Ecole Ratzinger – Une lecture, datant du moment de sa sortie (2009), de la grande encyclique sociale de Benoît XVI par Mgr Aguer , archevêque (aujourd’hui émérite) de La Plata, en Argentine. Deuxième partie.

La pensée sociale de Benoît XVI. Introduction à la lecture de Caritas in Veritate

Commentaire de Mgr Aguer

III. La question anthropologique

Paul VI avait constaté comme fait contemporain de la publication de Populorum Progressio que la question sociale avait acquis une dimension mondiale. Benoît XVI prolonge et actualise ce constat en affirmant que la question sociale est radicalement devenue une question anthropologique. (#75). C’est-à-dire que ce qui est en jeu aujourd’hui est une idée de l’homme; la conception authentique de l’homme, la vérité sur l’homme, a été mise en danger.

Face à l’avancée d’un réductionnisme technologique qui désarticule la réalité humaine complexe et la dépouille de sa dimension transcendante, l’encyclique signale la nécessité d’aborder les nouveaux problèmes avec une attitude réaliste et confiante, non idéologique, et indique la voie d’une nouvelle synthèse humaniste. Il s’agit d’examiner objectivement la dimension humaine de la question du développement et de ne pas réduire notre regard aux aspects socio-économiques et technologiques. L’homme ne peut se passer de sa nature, surtout lorsqu’il doit prendre des décisions qui engagent son destin. Il est le premier capital qu’il faut sauvegarder et valoriser comme auteur, centre et fin de la vie économique et sociale.

C’est précisément une idée correcte de l’homme, fondée sur la métaphysique et la théologie, qui est indispensable pour établir en quoi consiste un développement authentique. À cet égard, est digne d’intérêt cette citation du n° 29:

L’être humain n’est pas un atome perdu dans un univers aléatoire, mais une créature de Dieu, à qui il a voulu donner une âme immortelle et qu’il a aimée pour toujours. Si l’homme n’était que le résultat du hasard ou de la nécessité, s’il devait réduire ses aspirations à l’horizon étroit des situations dans lesquelles il vit, si tout n’était qu’histoire et culture, et si l’homme n’avait pas une nature destinée à se transcender dans une vie surnaturelle, on pourrait parler de croissance ou d’évolution, mais pas de développement.

*

https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate.html

Une vision étroite de la personne et de son destin, comme celle qui prévaut dans certains pays « surdéveloppés », est à l’origine d’un « sous-développement moral » qui nuit au véritable développement, surtout lorsque ce modèle est exporté vers les pays pauvres à travers les relations commerciales et politiques.

Soulignons un autre aspect particulièrement intéressant : au paragraphe 53, le pape utilise une double citation de saint Thomas d’Aquin pour illustrer comment la communauté n’absorbe pas la personne, annulant son autonomie, comme si elle faisait partie d’un tout. Cette affirmation, qui a une valeur de principe, s’applique par analogie à la compréhension de l’inclusion des peuples dans la famille humaine universelle. Les relations entre les personnes et entre les peuples s’éclairent lorsqu’elles sont envisagées en référence au Modèle divin : la relation entre les Personnes de la Trinité qui sont un seul Dieu. Les sciences sociales ne sont donc pas suffisantes ; le recours à la métaphysique et à la théologie est nécessaire pour saisir la dignité transcendante de l’homme et les conditions de son développement intégral.

IV. Les problèmes actuels du développement

Dans le deuxième chapitre de Caritas in veritate, Benoît XVI se demande dans quelle mesure les attentes exprimées par Paul VI ont été réalisées dans le modèle de développement qui a prévalu au cours des dernières décennies.

La question peut être formulée de la manière suivante : l’homme purement technologique est incapable de se fixer des objectifs réalistes et de mener à bien un processus de développement intégral. Le problème n’est pas seulement et avant tout technique, mais moral et anthropologique. Il ne suffit pas de progresser uniquement d’un point de vue économique et technologique ; il faudrait reconsidérer complètement le sens du développement et d’adopter une nouvelle façon de le concevoir.

Quand le profit est établi comme objectif exclusif de l’activité économique, sans référence au bien commun comme but ultime, il court le risque de détruire la richesse et de créer la pauvreté. Dans ce principe de discernement, on peut percevoir l’écho d’un enseignement durable de la Tradition de l’Église, fondé sur l’Écriture Sainte, et sa critique de la cupidité, de l’avarice et de l’usure ; il suffit de rappeler l’affirmation de saint Paul : la racine de tous les maux est l’avidité de l’argent (1 Tim. 6:10).

