Par un rescrit sorti à la sauvette le 13 février, François a décidé d’abroger les privilèges des cardinaux qui résident dans les propriétés du Saint-Siège (cf. Un nouveau rescrit du Pape dictateur…). L’objectif officiel (et louable, en principe) est de dégager des liquidités pour continuer à garantir l’assistance aux pauvres et l’action universelle de l’Eglise. Giuseppe Rusconi, pour se moquer (pas trop méchamment) de l’obsession paupériste de François, a ressorti un article qu’il avait écrit en 2015 en plein « Vatileaks saison 2 » (et que j’avais traduit), inspiré d’une rengaine révolutionnaire, le fameux « Ah ça ira… ». Rapporté à aujourd’hui son texte de l’époque peut sembler amusant, mais la rengaine des sans-culotte m’a toujours paru sinistre.

Commençons par le début: ce que gagnent les cardinaux

Deux ans après avoir réduit de 10% les salaires des cardinaux travaillant dans l’enceinte léonine – l’enveloppe salariale pouvait osciller entre 4 500 et 5 000 euros par mois, elle se situe désormais entre 4 000 et 4 500 -, par un rescrit consécutif à l’audience accordée le 13 février au préfet du Secrétariat à l’économie, Maximino Caballero Ledo, Bergoglio a ordonné l’abrogation de toutes les dispositions permettant aux hauts prélats d’utiliser les propriétés du Vatican à titre gratuit ou dans des conditions de faveur particulières. Cette mesure concerne les cardinaux, les chefs de dicastères, les présidents, les secrétaires, les sous-secrétaires, les cadres et équivalents, y compris les auditeurs, et équivalents, du Tribunal de la Rote romaine. Il s’ensuit que les entités propriétaires des biens – en premier lieu les dicastères du Saint-Siège – devront adopter les prix normalement appliqués à ceux qui occupent des fonctions de toute nature au Saint-Siège et dans l’État de la Cité du Vatican.

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quotidiano.net

(A noter: les cardinaux ne sont pas les seuls concernés par la mesure papale, la plupart des employés reçoivent des salaires très modestes).

Certes, ce n’est pas Germinal, mais compte tenu du niveau et des responsabilités exigés (en théorie, et au moins jusqu’à tout récemment) et du service accompli (j’ajoute prudemment: en général, mais dans toutes les administrations, on doit pouvoir dire la même chose), on conviendra qu’il ne s’agit pas vraiment d’une rémunération princière, surtout dans une ville comme Rome, où l’immobilier est très cher. N’importe quel cadre moyen du privé gagne autant, et je ne parle pas des cadres supérieurs.
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Pour comparaison, en France, depuis juillet 2022, la rémunération du Premier ministre est de 15 735 € bruts mensuels ; la rémunération des ministres et ministres délégués est de 10 490 € bruts mensuels ; la rémunération des secrétaires d’État est de 9 966 € bruts mensuels.


AH, ÇA IRA, ÇA IRA, ÇA IRA …
LES CARDINAUX ON LES PENDRA!

Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
8 novembre 2015

Une réflexion sur les conséquences de la vague de populisme qui se répand dans la société et qui a pour cible l’Eglise catholique. C’est une vague qui vise, dans les intentions de ses promoteurs, à redimensionner le rôle public de l’Eglise, la privant un peu à la fois de ses symboles visibles de «pouvoir». Mais les demeures des cardinaux et des évêques sont-elles vraiment si pharaoniques?

Anno Domini 1790.
Dans la France post-14 juillet – enivrée par la prise de la Bastille et parcourue par les frissons de la Révolution – il se propage un chant populaire de joie et d’optimisme que, bientôt, les sans-culottes (à certains égards, les ancêtres des descamisados) allaient assombrir:

Ah , ça ira, ça ira, ça ira,
les aristocrates à la lanterne,
ah, ça ira, ça ira, ça ira,
les aristocrates on les pendra
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Remplaçons « aristocrates » par « cardinaux », peaufinons un peu, et nous arrivons à la pendaison souhaitée …

Faisons un bond en avant de 225 ans dans l’histoire et nous voilà en cette Anno Domini 2015, alors qu’un martien atterri à Rome à cause d’une panne de son navire spatial, entrant dans un bar quelconque, entend des discours de ce genre:


«Les cardinaux? Les évêques? Ils vivent en pharaons, comme le dit François et donc expulsons-les de leurs appartements princiers, mettons-les dans une petite chambre d’hôtel et envoyons-les travailler, qu’ils aillent pointer!».

Ajoutant:
«Bien fait pour eux … d’autant plus qu’ils ont le cœur dur et la langue desséchée, étant habitué à se comporter comme des pharisiens» (à ce dernier propos: ce constant usage péjoratif de la catégorie « pharisiens » est particulièrement injustifié et offensant, car il ne tient pas compte de la réalité historique des faits … comme dans tous les groupes sociaux, parmi les pharisiens aussi, gardiens et interprètes de la loi, il y avait les « cœurs de chair » – Nicodème n’était-il pas un pharisien? – et les « cœurs de pierre »).

Le thème a été repris le samedi 7 Novembre par les Communautés italiennes chrétiennes de base (catholiques de « gauche ») dans un texte où on lit que le rappel papal sur l’inconciliabilité pour un croyant entre annoncer la pauvreté et vivre en pharaon «s’applique en particulier à ceux qui ont des responsabilités dans le gouvernement de l’Église et qui, tandis que le pape vit de façon simple et austère à Sainte Marthe, continuent à pratiquer, à côté de lui, des modes de vie princiers et à vivre selon des styles de comportement fastueux qui ôtent leur crédit à ceux qui doivent proclamer la Parole du Seigneur».

