Avant d’être rassuré par François lui-même, le nouveau préfet de la DDF avait prétendu avoir hésité à accepter la nomination à la DDF parce qu’il ne se sentait pas apte à traiter de l’une des compétences du dicastère, la question des abus sexuels dans le clergé (cf. Tucho Fernandez écrit à ses paroissiens).
Or, c’est précisément le cardinal Ratzinger qui avait voulu en 2001 que la gestion de ces affaires revienne à la Congrégation qu’il dirigeait alors, afin de donner aux évêques la pleine conscience de la gravité que ce problème représentait pour Rome.
Nico Spuntoni, après avoir rappelé l’action décisive du cardinal Ratzinger puis du Pape Benoît dans la lutte contre ce fléau, et les piètres « performances » de Fernandez dans la gestion de ces affaires dans le diocèse de La Plata, se demande s’il était opportun de nommer à ce poste éminemment sensible un homme qui, de son propre aveu, n’a pas la compétence nécessaire (nous ne parlons pas ici de ses compétences doctrinales…) et s’en décharge par faveur spéciale du Chef.

La question des abus jette une ombre sur la nomination de Tucho

Nico Spuntoni
lanuovabq.it/it/la-questione-abusi-solleva-ombre-sulla-nomina-di-tucho
11 juillet 2023

La « dispense » papale exemptant Fernández du front de la protection des mineurs n’apaise pas les perplexités. Il n’y a rien contre lui, mais s’il admet lui-même qu’il n’a pas agi de la meilleure façon, on se demande pourquoi le nommer à la tête du dicastère.

La prémisse dérange, mais elle est incontournable : le dossier des abus est devenu pour beaucoup une arme contondante utilisée contre l’Église catholique dans les médias, plaçant tous les prêtres saints et honnêtes du monde dans une position où ils se sentent « coupables par association » et sont considérés comme « en quelque sorte responsables des méfaits des autres », comme l’a écrit Benoît XVI dans sa lettre pastorale aux catholiques d’Irlande.

Après des années d’incertitude, c’est grâce à l’initiative de Joseph Ratzinger qu’il a été décidé en 2001 que la compétence exclusive pour les crimes contre le sixième commandement du Décalogue commis par des clercs sur des mineurs de moins de dix-huit ans appartenait à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Tout doute a été dissipé dans la lettre De delictis gravioribus en application du motu proprio « Sacramentorum sanctitatis tutela ». C’est le préfet d’alors qui a convaincu Jean-Paul II de la nécessité de cette action, malgré l’opposition de la direction de la Congrégation pour le clergé, qui se sentait « volée ». Mais Ratzinger était convaincu, comme l’a raconté le psychiatre et témoin direct des faits Manfred Lutz [psychiatre et théologien allemand, connaissance de longue date de Benoît XV, alors membre du dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, ndt] , qu’il fallait donner aux évêques la conscience de la gravité que le problème des abus avait pris pour Rome après des années de tiédeur excessive, en le concentrant exclusivement entre les mains de la « Suprema ».

Grâce à cette décision, les anticorps de l’Église contre le virus de la pédophilie (et de l’éphébophilie) ont commencé à agir sérieusement, comme en témoignent les presque trois mille cas que la Congrégation pour la doctrine de la foi s’est retrouvée à examiner de 2001 à 2009. Mesure après mesure, ce système a été à peu près maintenu et avec le motu proprio « Fidem servare » de février 2022, François a révisé la structure de l’ancien Saint-Office en prévoyant deux sections plus autonomes, la doctrinale et la disciplinaire, attribuant à cette dernière la tâche de traiter les delicta graviora mais prévoyant de toute façon que le préfet du dicastère assisterait le tout. Au sein de ce dicastère est également instituée la Commission pontificale pour la protection des mineurs, comme le prévoit la Constitution apostolique Praedicate Evangelium.

Bref, le dicastère pour la doctrine de la foi est, à tous égards, au cœur du défi contemporain le plus important pour la crédibilité de l’Église catholique, à savoir la lutte contre les abus commis par des clercs à l’encontre de mineurs et de personnes vulnérables. C’est pourquoi les mots par lesquels le nouveau préfet, le cardinal élu Víctor Manuel Fernández, s’est présenté sur les réseaux sociaux ont probablement suscité la perplexité de plus d’un.