Bien qu’il ait obtenu des succès partiels, le développement économique a été et est encore en proie à des déviations et à des problèmes dramatiques qui sont devenus évidents dans la récente crise financière mondiale et ses conséquences économiques et sociales. Nous pouvons détecter un certain nombre de défauts persistants :

1. l’activité financière spéculative et abusive qui a porté préjudice à l’économie réelle.

2. des flux migratoires provoqués et mal gérés.

3. L’exploitation non réglementée des ressources de la planète.

4. Bien que la richesse mondiale ait augmenté en termes absolus, les inégalités ont également augmenté ; dans les pays riches, il existe des zones pauvres et de nouvelles formes de pauvreté, et dans les pays pauvres, l’existence de groupes qui profitent d’un surdéveloppement consumériste et gaspilleur.

5. Corruption et illégalité dans les actions des acteurs politiques et économiques, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres. La corruption et l’illégalité dans les actions des acteurs politiques et économiques dans les pays riches et pauvres.

6. Les entreprises multinationales et les groupes de production locaux qui violent les droits des travailleurs.

7. Détournement de l’aide internationale de ses objectifs correspondants en raison de l’irresponsabilité des donateurs et des bénéficiaires.

8. Formes excessives de protection des connaissances par les pays riches, en particulier dans le secteur de la santé ;

9. la mondialisation des marchés et la concurrence qui en résulte ont conduit à une réduction des filets de sécurité sociale (ce défaut nécessite un réajustement des organisations syndicales).

10. la mobilité de la main-d’œuvre et la déréglementation généralisée, le chômage et ses conséquences.

Paul VI en appelle à la responsabilité des pouvoirs publics, car l’activité économique et la fonction politique évoluent dans les mêmes limites, c’est-à-dire dans la sphère nationale. Dans ce contexte, Benoît XVI estime qu’il est prévisible que de nouvelles formes de participation à la politique nationale et internationale seront renforcées par l’action des organisations de la société civile, et il exprime le souhait que les citoyens soient plus attentifs et participent davantage à la res publica (n. 24).

Dans l’évaluation actuelle du problème du développement, il est important de souligner l’importance des facteurs supra-économiques et supra-technologiques. Une évaluation spirituelle du développement permet de reconnaître que l’augmentation massive de la pauvreté relative n’est pas seulement à l’origine de troubles sociaux, mais qu’elle a aussi un impact économique négatif parce qu’elle érode le capital social, l’ensemble des relations de respect des normes, de fiabilité et de confiance qui sont nécessaires à une bonne coexistence civile. La convergence de la science économique et de l’évaluation morale montre l’opportunité d’une économie véritablement humaine (cf. n. 32).

L’approche spirituelle du développement tient compte des facteurs culturels et religieux qui influencent puissamment les décisions humaines.

Nous soulignons trois questions abordées dans l’encyclique.

1 – Une suggestion importante : le chemin de la solidarité vers le développement des pays pauvres peut être un projet de solution pour la crise mondiale actuelle (n. 27). En effet, le soutien financier solidaire favorise la croissance économique et peut aider à soutenir la capacité productive des pays riches. Au lieu de la guerre, le développement de la solidarité. C’est une question d’attitude, de validité de la vérité dans la charité.

2 – Un autre problème est l’importance du respect de la vie. Le Pape propose d’élargir le concept de pauvreté pour y inclure les crimes contre la vie humaine : la mortalité infantile, le contrôle démographique par la contraception et l’avortement, la mentalité antinataliste, la stérilisation, l’euthanasie, le soutien conditionnel à l’adoption de politiques sanitaires qui imposent le contrôle des naissances (n° 28).

3 – Troisièmement, la négation du droit à la liberté religieuse. Dans ce domaine, se distinguent d’une part le terrorisme et le fanatisme d’inspiration fondamentaliste ; d’autre part, la programmation de l’indifférence religieuse ou de l’athéisme pratique qui, ignorant Dieu comme garant du véritable développement humain, prive les peuples de biens spirituels et authentiquement humains (n. 29).

A suivre.

Share This