Lors d’une rencontre organisée au Vatican par le Dicastère pour la culture, le Pape s’en est pris à la « méritocratie », l’accusant de « concevoir l’avantage économique de quelques-uns comme gagné ou mérité, alors que la pauvreté de tant est considérée, en un sens, comme de leur faute » Ce n’était pas la première fois (ne pourrait-on pas chercher les origines de cette « fixation » dans le parcours personnel de JM Bergoglio, et les raisons de son complexe d’infériorité vis-à-vis de Benoît XVI, qui fut un exemple vivant de méritocratie?). Ce parti pris papal a fait réagir un catholique argentin, Daniel Passaniti, dans un exposé remarquable publié sur le site de l’Observatoire Cardinal Van Thûan pour la Doctrine Sociale de l’Eglise.
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Le hasard a fait que, presque simultanément, Marcello Veneziani commémorait à sa façon le centenaire de la naissance d’une figure « adorée par les cathos de gauche« , celle de don Milani (1923-1967), un prêtre florentin, entre autres fondateur de la célèbre « école expérimentale » de Barbiana où l’on mettait en pratique les théories anti-élitistes et même révolutionnaires qui devaient s’imposer en 68 et dont on voit aujourd’hui dans notre école les fruits empoisonnés. Et ce n’est certainement pas un hasard si François, à l’occasion de l’une de ses visites « pastorales » en Italie, en 2017, s’était rendu à Barbiana pour se recueillir sur sa tombe et lui rendre hommage
Nous en avions parlé longuement ici: François aime les « mauvais prêtres »

Le problème de l’inégalité peut être aggravé par une fausse conception de la méritocratie qui mine la notion de dignité humaine. La reconnaissance et la récompense du mérite et de l’effort humain ont un fondement, mais il y a le risque de concevoir l’avantage économique de quelques-uns comme gagné ou mérité, alors que la pauvreté de tant est considérée, en un sens, comme de leur faute. Cette approche sous-estime les inégalités de départ entre les individus en termes de richesse, d’opportunités éducatives et de liens sociaux, et traite le privilège et l’avantage comme des acquis personnels. Par conséquent — en termes schématiques — si la pauvreté est la faute des pauvres, les riches sont dispensés de faire quelque chose

L’utopie nocive de don Milani

https://www.marcelloveneziani.com/articoli/la-nociva-utopia-di-don-milani/

Depuis 1968, un personnage culte de notre école « démocratique » est don Lorenzo Milani, dont on célèbre demain le centenaire de la naissance.

J’ai pour lui le respect dû aux idéalistes généreux et de bonne foi, mais je reconnais en même temps les dégâts de son utopie. Car les effets de ses bonnes intentions sur les jeunes, l’éducation, l’école et la morale ont été négatifs. Don Milani a pratiqué la charité, il s’est consacré aux jeunes de tout son cœur, dans la Florence de La Pira [maire de Florence, mort en 1977, déclaré « vénérable » par François], de don Balducci [éminente figure catholique de gauche, 1922-1992] et de don Turoldo [poète et religieux italien de l’Ordre des Servites de Marie, 1916-1992], et il est mort jeune.

Don Milani rêvait d’une école non pas de riches mais de tous, avec un maître égal à ses élèves, dialoguant, sans réserves et sans autorité, car « l’obéissance n’est pas une vertu ». Nobles intentions, mais passons aux effets.

L’école d’aujourd’hui, qui honore don Milani et qui n’est certainement pas le modèle de l’école de Gentile [ndt: Giovanni Gentile, intellectuel de premier plan, fut ministre de l’Instruction publique du gouvernement Mussolini de 1923. Sa conception de l’enseignement était résolument élitiste et antidémocratique, basée sur la méritocratie. Il fut assassiné par les partisans en 1944], est bien plus mauvaise que l’école de l’époque ; elle ne récompense pas le mérite et les capacités, elle n’éduque pas, elle ne stimule pas la culture et elle ne suscite pas l’esprit de mission chez les enseignants ; elle ne produit aucunement des élèves plus libres et plus égaux. C’est une école qui a creusé les écarts entre les riches et les pauvres ; une fois l’école publique détruite, les riches ont envoyé leurs enfants dans des écoles privées. Si vous enlevez les mérites, ce qui reste, c’est ce que la famille vous donne.

Dans notre lycée, le directeur était fils de paysans et, dans sa jeunesse, il était lui aussi paysan; le professeur de littérature avait des origines modestes. Grâce à leur ténacité, ils avaient fait leur chemin ; le latin n’était pas pour eux une oppression de classe, comme le prétendaient les élèves de don Milani, mais un moyen de s’émanciper, voire un moyen de se venger des riches, des paresseux, des incultes et des gâtés. La sélection des meilleurs avait permis leur rédemption, leur affirmation.

