Ecole Ratzinger. Nulle part mieux que dans le livre d’entretiens avec Peter Seewald publié en 2000 et ressorti en France en 2005 sous le titre « Voici quel est notre Dieu », sous-titre « Croire et vivre aujourd’hui » (l’éditeur avait rajouté en bandeau « Le credo du nouveau Pape ») n’apparaît l’extraordinaire talent pédagogique de Joseph Ratzinger. Ici, il explique avec des mots simples, parfaitement adaptés à ma petite école le dogme de la conception virginale de Jésus, « par l’opération du Saint-Esprit » (dit-on, en général en ricanant). Il ne s’agit évidement pas de « preuve » au sens scientifique du terme, Dieu nous laisse libre d’adhérer ou non, comme nous sommes libres de croire ou non à son existence. Mais à la question de Seewald « La naissance virginale est-elle vraiment virginale? », le cardinal répond par un ferme et lapidaire: OUI.

LES DOGMES

 (« Voici quel est notre Dieu », ed. Plon/Mame, 2005, pp 213 et suivantes)

Beaucoup éprouvent envers Marie un blocage, une phobie, qui souvent s’accompagne de moquerie. Considérons brièvement quelques dogmes pour pouvoir mieux comprendre la figure de Marie. Commençons par le dogme le plus contesté et le plus provoquant de tous, celui de la virginité perpétuelle, défini en 553. S’agit-il d’une affirmation biologique ? Ou signi­fie-t-il autre chose ?

Nous en avons brièvement parlé à propos des frères et sœurs de Jésus. Il ne ressort aucunement des Évangiles que Jésus avait des frères ou des sœurs au sens strict du terme, ni que Marie ait eu d’autres enfants après lui. Au contraire, son comportement de fils est avec évidence si particulier et unique qu’on ne peut interpréter correctement la notion de frères et sœurs que dans le cadre de la large famille clanique. Marie était tout ordonnée à lui et elle ne pouvait appartenir à personne d’autre.

Et pourquoi pas ?

Particulièrement parce que cette naissance n’est pas le résultat d’une relation avec un homme mais d’une intervention de Dieu. Lorsqu’on dit, de nos jours, qu’il ne peut s’agir bien sûr d’une réalité biologique, et qu’on écarte l’aspect biologique comme indigne de Dieu, on verse dans le manichéisme.

L’homme est aussi un être biologique. Et lorsque cet aspect corporel et biologique n’est pas pris en compte, on méprise la matière et on la rejette et l’Incarnation n’est finalement qu’une apparence. C’est pour­quoi je m’oppose à ce cliché. La réponse à cela, c’est qu’il s’agit de l’homme tout entier. Dieu a assumé la vie, même la vie physique, bio­logique, matérielle, et en a fait un signe.

Les Pères de l’Église ont employé une belle image pour le dire. Le chapitre 40 d’Ezéchiel rapporte la vision du nouveau Temple : il y est question de la porte à l’orient que seul le roi pouvait franchir. Les Pères y voyaient une image. Ils partent du fait que le nouveau Temple est un Temple vivant, la vivante Église. La porte qu’il a franchie, que personne d’autre ne peut franchir, ne serait-ce pas Marie ? Née de Dieu, elle ne peut plus s’abaisser dans une vie ordinaire. Elle reste cette porte réservée exclusivement au roi. Elle est devenue, dans l’histoire, la vraie porte par laquelle entre celui que l’univers attend.

Il reste que la naissance virginale est une naissance virginale ?

Oui.

Et le dogme de l’Immaculée Conception de 1854, que veut-il dire ?

C’est la doctrine du péché originel qui en constitue l’arrière-plan. Il affirme que chaque être humain, en venant au monde, entre dans un environnement marqué par le péché et il est, de ce fait, dès le départ, perturbé dans sa relation à Dieu. Au cours du développement de la doctrine est née l’idée que celle qui, dès l’origine, est la porte de Dieu qui lui était destinée de manière particulière n’a pas pu appartenir à cet environnement-là.

Il y eut un grand débat sur cette question au Moyen Âge. Les domi­nicains, d’un côté, disaient que Marie était un être humain comme tout le monde, donc marquée par le péché originel. Les franciscains, de l’autre, étaient d’un avis contraire. Bref, au cours de cette longue controverse, s’est dégagée la conception que l’appartenance de Marie au Christ est plus forte que son appartenance à la race d’Adam. Ft aussi que cette destination au Christ fut, par avance, la caractéristique de sa vie car Dieu nous précède toujours et ses pensées nous modèlent dès l’ori­gine. Parce qu’en Marie est posé un nouveau commencement, elle ne peut pas appartenir à cet environnement pécheur : sa relation à Dieu n’est nullement perturbée et elle est, dès le départ, d’une manière par­ticulière, sous le regard de Dieu qui « a jeté les yeux sur sa servante » (Magnificat) et l’a orientée vers lui.

De plus, toute son appartenance spécifique au Christ entraîne qu’elle est pleine de grâce. Cette parole, de prime abord si simple, « pleine de grâce », peut être comprise comme englobant fondamentalement tout le cours de sa vie. Finalement, il ne s’agit pas simplement d’un privilège de Marie mais d’une espérance qui nous concerne tous.

Pour être encore plus provoquant : que devrait nous dire le dogme de « l’Assomption corporelle de Marie au ciel » ? Il n’a été défini que très tardivement, en 1950. Il est vrai, fait singulier, qu’il n’y a, dès les origines, ni tombe ni reliques de Marie.

Ce dogme présente pour nous tous, naturellement, une difficulté particulière car nous n’avons aucune représentation du ciel. Et encore moins qu’un corps puisse y trouver place. Ce dogme nous demande donc un grand effort pour comprendre ce qu’est le ciel, ce qu’est le corps. Pour comprendre l’être humain et son avenir, tout simplement.

Et comment vous acquittez-vous de cette tâche ?

La théologie du baptême développée par saint Paul m’y aide beau­coup. Il dit : « Dieu nous a ressuscités avec jésus et nous fait asseoir aux cieux dans le Christ Jésus » (Ep 2,6). Cela signifie que, baptisés, notre avenir est anticipé.

Ce dogme signifie donc uniquement que ce que le baptême produit en nous: « s’asseoir aux cieux » près de Dieu (Dieu est le ciel) est déjà accompli en Marie. Le baptême (être avec le Christ) a produit son plein effet. Chez nous, cet « être avec le Christ », cet « être ressuscité » est encore partiel et très faible. Pas chez elle. Il n’y a plus aucun manque. Elle est entrée en pleine communion avec le Christ. Et cette communion comporte une nouvelle corporéité que nous ne pouvons pas nous repré­senter. En un mot, l’essentiel de ce dogme, c’est que Marie est totalement auprès de Dieu et du Christ, elle est parfaitement chrétienne.

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