«Princiers, fastueux».
Mais demandons-nous: est-ce vrai? Est-il vrai que cardinaux et évêques vivent habituellement dans des habitations que l’on peut qualifier de « pharaonique »? (..)

Nous connaissons pour des raisons professionnelles plusieurs demeures de cardinaux, pas seulement de Curie. Ils en ont «hérité» d’un cardinal prédécesseur et elles passeront (à condition, compte tenu des clairs de lune aujourd’hui, qu’elles ne soient pas démembrées ou vendues) à un successeur.
Elles sont situées dans des bâtiments historiques, et par conséquent sont vastes (avec une superficie de plus de 300 mètres carrés en moyenne).
Toutefois, il serait pour le moins exagéré de les envisager comme « pharaoniques ».
Les locaux sont spacieux, mais – pour ce que nous avons pu constater – on n’y voit pas ce luxe qui certes détonnerait avec l’image (juste!) d’une Église sobre.
Souvent, il y a aussi une chapelle privée: est-ce un crime? Les murs des pièces sont souvent pleins à craquer de livres et de documents variés, émanant un parfum de solide culture: un autre crime? Les locaux ont peu de meubles. Et, sur les rares d’entre eux – en particulier dans le hall ou dans le couloir – on trouve des souvenirs de voyages, des dons reçus, souvent des crèches du monde entier, des photos de famille et des rencontres avec les papes et les diverses autorités, des tableaux offerts… en somme, le témoignage d’une vie: un crime, cela aussi?

Pour ce que nous avons constaté, les appartements sont très bien tenus, décorés avec des plantes d’intérieur, entretenus avec l’amour, qui pousse à soigner les détails, d’une ou plusieurs sœurs (qui vivent également dans l’appartement). Ils ont tous un salon pour accueillir les visiteurs, un bureau de travail, une salle à manger: des locaux superflus? Nous ne dirions pas, vu que ces appartements dans de nombreux cas, sont le lieu privilégié pour initier ou soutenir avec discrétion des initiatives caritatives, et qu’on y reçoit des gens qui pour des motifs sérieux ont besoin d’aide: donc les appartements jouent également un rôle social non négligeable.

Que voulons-nous faire? Suivre le populisme d’emprunt qui déferle, expulser quelques cardinaux et les envoyer à l’hôtel (avec des coûts non négligeables)? Restructurer les appartements, les divisant en quatre ou cinq parties (avec des coûts atteignant des sommets, à condition que cela soit possible, s’agissant de bâtiments « historique »).

Compte tenu du manque d’espace qui en résulterait, doit-on vendre les souvenirs et les cadeaux d’une vie passée au service de l’Église, jetant des livres au pilon? Pensez à la réaction de ceux qui sont concernés … pouvez-vous imaginer le cardinal Ravasi ou le cardinal Kasper (ndt: le choix de ces noms ne doit rien au hasard!) dans une chambre d’hôtel, avec des livres qui se compteraient sur les doigts d’une seule main? En outre: pour satisfaire les paupéristes (qui souvent ne sont certes pas pauvres) ne serait-il pas opportun de donner au thème un relief public, peut-être en programmant une journée de repentance collective des « rouge pourpre », vêtus de sac, des cendres sur la tête et des sandales aux pieds?

Une autre réflexion: si un appartement est aussi d’une certaine façon un symbole de stabilité (ce qui renforce l’identité de l’individu, avec toutes les conséquences positives liées), une chambre d’hôtel renvoie plutôt au provisoire et il est difficile de la considérer comme un « chez soi ». En vérité la société d’aujourd’hui, caractérisée par une fluidité croissante (donc: l’instabilité), préfère la chambre d’hôtel à l’appartement.

En fait, il nous vient une idée: en parallèle… pourquoi ne pas démanteler le Quirinale (résidence du Président de la république italienne, ndt), redimensionner la Maison Blanche, l’Elysée et ça va sans dire (en français dans le texte), Buckingham Palace? Les locataires actuels et futurs? Tous à l’hôtel!


Par extension, pourquoi ne pas également restructurer – en les divisant en plusieurs appartements – les villas de ces politiciens, ces managers, interchangeables (pour raisons judiciaires), mais toujours bien placés, ces banquiers et spéculateurs immobiliers qui font étalage de luxe – celui-là, oui, tape-à-l’oeil et offensant et dont il n’est pas rare qu’il soit le fruit de la corruption? Prêts au moins en partie – avec leur faune de thuriféraires stipendiés – à succéder aux Cardinaux, si ceux-ci étaient contraints de déménager?

Bref: attention à ne pas interpréter l' »Église pauvre » (dans le sens de « sobre ») comme une «Église va-nu-pieds», comme le veulent (ouvertement ou subrepticement) tous ceux qui visent à dépouiller l’Eglise des éléments symboliques utiles à son identification sociale (ici, il ne s’agit pas seulement de forme, mais aussi de substance) et de la ramener dans les sacristies (peut-être sous la forme de chambres d’hôtel), de sorte que finalement elle se configure – non plus comme phare public, reconnaissable pour la société – comme un élément négligeable dont les hommes et les femmes de notre temps peuvent facilement se passer.

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