Les disciples de don Milani réclament l’abolition des blouses, considérés comme des instruments d’oppression et d’enrégimentement ; ainsi apparaissent les différences de classe entre les enfants de la classe aisée et ceux de la bourgeoisie pauvre. La connaissance de la langue italienne était un moyen de sortir de leurs origines humbles et paysannes et de s’intégrer. La valorisation du dialecte et de l’argot quotidien, voulue par don Milani, les renvoie au contraire à leur condition d’origine et au langage grossier des banlieues dégradées. Nivellement oui, mais vers le bas : même les fils à papa usent de la vulgarité qui a cours à la télévision. La fin de la conscription obligatoire, dont rêvait don Milani, a entraîné la fin d’un des rares lieux de socialisation où les « terroni » coexistaient avec les « polentoni », les riches avec les pauvres.

Dans sa Lettera a una professoressa , devenue un texte culte de la gauche, don Milani parle de « sélection suicidaire » : « Une école qui sélectionne détruit la culture » ; « La sélection est un péché contre Dieu ou contre l’homme » et « le fruit de la sélection est un fruit qui n’est pas mûr et qui ne mûrit jamais ».

Que de mal ont fait à l’école italienne ces paroles, prononcées de bonne foi par un utopiste généreux! Pour lui, toute sélection était classiste, mais si l’on ne récompense pas les plus capables et les plus méritants, on finit par remettre l’école à zéro. Et les plus chanceux, en l’absence de méritocratie, sont les fils de papa, qui ont plus de moyens, plus de connaissances, plus d’aide. La méritocratie est la seule arme de ceux qui n’ont pas de protecteurs.

Que de mal ont fait à l’école ses tirades contre la culture, la philosophie, la pédagogie, la littérature, les classiques et Dante, son idée de réduire les livres à un seul à lire collectivement comme dans un soviet de l’ignorance!

Que de mal a fait à l’école son mépris du bureau du maître, des professeurs, des notes et des bulletins, son souhait d’un syndicat de parents, son école-assemblée basée sur le présent et l’utilité, sa conviction démagogique que « le programme italien aurait été meilleur avec le contrat des métallos. L’avez-vous lu, madame (l’institutrice) ? Vous n’avez pas honte ? ».

Il poursuit en écrivant que « la vraie culture, celle qu’aucun homme n’a encore possédée, est faite de deux choses : appartenir à la masse et posséder la parole ». Combien d’orfèvres démagogues a-t-il encouragés ? Il a armé les ignorants d’arrogance. Et les étudiants méritants, il les traite de « carriéristes ».

(…)

L’effet involontaire du milanisme fut, comme l’écrivit Sebastiano Vassalli dans La Repubblica, la fuite des écoles publiques vers les écoles privées ; Don Milani commença à jeter les livres « et ses soixante-huitards jetèrent tout le reste ». Vassalli, « pauvre fils de pauvres », considérait le livre de don Lorenzo comme  » scélérat « , avec  » les bons d’un côté et les méchants de l’autre  » et  » le lynchage moral  » des professeurs de l’époque.

En revanche, dans quelques jours, le centenaire de la naissance d’un autre catholique florentin tombera en silence : il s’agit d’Attilio Mordini, un catholique de tradition, un érudit des mythes, qui mourut lui aussi à l’âge de 43 ans, l’année précédant celle de don Milani. Mordini avait compris que l’école sans éducation, sans tradition et sans méritocratie n’a plus de rôle et que ce sont les pauvres qui souffrent plus que les nantis. Je voudrais que l’on se souvienne de don Milani avec Mordini : le Florentin et catholique Franco Cardini, qui les aimait tous les deux, sera d’accord. Don Milani doit être reconnu pour sa forte personnalité et son idéalisme, mais il a été un mauvais maître. A en juger par ses fruits et non par ses intentions. Pas un maître méchant, au contraire, mais un mauvais maître.

MV
La Verità – 26 mai 2023


Sur la méritocratie comme sortie de la décadence

Comme toujours, il est nécessaire de savoir de quoi l’on parle, quel est le sens du concept ou de l’idée en cause, au-delà de toute évaluation ou considération subjective.

C’est le sociologue britannique Michael Young qui a été l’un des premiers à inventer le concept de méritocratie dans son livre The Rise of the Meritocracy (1958). Selon lui, la confirmation ou la reconnaissance des privilèges obtenus découle de l’équation suivante : Coefficient intellectuel + Effort = Mérite.

Pour la Real Academia Española, le mérite est une action ou une conduite digne d’être récompensée ou louée, et la méritocratie est le système de gouvernement dans lequel les postes de responsabilité sont attribués en fonction du mérite personnel. Pour les classiques, l’aristocratie était le gouvernement des meilleurs.

