutes les améliorations évoquées par Tornielli pour les Etats-Unis sont une réalité, le massacre des avortements a tout de même lieu.

L’amélioration des conditions de travail est une question secondaire. Le problème de l’avortement est de nature plus fondamentale. On le sait depuis des décennies, c’est pourquoi le ton et la pondération de l’éditorial de Tornielli sont surprenants.

A Santa Marta, on semble préférer considérer la portée et l’importance de l’arrêt du siècle de la Cour suprême des Etats-Unis sur un mode mineur. La rédaction allemande n’a pas encore publié son éditorial.

La 10e Rencontre mondiale des familles s’est tenue ce week-end à Rome. Samedi soir, une messe a été célébrée à cette occasion sur la place Saint-Pierre. François y a participé, mais s’est fait excuser en tant que célébrant en raison de ses douleurs au genou. Le dimanche, les participants à la rencontre mondiale des familles ont à nouveau afflué sur la place Saint-Pierre pour prier l’Angélus avec François et écouter son discours.

Bien que l’occasion et le cadre n’auraient pas pu être plus appropriés, François n’a pas évoqué le jugement du siècle des six courageux juges de la Cour suprême des États-Unis, ni dans son homélie du samedi, ni dans son discours du dimanche. Après l’Angélus, il a mentionné être préoccupé par la situation en Équateur, a présenté ses condoléances à la famille et aux consœurs d’une religieuse tuée en Haïti et a salué les pèlerins « d’Italie et d’autres pays ».

Le chef de l’Eglise a ensuite déclaré :

« Je vous souhaite un bon dimanche. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ».

Et il est parti.

Les non-nés sont restés les grands non-nommés, tout comme les méfaits des nés. Aurait-on tellement de mal à parler du droit à la vie dans la vieille Europe ? Le Saint-Siège aurait-il tellement de mal à s’opposer au courant dominant de la gauche ?

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