Un très, très long article du vaticaniste, VRAI connaisseur, et plutôt équilibré de Il Foglio, Matteo Matzuzzi. (qui m’a donné beaucoup de travail, car il a été reproduit sur Il Sismografo entièrement « collé », sans aucun alinéa ni mise en forme typographique – mais il en vaut la peine). Il est in-résumable (et je n’essaie même pas), mais tout y est (Vatican III, féminisme radical et ordination des femmes, principe de synodalité, rôle des allemands, etc.). Ce qui est évident pour tout le monde, c’est « Il va se passer quelque chose ». Et LA QUESTION CENTRALE: jusqu’où peut-on aller ? Jusqu’où peut-on tirer sur la corde sans qu’elle ne se rompe ?

Le cahier des doléances va de soi et dans l’Instrumentum laboris, schéma qui devrait – comme jamais auparavant, le conditionnel est de rigueur – inspirer les travaux du Synode, on trouve tout ce que les secteurs les plus mouvementistes de l’Église demandent : la fin du célibat des prêtres, la participation des femmes au gouvernement, aux processus de décision, à la mission et aux ministères à tous les niveaux de l’Église, les minorités, le handicap, « l’élimination des barrières, des barrières pratiques aux préjugés culturels », la crise climatique. Même les thèmes du double Synode 2014-15 sur la famille reviennent : nouvelle approche de la morale, divorcés remariés, mariages polygames.

Synode, que le rideau se lève!

Tout est prêt pour la grande assemblée voulue par le Pape qui décidera de l’avenir de l’Eglise

(Matteo Matzuzzi – Il Foglio, 30 septembre 2023)
ilsismografo.blogspot.com

Ce matin, la création de nouveaux cardinaux, ce soir la veillée œcuménique sur la place Saint-Pierre. Et puis il se passera quelque chose. Tout le monde le dit, les observateurs experts des choses de l’Église, les prêtres qui feuillettent Avvenire, les évêques avec leur valise prête pour Rome.

« Il peut se passer tellement de choses, on ne sait pas », confirme quelqu’un qui s’y connaît en matière de synodes, comme le cardinal Christoph Schönborn.

Le Synode sur la synodalité, saison 1, s’ouvre mercredi prochain jusqu’au 29 octobre. Quatre semaines pleines qui mettront à l’épreuve le tempérament et l’endurance de chacun, à tel point que des moments de « loisir » sont prévus, si l’on peut dire : entre-temps, la retraite spirituelle à Sacrofano, le pèlerinage aux catacombes de l‘Appia Antica, le rosaire dans les jardins du Vatican devant la reproduction parfaite de la Grotte de Lourdes.

La deuxième étape, vraisemblablement décisive, aura lieu dans un an, quand seront tirées les conclusions du grand débat ouvert par le Pape il y a déjà logtemps et qui s’est déroulé, avec des hauts et des bas, dans le monde entier. Il se passera quelque chose, mais personne ne sait quoi.

Officiellement et du point de vue juridique, personne ne le sait parce que c’est l’Esprit Saint qui guidera les esprits et les cœurs – François le répète à chaque fois qu’il aborde le sujet – mais il est impossible de faire des prédictions réalistes.

En ouvrant le Conseil permanent de la CEI, le cardinal Zuppi a déclaré:

« Il s’agit d’une nouvelle occasion de grâce pour l’Église, un moment en quelque sorte similaire à celui du dernier Concile, où résonnera la question « Église, que dis-tu de toi-même ? » (…) La prochaine assemblée du Synode des évêques se fera l’écho d’une question similaire, sur la nature et la mission d’une Église qui se veut entièrement synodale, déclinant ensemble communion, participation et mission ».

Des centaines de têtes pensantes, tous les coins de la planète représentés, des idées sur le destin de l’Église souvent opposées. Pour une fois, les mêmes doutes et insécurités sont partagés par les conservateurs et les progressistes, si tant est que ces catégories aient encore un sens, à une époque où plus ou moins tout est fluide, liquide et relatif.

Que se passera-t-il ? Que décidera le pape, une fois que les semaines de discussions, de propositions et de votes auront eu lieu dans la salle Paul VI ? Car c’est là que se déroulera l’événement, et non plus dans l’Aula Nuova qui a vu les examens dramatiques et les coups bas entre cardinaux lors du synode biennal sur la famille à l’aube du pontificat bergoglien. Dans la salle Paul VI parce que les pères – et les mères – seront nombreux, trop nombreux pour être logés ailleurs.