Dans ce bref exposé, je me référerai aux opinions de deux personnes qui, en tant qu’Argentins, nous touchent de très près. L’une d’entre elles est Sa Sainteté le Pape François, dont les déclarations nous ont laissés un peu perplexes ; l’autre est M. Alberto Fernández, président des Argentins, dont les idées sur le sujet, loin de nous dérouter, ont au contraire très bien clarifié l’une des raisons pour lesquelles l’Argentine connaît une crise terminale. Voyons cela.

Lors d’un événement organisé en avril dernier au Dicastère de la culture et de l’éducation, le pape François a déclaré qu’un faux concept de méritocratie peut miner la notion de dignité humaine, parce qu’il risque de considérer l’avantage économique de quelques-uns comme acquis et mérité. En conséquence, la pauvreté de beaucoup est considérée en quelque sorte comme leur faute, de sorte que si la pauvreté est la faute des pauvres, les riches sont dispensés de faire quoi que ce soit pour y remédier. Il a également appelé à ne pas utiliser le comportement passé d’un individu pour lui refuser la possibilité de changer, de grandir et de contribuer à la société (Telam, 27/3/23).

Plécédemment, sur Twitter, méditant sur Matthieu 20 : 1-16, le pape François a écrit:

« Celui qui raisonne avec la logique humaine, celle des mérites acquis par ses propres capacités, de premier devient dernier. Au contraire, celui qui s’en remet humblement à la miséricorde du Père, de dernier devient premier .

(@Pontifex_es, 20/09/20)

Avec tout le respect dû à Sa Sainteté, si le mérite implique la reconnaissance d’un certain avantage, économique ou autre, en vertu des compétences, des capacités et des efforts déployés par une personne ou un groupe social, pourquoi ne pas reconnaître cet avantage comme légitimement gagné et mérité ? Pourquoi la reconnaissance d’un mérite personnel et d’un avantage économique acquis sans préjudice pour quiconque impliquerait-elle nécessairement que nous ne faisons pas confiance à la miséricorde de Dieu, et nous ferait passer de la première à la dernière place ? Qui refuse aux pauvres la possibilité de changer leur situation, de grandir et de contribuer à la vie sociale ?

N’est-ce pas plutôt le devoir de chaque homme de développer les talents et les capacités que Dieu lui a donnés pour le bénéfice de tous les hommes ? Et si c’est grâce à ses talents et à ses efforts personnels que l’on progresse économiquement (mérite), cela implique-t-il de porter atteinte à la dignité humaine au nom d’une fausse méritocratie ?

Je dois avouer que ces déclarations de Sa Sainteté me troublent, car mes parents, les enseignants et les prêtres avec lesquels j’ai été éduqué m’ont appris la valeur du travail, de l’effort et du mérite personnel, que les talents et les qualités personnelles sont des dons de Dieu, et que ces talents et ces capacités doivent être mis à profit au service des autres, sans culpabilité pour une promotion personnelle méritée.

Dans ce même ordre d’idées, en septembre 2020, le président des Argentins, Alberto Fernández, dans un discours prononcé dans la ville de San Juan, a déclaré que ce qui nous fait évoluer et grandir n’est pas le mérite, comme on nous l’a fait croire ces dernières années (La Nación, 16/09/20).

En décembre de la même année, il a déclaré :

« Le mérite est nécessaire s’il y a égalité de conditions (…) si le minimum de conditions n’est pas donné, alors le mérite n’est pas suffisant. C’est pourquoi nous pensons que là où la société ne peut pas générer des conditions d’égalité, l’État doit être présent (…). Certains pensent que parce que nous parlons ainsi, nous sommes populistes. Si être populiste, c’est penser à ceux qui ont moins, à ceux qui ont besoin de beaucoup, je suis populiste » (Clarín, 28/12/2020).

Devant les propos de Monsieur Alberto Fernández, je ne peux m’empêcher de ressentir de la honte. Ils indiquent clairement et sans l’ombre d’un doute pourquoi l’Argentine maintient aujourd’hui 40 % de sa population et 55 % de ses enfants sous le seuil de pauvreté et expliquent pourquoi elle est soumise à une sous-culture qui ne lui permet pas de retrouver la volonté d’être qu’elle avait autrefois et qui la plaçait parmi les grandes puissances du monde. Honte, parce que le premier magistrat du pays ne croit pas au mérite et à l’excellence, laissant comme seule option l’assistanat d’État, qui aggrave les inégalités sociales et porte gravement atteinte à la dignité de nombreux Argentins.

