… et une « claque » pour François, tendant à prouver que l’issue d’un prochain conclave n’est pas du tout acquise. Le mandat du très progressiste néo-cardinal luxembourgeois Hollerich SJ, « chouchou » du pape et même présumé papabile, étant arrivé à son terme, son dauphin « naturel », Mgr Hérouard, archevêque de Dijon, a été rejeté par ses confrères évêques qui ont choisi pour lui succéder un italien d’une toute autre sensibilité, Mgr Crociata, pas vraiment Bergoglio-compatible et en disgrâce depuis 2013. Et le Pape, recevant les évêques de la COMECE , salue avec emphase Hollerich mais « omet » de prononcer le nom de son successeur.

Les évêques européens inversent le cap et élisent Crociata

Nico Spuntoni

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Après l’expiration du mandat du cardinal Hollerich, l’évêque de Latina, ancien secrétaire de la Conférence épiscopale italienne puis dans l’ombre depuis 2013, a été élu à la tête de la Commission des conférences épiscopales de l’UE. Une revanche de l’épiscopat italien auquel François n’a pas épargné les reproches d’être trop peu « synodal ».

« Je remercie le nouveau président et lui souhaite beaucoup de succès dans son service. Au cardinal Hollerich va ma sincère gratitude : qu’il ne s’arrête jamais, qu’il ne s’arrête jamais ! ». C’est par ces premiers mots que François a accueilli hier les participants à l’Assemblée plénière de la Commission des Conférences épiscopales de l’Union européenne (COMECE) dans la salle du Consistoire.

Le Pape a applaudi de manière non formelle le président sortant, l’archevêque de Luxembourg qui, ces dernières années, est devenu l’un des hommes les plus importants de la hiérarchie ecclésiastique, au point de mériter d’abord la pourpre, puis la nomination comme rapporteur général du très attendu Synode sur la synodalité et enfin l’entrée dans le C9 qui assiste le Souverain Pontife dans le gouvernement de l’Église universelle.

La Commission des Conférences épiscopales de la Communauté européenne, composée des évêques représentant chacun des épiscopats des États membres de l’UE, a été ces dernières années le tremplin de l’ascension du jésuite, qui a récemment été considéré comme le favori de François, peut-être aussi dans la perspective de sa succession. Pourtant, cette forteresse à partir de laquelle Hollerich s’est efforcé, durant son mandat, de donner l’image d’une Église déterminée à épouser le projet européiste tel qu’il est, est passée entre les mains d’un évêque au profil différent de celui de son prédécesseur.

Contrairement aux attentes, en effet, les évêques délégués ont choisi comme nouveau président Mgr Mariano Crociata, un représentant de cet épiscopat italien auquel François n’a pas épargné les foudres pour avoir – selon lui – ignoré son appel à un parcours synodal à la lumière du fameux discours qu’il avait prononcé lors de la convention nationale de 2015 à Florence.

Ce n’est pas un hasard si le favori de la veille était un Français Mgr Antoine Hérouard, archevêque de Dijon mais aussi le délégué à qui le pape avait confié le « commissariamento » du sanctuaire de Lourdes. La confiance de Santa Marta envers ce prélat est telle qu’il lui revient de conduire la visite apostolique dans le diocèse de Fréjus-Toulon, qui a connu un boom des vocations ces dernières années.

En tant que président de la Commission des affaires sociales de la COMECE, Hérouard avait pu compter sur une bonne exposition médiatique, surtout depuis que la tribune de la Commission commençait à peser à Hollerich, qui devait également s’exprimer en tant que rapporteur général du Synode sur la synodalité. Les déclarations faites à ce titre reprenaient les thèmes que le président sortant avait montrés comme lui tenant le plus à cœur et laissaient entrevoir la possibilité d’une succession sous le signe de la continuité au cas où il aurait été élu.

Mgr Hérouard ne sera toutefois que l’un des quatre vice-présidents.

Le nouveau président, que François n’a pas nommé dans son discours d’hier contrairement à son prédécesseur, est donc un visage aussi connu que celui de Mgr Crociata, ex-ecrétaire général de la Conférence épiscopale italienne de 2008 à 2013. C’est le cardinal Angelo Bagnasco qui l’avait voulu à ce poste au début de son mandat à la tête de la Conférence épiscopale italienne.

Son nom est lié à la gaffe historique du communiqué du 13 mars 2013 dans lequel la Conférence félicitait le cardinal Angelo Scola pour son élection au trône pontifical. En effet, dans la pièce jointe au courriel envoyé avec l’erreur flagrante, il y avait un fichier signé par Crociata lui-même qui mentionnait correctement le nom de Jorge Mario Bergoglio. Mais depuis, le prélat est entré dans un cône d’ombre : en octobre 2013, la nouvelle de sa reconduction comme secrétaire général de la Conférence épiscopale italienne a été relayée avec emphase par certains organes, dont Avvenire, et – selon le vaticaniste Marco Politi – elle a tellement irrité le pape que la direction du journal a été contrainte de préciser ultérieurement que la reconduction n’était que pour une période limitée. Un mois plus tard, en effet, Crociata est nommé évêque du diocèse de Latina-Terracina-Sezze-Priverno, ce qui est interprété par presque tout le monde comme une manifestation du classique promoveatur ut amoveatur [promu pour être retiré] ecclésiastique, tandis qu’à la CEI commence la saison de cohabitation entre Bagnasco et Galantino.

La destination du Latium est beaucoup moins prestigieuse que celles qui ont échu à ses prédécesseurs à la fin de leur mandat : Camillo Ruini est choisi comme vicaire de Rome, Dionigi Tettamanzi comme archevêque de Gênes, Ennio Antonelli et Giuseppe Betori comme archevêques de Florence. Tous reçurent la pourpre, tandis que Crociata resta à Latina et ne fut pas créé cardinal.

Compte tenu de l’intérêt toujours plus grand que l’Église porte au processus d’intégration européenne, l’arrivée à la tête de la COMECE constitue à coup sûr une rédemption significative pour le prélat qui, il faut le dire, avait occupé le rôle de premier vice-président au cours des cinq dernières années. Il n’est pas exclu que le poids des délégués des pays d’Europe de l’Est ait influencé le choix d’une succession moins en phase avec l’agenda poursuivi par Hollerich ces dernières années.

Le jésuite luxembourgeois se déplace désormais d’un bout à l’autre de la planète en tant que rapporteur du Synode sur la synodalité. En effet, le cardinal n’était pas présent à l’assemblée plénière, il n’a donc pas entendu en personne les compliments spéciaux que François lui a adressés dans la salle du Consistoire, mais il sera dans quelques jours à Rome, où il est de plus en plus vu et où beaucoup pensent qu’il pourrait être le candidat à battre lors d’un futur conclave.

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