449 participants : 365 auront le droit de vote. Vingt délégués des Eglises orientales, deux évêques chinois choisis « par l’Eglise locale en accord avec les autorités », une cinquantaine de noms choisis personnellement par le Pape qui a également sélectionné pour la première fois soixante-dix non-évêques (dont cinq femmes consacrées et cinq hommes consacrés). 54 femmes votantes.

Un synode très écologique, à tel point qu’un document a même été distribué pour expliquer comment réduire les émissions de dioxyde de carbone. Pas de papier mais de nombreuses tablettes pour voter et lire les documents. Confirmée, l’alternance de travaux en plénière et de débats plus approfondis dans les trente-cinq « cercles mineurs », chacun composé de onze personnes plus un « modérateur » : quatorze seront en anglais, huit en italien, sept en espagnol, cinq en français et un en portugais. Et en allemand? Aucun.

L’un des présidents des délégués, le père Giuseppe Bonfrate, ordinaire de dogmatique à l’université grégorienne, a déclaré en juillet:

La représentation est d’une qualité dense qui ne peut être comprise sans se sentir partie prenante de cette effervescence de l’Esprit Saint qui, en union avec le Christ et tout le genre humain, est la sacramentalité, au genre de laquelle le concile Vatican II associe l’Église [ndt: pardon, quel charabia!!].

Il y aura également Luca Casarini, l’ancien leader no-global aujourd’hui converti, qui sera présent au nom de l’ONG « Mediterranea Saving Humans« . Seront également cooptés des représentants du « monde numérique », parce que l’Esprit du temps l’exige aussi. L’heure n’est plus, en effet, aux fermetures, aux journalistes obligés de se cacher dans les confessionnaux de Saint-Pierre pour saisir des secrets, et aux querelles furieuses entre éminences et révérends [/cardinaux et évêques]. Le public est abondant, l’agenda aussi. Il était inévitable que cela arrive, après des années de consultation du peuple de Dieu, infaillible in credendo, qui a participé – plus ou moins activement selon les lieux et les contextes – à l’élaboration de la liste des demandes à présenter au sommet du catholicisme.

Le laïcat, que Vatican II a voulu impliquer et qui aujourd’hui presque partout se considère comme impliqué s’il peut organiser les roulements de lecture à l’ambon, la chorale et tenir dans sa poche les clés de l’église et de l’oratoire, a eu son mot à dire.

Le cahier des doléances va de soi et dans l’Instrumentum laboris, schéma qui devrait – comme jamais auparavant, le conditionnel est de rigueur – inspirer les travaux du Synode, on trouve tout ce que les secteurs les plus mouvementistes de l’Église demandent : la fin du célibat des prêtres, la participation des femmes au gouvernement, aux processus de décision, à la mission et aux ministères à tous les niveaux de l’Église, les minorités, le handicap, « l’élimination des barrières, des barrières pratiques aux préjugés culturels », la crise climatique. Même les thèmes du double Synode 2014-15 sur la famille reviennent : nouvelle approche de la morale, divorcés remariés, mariages polygames.

L’essai récemment publié du théologien Alberto Frigerio [C&L, ndt], “Morale coniugale. Fondamenti antropologico-teologici e questioni pratico-pastorali” est utile pour faire un peu la lumière.

En bref, on comprend que le simple fait de savoir d’où l’on part est une entreprise titanesque, équivalente peut-être à la construction des pyramides de l’Égypte ancienne ou à l’édification d’une cathédrale gothique dans l’Europe médiévale.

Tout est là, dans ce que les secteurs les plus à droite ont appelé la « boîte de Pandore » d’où émergera le Mal sous toutes ses formes, une Babel d’exigences dont on ne sait pas sous quelle forme elles seront acceptées.

