Nous avons évoqué hier, admettons que c’était d’une façon un peu provocatrice, une phrase « jetée » par François devant ses confrères jésuites lors de son voyage au Portugal. Phrase sortie de son contexte, certes, mais d’une certaine façon, elle était totalement incongrue, n’apportait rien, sinon la confirmation que le lexique du pape était résolument trivial (on aurait même pu, malicieusement, l’appliquer à l’auteur lui-même), et, pour parler familièrement, n’avait ni queue ni tête.
Stefano Fontana, qui se place dans la perspective de la Doctrine sociale de l’Eglise, dont il est spécialiste, relève ici plusieurs éléments problématiques dans le discours papal, un discours qui ressemble de plus en plus à un disque rayé. Ce ne sont malheureusement par les seuls (à suivre)

Papal, mais pas trop…

Les interviews du Pape : slogans fixes, confusion assurée

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Stefano Fontana

Indietrisme, cléricalisme et les inévitables ambiguïtés sur l’inclusion des homosexuels et des transsexuels : c’est le scénario habituel mis en scène une fois de plus dans la conversation de François avec les jésuites portugais.

Durant son voyage à Lisbonne pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, François a aussi rencontré, comme il en a l’habitude, ses frères jésuites et a répondu à leurs questions. Le texte de cet entretien est aujourd’hui publié par La Civiltà Cattolica. [dûment corrigé et « nettoyé »…, c’était du langage parlé, et l’on sait comment s’exprime le Pape, ndt]

On espère toujours que ces rencontres apporteront quelque enseignement important et clair, même si le langage utilisé est plutôt informel, comme dans un dialogue entre amis. Mais ce n’est souvent pas le cas pour deux raisons principales.

La première est que François poursuit sa propre ligne de pensée et ne se laisse pas le moins du monde interpeller par les questions soulevées. Non pas que ses frères jésuites, en tant que jésuites, posent des questions embarrassantes, mais ils soulèvent des problèmes qui sont immédiatement traités selon les schémas de pensée habituels et avec l’abus des mêmes mots : indiétrisme, cléricalisme et ainsi de suite.

La deuxième raison est que François porte des jugements généraux sur des situations très complexes. On comprend que dans une brève interview on ne peut pas écrire des romans, mais c’est précisément pour cette raison qu’il faut faire preuve d’une certaine prudence. Par exemple, le Pape exprime ici un jugement très dur et absolument schématique sur le clergé et les catholiques américains, les accusant sommairement d‘indietrisme idéologique :

« il y a une attitude réactionnaire très forte, organisée, qui structure une appartenance y compris affective. Je veux rappeler à ces gens que l‘indietrisme ne sert à rien ».

On a l’impression que dans chaque interview avec ses frères jésuites, mais on pourrait aussi dire dans chaque interview tout court, les réponses de François sont standard, qu’elles appartiennent à un répertoire conceptuel et linguistique fixe et qu’elles ne connaissent pas d’évolution réelle. Cette fois encore, comme par le passé, François cite Vincent de Leirens à propos de l’évolution du dogme, mais il le cite à moitié, mentionnant les mots qui indiquent un progrès, mais jamais ceux qui indiquent une continuité parfaite, à savoir ce « partout, toujours et par tous » [ndt: « Nous maintenons la croyance de ce qui a été cru partout, toujours, par tous » (ubique, semper, et ab omnibus; cf. Le Pape cite saint Vincent de Leirins… ou plutôt l’instrumentalise, pour le trahir]. Bien que de nombreux experts le lui aient fait remarquer il reste imperturbable.

Cette approximation, qui anime les jugements hâtifs et injustes, s’est également manifestée dans ce dialogue avec ses frères jésuites du Portugal sur un sujet concernant la Doctrine sociale de l’Église. Répondant à une question sur l’inclusion des homosexuels et des transsexuels dans l’Église (pouvait-elle faire défaut ?…), François a fait cette remarque :

« Mais ce que je n’aime pas du tout, en général, c’est que l’on regarde à la loupe ce que l’on appelle le « péché de la chair », comme on l’a fait pendant si longtemps à propos du sixième commandement. Si vous exploitez des travailleurs, si vous mentez ou trichez, cela n’a pas d’importance, et ce sont les péchés en dessous de la ceinture qui comptent ».

Cette intervention est lacunaire à plus d’un titre. Tout d’abord, elle exprime un jugement en trois mots et le résultat d’une impression personnelle sur une question très importante et complexe. Elle juge des époques entières de l’histoire, de nombreux prêtres dans les confessionnaux, des éducateurs et des parents par le biais d’un jugement tranchant et sans appel. Deuxièmement, il s’agit sans aucun doute d’un jugement erroné, car il ne tient pas compte de la grande attention que la Doctrine sociale de l’Église, la morale catholique et les manuels pour les confesseurs ont accordée à ce que l’on appelle les « péchés sociaux ».

Le catéchisme mentionnait la spoliation des travailleurs de leur juste salaire comme une action qui appelle la vengeance de Dieu. Dans Rerum novarum, Léon XIII plaçait au centre de l’action de l’Église ceux qui étaient « seuls et sans défense à la merci de la cupidité des patrons et d’une concurrence effrénée ». Ce jugement de François ne rend pas justice à « ce grand mouvement de défense de la personne humaine » mentionné dans son encyclique Centesimus annus (n. 3) de Jean-Paul II, qui a œuvré pour une société plus juste.

Certes, dans le passé, l’attention portée aux péchés « de chair » était beaucoup plus vive qu’aujourd’hui, où – comme le révèlent de nombreux confesseurs – plus personne ne se confesse pour des actes contraires au sixième commandement. Mais il ne manquait certainement pas d’examens de conscience pour les actes d’injustice sociale et d’exploitation, ni d’actes de réparation pour ces péchés, ni d’interventions publiques de charité, comme l’attestent les saints sociaux et leurs œuvres de charité. En effet, Rerum novarum se terminait par un hymne à la charité. Et combien de générations de prêtres et de laïcs cette encyclique a-t-elle inspirées et guidées ?

D’ailleurs, si aujourd’hui plus personne ne se confesse pour le sixième commandement, tout le monde se confesserait-il pour le septième [Tu ne commettras pas de vol, ndt] ?

Cette étrange intervention de François semble oublier qu’il n’y a finalement qu’une seule vertu, et que le respect de la dignité de son corps et de celui des autres aide aussi à respecter le travailleur ou le pauvre. Le sixième commandement n’est pas quelque chose de privé, mais a une large répercussion sur la vie sociale et politique, car c’est de la culture des passions débridées que naissent tous les problèmes de la société.

Lors du colloque de Lisbonne, François a beaucoup parlé de l’inclusion des homosexuels et des transsexuels. Nous préférerions que ce lien entre le respect du corps et la justice, entre le sixième et le septième commandement, ne lui ait pas échappé.

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