Le populisme auquel s’identifie Alberto Fernández prétend nous faire croire, de manière démagogique, qu’il existe une égalité de conditions et d’opportunités pour tous les hommes. C’est absolument faux, la condition de la famille dans laquelle nous naissons et sommes formés, les capacités et les talents personnels, les opportunités et les circonstances que la vie nous offre, marquent nécessairement des différences sociales et économiques. Il n’y a pas d’égalité des chances pour tous.

C’est précisément là que réside la responsabilité de l’État, qui doit atténuer les différences sociales et économiques et créer les conditions permettant à tous d’atteindre un niveau de vie digne, poursuivant ainsi sa finalité première, le bien commun. Le populisme démagogique, au contraire, proclame un État providence et omniprésent qui porte atteinte à la dignité humaine, condamnant les pauvres à une plus grande pauvreté sans leur donner la possibilité de changer et de progresser. L’équité sociale, la juste répartition des richesses, est la responsabilité première de l’État, un objectif qu’il doit poursuivre sans porter atteinte à l’initiative privée, à l’esprit d’entreprise et à la compétence, sans préjudice de l’effort personnel, du mérite, de l’excellence sociale et du progrès économique.

La conséquence de ce populisme démagogique est qu’aujourd’hui, en Argentine, beaucoup renoncent à leur propre effort pour gagner leur pain quotidien, dans l’espoir d’une aumône de l’État. La culture de la demande l’emporte sur la culture de l’effort ; aidés par l’État, beaucoup s’exonèrent commodément du devoir de travailler, alors que d’autres méritent d’avoir les conditions et les possibilités de progresser et d’atteindre ainsi un niveau digne de subsistance. Les gouvernements populistes et démagogiques condamnent les pauvres à être chaque jour plus pauvres, sans leur donner la possibilité de changer la situation, ils creusent les inégalités sociales, nous faisant croire à tort à un État-providence omniprésent qui, en réalité, ne fait pas ce qu’il doit faire et fait ce qu’il ne devrait pas faire, portant ainsi atteinte à la dignité de l’être humain.

« Une société prospère pour le bien de tous s’incarne dans une culture de reconnaissance de l’effort, de la persévérance, de la créativité, de l’innovation (…) dans l’investissement dans la production et le bien-être, en particulier dans l’éducation, car c’est là que se trouve la clé pour assurer un point de départ plus équitable. Enfin, elle s’inscrit dans une culture de solidarité et d’austérité avec les plus faibles. La simple égalité, c’est-à-dire le fait que tous les membres d’une société soient égaux dans tous les sens, n’est viable que dans un système très autoritaire qui ignore les aptitudes, les capacités, les libertés et les valeurs des individus (…). A quoi une communauté peut-elle aspirer de mieux que d’être gouvernée par les meilleurs, de bénéficier des plus talentueux, d’être guidée dans son développement par les plus capables dans tous les domaines de la vie sociale, pour le bien de tous ? (…) .

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Dès que l’on fait une lecture sur le mérite, l’occasion se présente de rappeler la doctrine catholique en la matière, qui peut se résumer ainsi : Jésus est la source de tout mérite devant Dieu, mais chacun peut l’atteindre par son propre effort pour développer les talents qu’il a reçus. Le travail, l’effort et la persévérance s’appliquent à chaque personne, pour la vie éternelle, et ils s’appliquent aussi à la communauté. Condamner les mérites personnels au nom d’une hypothétique égalité, c’est aller à l’encontre du bon sens, c’est appauvrir la vie communautaire, c’est donner plus de chances à l’injustice »

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(Revista Criterio : Una reflexión sobre el mérito. Año 2020, Nro 2472).

Ces brèves réflexions m’ont rappelé mon école primaire. Je me souviens avec nostalgie du « tableau d’honneur » accroché dans la cour centrale, où figuraient les noms des trois meilleurs élèves de l’école, qui se distinguaient par leur conduite, leurs résultats scolaires, leur esprit d’équipe et d’autres qualités personnelles. Tout le monde rivalisait, sainement, pour entrer dans ce tableau et mériter une place privilégiée parmi nos pairs. L’application, le travail et l’effort, l’accomplissement du devoir, le mérite et l’excellence étaient récompensés. Autre Argentine et autre réalité, bien loin de la médiocrité qui nous envahit aujourd’hui et qui a gravement appauvri la société.

Dieu fasse qu’un jour nous ayons un leadership qui se distingue par son mérite, sa qualité, son excellence, un leadership qui promeuve la méritocratie dans tous les domaines et qui permette à l’Argentine de sortir de cette décadence morale, spirituelle et sociale à laquelle l’ont condamnée des gouvernements populistes et démagogiques comme celui que nous subissons aujourd’hui.

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