Mais même à gauche – encore une fois, pour utiliser des métaphores parlementaires qui déplairaient [???] beaucoup au Pape – il y en a qui pensent qu’avoir tout porté au Synode est la meilleure recette pour qu’en fin de compte le résultat le plus annoncé à la veille du Synode soit celui qui aura lieu : une sorte de match nul avec une dilution des demandes les plus dures dans un document qui reconnaîtra la validité et la bonté de certaines afflations [souffle de vent] du Peuple de Dieu, mais qui devra être pensé, pesé, médité pendant un certain temps. Peut-être les temps éternels de notre Sainte Mère l’Église. Nous verrons, ce n’est ni le moment ni le lieu pour les divinations.

Le cardinal Schönborn, dans une longue interview accordée aux médias du Vatican, a déclaré qu’il s’agira de comprendre « ce que le Seigneur veut pour nous aujourd’hui, pour l’Église » et que « le Synode est donc une tentative d’approfondir, d’apprendre, d’expérimenter ce chemin de discernement ». Synode qui est et reste « consultatif », précise l’archevêque de Vienne, même si – et cela montre déjà l’importance de ce qui se passera au Vatican dans quelques jours – certains, comme le cardinal Francesco Coccopalmerio, canoniste et président émérite du Conseil pontifical pour les textes législatifs [ndt: rappelons qu’il a été impliqué dans de sordides scandales homo, nous en avons parlé ici], ont reconnu la possibilité que tôt ou tard le Synode devienne un instrument délibératif avec les laïcs pleinement intégrés en son sein.

Ce qui est certain, c’est que les dossiers que les pères trouveront sur leurs tablettes sont comparables aux grandes lignes qui ont fait Vatican II.

Il s’agit d’un synode, le temps de Vatican III n’est pas mûr, a dit le pape, mais l’appel même à des changements profonds – et quels changements! – nous ramène aux années 1960, à Gaudet Mater Ecclesia [discours d’ouverture de Vatican II le 11 octobre 1962, ndt] de Jean XXIII et à l’exigence de renouveau.

Giovanni Maria Vian, historien et directeur émérite de L’Osservatore Romano, n’est pas convaincu, comme il le dit à Il Foglio:

Il ne semble pas du tout que la première partie de cette assemblée ordinaire du Synode des évêques puisse être assimilée à un Vatican III, c’est-à-dire à un concile qui réunirait tous les évêques catholiques, décidément loin d’être venu… Après tout le pape lui-même a dit plusieurs fois, avec raison, que Vatican II, qui a été largement ignoré, doit encore être appliqué. En raison de la persistance de résistances imprudentes, d’une part, et de bonds en avant stériles, d’autre part.

Sans compter que la tâche serait ardue. Comment un concile avec presque deux fois plus d’évêques qu’à Vatican II serait-il réalisable aujourd’hui ?

Le synode des évêques, créé par Paul VI il y a près de soixante ans et certainement utile pour développer la dimension collégiale de l’Église, est tout à fait différent. Mais cet organe consultatif, et non délibératif, montre aujourd’hui des limites évidentes et une structure figée, à laquelle Benoît XVI a tenté de remédier en introduisant la libre discussion, et son successeur qui a opportunément voulu que la longue phase de rencontres dans les différents continents précède la réunion actuelle. Celle-ci se déroulera en deux phases, à l’instar du Synode sur la famille, qui a fini par décevoir et susciter des polémiques. Au contraire, ces réunions préparatoires, bien qu’avec des différences évidentes entre elles, ont été généralement intéressantes, avec de vrais débats entre laïcs, femmes et hommes, prêtres, évêques. Cela devrait être utile lors du synode.

Mais un avant-goût de ce qui va se passer a été donné avec la voie synodale allemande, préfiguration de ce qui pourrait se passer dans un avenir proche, signe d’une volonté de réforme qui a tendu les relations avec le Vatican au point de presque les déchirer, avec des menaces à peine voilées, des lettres de réprimande, des interventions du Pape en personne et des documents audacieux soumis au vote au mépris de Rome et de ses diktats.

Le spectacle n’était pas édifiant : c’était le triomphe de ce parlementarisme tant décrié à juste titre par François, les décomptes au dernier vote, les évêques déçus parce que la majorité attendue n’avait pas été obtenue sur tel ou tel texte, la petite minorité invoquant des vides techniques et juridiques pour rendre les délibérations nulles et non avenues.

