Après l’analyse de Giuseppe Nardi, celle de Stefano Fontana pour La Bussola met à son tour en évidence les sous-entendus du message envoyé au Pape (au moins physiquement, mais indirectement sans doute à d’autres) par le cardinal allemand, qui ne démissionne en réalité que de son office d’archevêque de Münich-Freising, se donnant ainsi les coudées franches pour d’autres missions. Selon Fontana, les abus sexuels dans l’Eglise, dont Reinhard Marx fait état comme raison de son retrait, serait en réalité le levier pour imposer un « Great reset » aussi dans l’Eglise – allemande, pour commencer.

Il s’agit pour moi, en substance, d’assumer la coresponsabilité de la catastrophe des abus sexuels commis par les représentants de l’Eglise au cours des dernières décennies. Les enquêtes et les expertises de ces dernières années me montrent constamment qu’il y a eu à la fois des échecs au niveau personnel et des erreurs administratives, mais également une défaillance institutionnelle et « systémique ». Les polémiques et discussions plus récentes ont montré que certains représentants de l’Eglise ne veulent pas accepter cette coresponsabilité ni par conséquent la faute commune de l’Institution. Par conséquent, ils refusent tout type de réforme et d’innovation en ce qui concerne la crise liée aux abus sexuels.
Je vois les choses de façon totalement différente. Il y a deux éléments qui ne doivent pas être perdus de vus : les erreurs personnelles et l’échec institutionnel qui exigent des changements et une réforme de l’Eglise. Un tournant pour sortir de cette crise ne peut être, à mon avis, que la « voie synodale », une voie qui permet vraiment le « discernement des esprits », comme vous l’avez toujours souligné et écrit dans votre Lettre à l’Eglise en Allemagne.

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Lettre du Cardinal Marx au Pape (traduction Zenit, caractères gras de moi)

Quand, dans l’Eglise, tout est politique

Stefano Fontana
La NBQ
5 juin 2021
Ma traduction

La démission du cardinal Marx s’inscrit dans une tendance bien établie de tacticisme politique de la part des pasteurs. Et la question des abus sexuels est clairement exploitée pour promouvoir une grande réinitialisation de l’Église, après que le synode allemand se soit retrouvé dans une impasse. Grande déception pour les simples fidèles catholiques.

Il est de plus en plus courant de constater le tacticisme politique des pasteurs, surtout au sommet de l’Église, si bien qu’aujourd’hui encore, devant la lettre de démission du cardinal Marx comme évêque du diocèse de Munich et Freising, nous sommes amenés à ce type d’analyse. À première vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’une crise de conscience personnelle, d’un retrait pour que d’autres puissent conduire l’Église au-delà de l’ « impasse », en faisant confiance à la direction du Pape et à la méthode de la synodalité.

Mais on se demande alors le rapport entre la question des abus sexuels et la synodalité. La relation entre les deux ne peut être établie que si l’on accepte la version du « cléricalisme », ou plutôt des abus de pouvoir cléricaux, comme cause du triste phénomène des abus sexuels. C’est, comme on le sait, la thèse du pape François et celle qu’il a fait réitérer – dans un autre fameux coup politique et théâtral de premier ordre – par les présidents des conférences épiscopales continentales en février 2019. Bien qu’il s’agisse de la thèse du pape, elle n’est cependant pas fiable, car à l’origine de tout abus clérical se trouvent l’immoralité personnelle et la faiblesse de la foi, dont le pouvoir clérical ne serait éventuellement qu’un instrument. Si, au lieu de cette thèse politiquement instrumentale, on retient celle proposée par Benoît XVI, à savoir l’effondrement de la théologie morale catholique et de l’enseignement de la morale dans les séminaires, alors la relation établie par Marx entre abus sexuels et synodalité se brise. La synodalité ne sera jamais le remède car le cléricalisme n’a jamais été la cause.

On peut donc se demander quel est le rôle de la référence aux abus sexuels dans la lettre de démission de Marx. Je crois que le premier [rôle] est de faire référence à un thème de grand appeal pour l’utiliser comme exigence d’un Great Reset dans l’Église allemande qui, selon lui, précisément à cause de cela, était dans une « impasse » et avait « échoué ». Il peut aussi y avoir une deuxième raison, à savoir remettre sur la table un thème encore très efficace pour frapper d’éventuels adversaires dans l’épiscopat allemand qui s’opposent actuellement au nouveau cours synodal, comme dans le cas de Mgr Wölki, dont le diocèse de Cologne a fait l’objet d’une visite apostolique du pape.

Ce thème des abus sexuels dans l’Église a déjà été largement utilisé pour des manœuvres et des stratégies politiques tant à Santa Marta qu’au Vatican et dans les différentes conférences épiscopales. Le concept de responsabilité « institutionnelle », que le cardinal Marx a maintenant repris pour justifier son choix, a également été exploité pour frapper les adversaires, pour ne pas faire de distinction entre les bons et les mauvais, pour tout placer entre les mains du pape indépendamment des contrôles sur la vérité des choses. Rappelons, par exemple, les démissions massives ordonnées pour les évêques chiliens, sans oublier, évidemment, les manœuvres et contre-manœuvres politiques dans l’affaire McCarrick et dans les nominations de personnalités compromises au Vatican. Rien n’empêche, en d’autres termes, qu’avec la lettre du Cardinal, nous soyons toujours confrontés à une utilisation politiquement intéressée du thème des abus.

J’ai utilisé plus haut l’expression Great Reset. C’est peut-être le véritable objectif politique de cette démission. Le Synode allemand s’est enlisé, les situations sont devenues complexes, il y a comme une nébuleuse d’implications dont il est difficile de sortir sans risques. Trop de personnes se sont compromises, du pape au président des évêques allemands. Le pape pour avoir laissé faire les choses, ou plutôt pour avoir encouragé le processus ; Mgr Bätzing pour son geste politiquement incorrect – et nous revenons ainsi aux gestes politiques – d’avoir retiré son soutien à l’initiative du 10 juin dernier pour la bénédiction des couples homosexuels dans 2500 églises allemandes, après avoir fortement encouragé le nouveau processus synodal sur ces questions et d’autres questions épineuses, ou plutôt pour avoir retiré sa main après avoir jeté la pierre. Great Reset, cela signifie calmer le jeu, redonner la main au pape, garantissant ainsi le nouveau cours marqué par la synodalité, éliminer les opposants, fournir une motivation de grand impact comme celle des abus.

La démission de l’ordinariat du diocèse de Munich n’affaiblit pas Marx, au contraire, elle le renforce. Il se retire mais pour rester encore plus à l’intérieur. Il reste un cardinal et, en tant que tel, il continuera à jouer un rôle influent dans les affaires allemandes, surtout s’il devait recevoir une autre mission importante à Rome, par exemple s’il était nommé à la Congrégation pour la doctrine de la foi. La lettre de démission de Marx ne provient pas seulement de Marx.

A propos de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Récemment, il y a eu deux autres affaires clairement politiques dans le palais du Saint-Office. Le premier est la prise de distance du pape par rapport au Responsum refusant la bénédiction aux couples de même sexe, qui doit donc être le fruit d’un bras de fer politique plutôt agité. Le second est la lettre du cardinal préfet au président des évêques américains sur la question de l’admission à l’Eucharistie des politiciens catholiques pro-avortement, qui était si évasive qu’elle pouvait être considérée comme le résultat de pressions politiques et de compromis de très haut niveau.

Le bon fidèle catholique est cependant profondément déçu par cette politique ecclésiastique, dans laquelle la démarche du cardinal Marx semble également s’inscrire.

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