Le cardinal Tucho a expliqué qu’il avait d’abord hésité face à l’offre du pape de diriger l’ancien Saint-Office, précisément parce qu’il ne se sentait « pas (…) préparé » sur la question des abus, mais qu’il a changé d’avis lorsqu’il a « découvert que la question des abus se trouve maintenant dans une section autonome, avec des professionnels très bien préparés ».

Un concept également réaffirmé à Iacopo Scaramuzzi dans l’interview accordée à La Repubblica, dans laquelle Fernández, revenant sur l’éloge des « excellents experts » de la section concernée, a déclaré qu’il pensait que « cela n’avait pas de sens » pour lui de « leur faire perdre leur temps avec [ses] opinions ».

Le nouveau préfet a ajouté :

précisément en raison de l’importance que cette question revêt aujourd’hui pour la crédibilité de l’Église, je crois que la meilleure chose que je puisse faire est de les laisser travailler librement […] Je consacrerai mon temps et mes efforts à ce pour quoi je me sens confiant et préparé, à savoir la théologie.

Un aveu qui relance le thème de l’opportunité de la nomination du théologien argentin dans le rôle de quelqu’un qui, en tout cas, doit assister le secrétaire de la section disciplinaire et est responsable des actions des professionnels qu’il veut laisser « libres de travailler ».

Comme Fernández dit se sentir formé seulement en théologie, d’aucuns se demandent maintenant s’il n’aurait pas dû être nommé seulement secrétaire de la section doctrinale. En matière de lutte contre les abus, les enjeux pour l’Eglise sont trop importants pour se permettre de tels dérapages avec un préfet qui, bien qu’ayant le dernier mot, dit ne pas se sentir prêt à y faire face et veut laisser carte blanche à ses subordonnés.

Si le passé du dicastère a été malmené dans la lettre de nomination du nouveau préfet, peut-être Fernández pourrait-il s’inspirer de l’expérience de son prédécesseur Joseph Ratzinger : au printemps 2002, Manfred Lutz eut le courage de dire en face au fameux panzerkardinal que, bien que la concentration de compétences en matière d’abus cléricaux à l’ex-Suprema fût positive, il était convaincu que ni le préfet ni ses collaborateurs n’étaient réellement compétents en la matière; et il lui suggéra de convoquer une conférence d’experts au Vatican. Ratzinger les écouta, mais il tira ensuite les conclusions et, en tant que préfet, agit conscient de la responsabilité qui lui incombait – à lui et non à d’autres – dans la lutte contre ce qu’il a appelé plus tard la saleté dans l’Église.

Au cours des dernières heures, la question des abus a partiellement gâché la fête de l’annonce de l’arrivée de la nouvelle mauve. Associated Press a en effet interviewé Tucho à la fin d’une messe à La Plata et lui a demandé son avis sur les accusations portées contre lui par l’association US Bishop Accountability selon laquelle « rien dans son dossier ne suggère qu’il est apte à mener la bataille du pape contre les abus et les dissimulations » en référence à sa gestion du cas du père Eduardo Lorenzo, un prêtre de l’archidiocèse de La Plata accusé d’avoir abusé de cinq mineurs. À l’agence AP, Fernández a déclaré : « Je me comporterais certainement très différemment aujourd’hui et ma contribution a certainement été insuffisante ».

Admettant qu’il n’avait pas « agi de la meilleure façon », il s’est justifié en rappelant qu’il avait commencé comme archevêque de La Plata « sans aucune expérience dans un autre diocèse » et en faisant valoir que les procédures « étaient moins claires ». Les accusations contre le prêtre remontent à février 2019, mois au cours duquel s’est tenue au Vatican la réunion sur la protection des mineurs dans l’Église voulue par François.

En débarquant à Rome, Fernández laisse derrière lui un archidiocèse à la situation compliquée, également en raison d’événements hérités de ses prédécesseurs. Au cours des cinq années qu’il a passées à La Plata, l’archevêque a dû faire face à la révélation de trois cas d’abus.
Outre Eduardo Lorenzo, décédé par suicide en décembre 2019 quelques heures avant sa probable incarcération sans – comme l’a rappelé Fernández au lendemain de la nouvelle – « qu’un procès ait conclu sur les accusations présentées », il y a actuellement un prêtre assigné à résidence dans l’archidiocèse, Raúl Anatoly Sidders, accusé par une jeune femme d’attouchements sexuels qui auraient eu lieu dans une école de Buenos Aires où il enseignait alors qu’elle avait 11 ans.
Enfin, Maximiliano Di Virgilio, curé et enseignant à l’école Santa Ana, nommé par lui en 2020, contre lequel il y aurait eu une plainte auprès de la direction de l’école par la famille d’un élève en novembre 2021, qui n’a pas donné lieu à des poursuites pénales mais a vu des protestations de parents d’élèves demandant le transfert du prêtre en avril 2022.

Les vicissitudes de l’archevêché ont été rapportées ces dernières années par La Izquierda Diario, le journal du parti d’extrême gauche Frente de Izquierda de Argentina, avec des accusations sévères contre la gestion de Fernández.

Contacté par la NBQ, l’auteur de l’enquête journalistique, Daniele Satur, a donné sa version des présumées responsabilités du nouveau préfet du dicastère pour la doctrine de la foi. Sur l’affaire Lorenzo, Daniele Satur affirme que « jamais, en aucune façon, Fernández n’a essayé d’approcher les plaignants avec un message de retenue ou de se mettre à leur disposition ».

Le journaliste poursuit :

Quand l’affaire n’a plus pu être cachée, Lorenzo a été transféré de la paroisse où il avait abusé d’un adolescent pendant des années à un siège de Cáritas à La Plata où on lui a construit une ‘suite’ spéciale où il pouvait passer ses journées.

Satur a également à redire à la conduite de Fernández après la découverte du corps du prêtre parce que, selon lui, il « a systématiquement refusé d’accorder des interviews à la presse pour clarifier sa position, ne s’exprimant que par le biais de ‘communiqués’ qui ne disaient rien ou presque ». Quant à l’affaire Sidders, selon le journaliste,

après la mort de Lorenzo l’archevêque l’a transféré de La Plata à Misiones où il a été nommé par Baisi, ancien évêque auxiliaire de La Plata, aumônier de la gendarmerie nationale et quand la première plainte contre lui est apparue, Sidders se trouvait déjà à des milliers de kilomètres de là.

Comment le cardinal élu a-t-il réagi aux articles virulents du journal d’extrême gauche à son égard ?

Satur explique :

« Fernández a publiquement accusé nos médias et d’autres de produire des « fake news », mais il n’a jamais osé s’adresser à la justice pour le prouver. Rien de ce que nous avons dit au fil des ans n’a été réfuté. Au contraire, nous lui avons toujours donné l’occasion de donner sa version des faits, mais il n’a pas voulu le faire ».

Ce sont des accusations qui proviennent d’une signature d’un journal d’extrême gauche qui a une rubrique peu bienveillante consacrée au thème de l’Église et de la pédophilie, et que nous reprenons sans porter de jugement.

Il n’y a pas de responsabilité établie dans la conduite de Fernández face aux scandales de son archidiocèse, même si on ne peut pas dire que La Plata soit un modèle dans le traitement des cas d’abus commis par des ecclésiastiques. Le mea culpa en tant que pasteur, livré à l’Associated Press par le cardinal élu, et cet aveu d’impréparation dans la lettre diffusée sur les réseaux sociaux soulèvent la question de l’opportunité d’une telle nomination à la tête du dicastère entre les mains duquel se concentre le dossier le plus brûlant dans les médias (et ailleurs) pour le présent et l’avenir de l’Église.

Une solution interne comme celle représentée par Mgr Charles Scicluna, secrétaire adjoint et une longue carrière dans l’ancienne congrégation, aurait certainement causé moins de tensions sur le plan théologique et aurait signifié une garantie de compétence dans la lutte contre la pédophilie et l’éphébophilie dans l’Église, puisqu’il en est le visage le plus connu depuis des années.

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