L’Allemagne, avec sa crise de foi constatée par les chiffres – de plus en plus d’abandons, de moins en moins de baptêmes – n’est pourtant pas un cas isolé, le Rhin habituel menaçant de se frayer un chemin dans le Tibre plus étroit [ndt: « Le Rhin se jette dans le Tibre » est le titre d’un ouvrage de référence sur Vatican II, paru en 1992, et illustrant l’influence déterminante des théologiens allemands au Concile]. L’Allemagne est bien accompagnée par d’autres Églises locales, chacune avec ses particularités et ses exigences, avec ses difficultés. De nombreux thèmes qui ont émergé dans la voie synodale allemande, par exemple, ont été repris en Espagne. Et aussi en Australie, en Amérique latine. Bien sûr, au Synode, ce sera plus compliqué, car face au front de l’innovation, il y aura ceux qui ne veulent même pas entendre parler de l’adaptation à l’époque actuelle de normes et de pratiques consolidées au fil des siècles. La voix des pères africains, représentants du seul continent où le catholicisme progresse, sera-t-elle ignorée ?

Compte tenu de la situation sur les starting-blocks, il n’est donc pas faux de supposer que le grand Synode agira comme une chambre de décantation entre des tendances opposées, cherchant à mettre à jour, oui, mais avec juicio . Maintenir un équilibre qui permette à chacun de rester uni sans répéter ce qui a déjà été dit.

Mais cela suffira-t-il ? N’est-on pas allé trop loin en se limitant à une médiation générique qui met plus ou moins tout le monde d’accord et reporte à un moment plus calme la réponse aux nombreuses questions qui se sont accumulées sur les tables du Vatican au cours de ces dernières années ?

Schönborn rappelle « la tension vers l’unité », c’est-à-dire « la recherche de l’unanimité, non pas dans le sens parlementaire où tout le monde doit voter de la même manière », mais en écoutant « la voix de l’Esprit Saint qui va de l’avant dans la recherche de la vérité, dans la recherche du bien, jusqu’à arriver à une quasi-unanimité ». Une opération complexe, si l’on se réfère aux documents et à l’ordre du jour, même si – dit l’archevêque de Vienne – « je suis un peu sceptique quant au fait que la liste des sujets très débattus, surtout dans le monde occidental sécularisé, soit si centrale pour l’ensemble de l’Église ».

Il donne un exemple concret, toujours à Vatican News :

Lors du Synode sur l’Amazonie, certains groupes ont exercé une forte pression pour qu’une décision soit prise sur les viri probati, l’ordination sacerdotale des hommes mariés. Certains se sont demandés comment il était possible que 1 200 prêtres colombiens, un pays qui compte de nombreuses vocations sacerdotales, vivent aux États-Unis et au Canada. Pourquoi cent ou deux cents d’entre eux ne vont-ils pas en Amazonie ?

En bref,

nous avons besoin d’un peu plus de discernement et aussi d’honnêteté pour voir la complexité des problèmes.

C’est précisément cela le grand défi, comprendre comment unir des chapitres de différents livres : il ne s’agit pas ici de discuter de détails, d’embellissements et de maquillages : ce sont des questions fondamentales qui sont en jeu.

La théologienne Cettina Militello s’apprête à envoyer en librairie (à partir du 6 octobre) un essai (Le chiese alla svolta [les Eglises au tournant]. Ripensare i ministeri) dans lequel elle le précise dès les premières lignes de l’introduction :

Les Eglises au tournant… Pour la plupart, ce titre paraîtra exagéré. Mais – j’en suis pleinement convaincue – nous vivons une époque de changement de rythme obligatoire, de « tournants », précisément. Et dans cette perspective de changement nécessaire et indispensable, le problème est – à mon avis – celui du « ministère » et des « ministères ».

Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, il suffit de lire quelques pages plus loin :

La non-admission des femmes au ministère n’a pas de support de nature métaphysique, anthropologique, christologique, ecclésiologique ou sacramentelle. Il s’agit et il s’agit toujours d’une question « culturelle ». Cela ne facilite pas les choses car la culture est encore marquée par l’hypothèque patriarcale et l’Église catholique en est l’ultime gardienne. Nous devons en prendre conscience. L’authenticité du message chrétien en dépend. Réduire le diktat de Ga 3,28 à la seule valeur baptismale ne suffit pas aujourd’hui à rendre l’annonce crédible. L’Église doit prophétiser un monde dans lequel les oppositions sociales, ethniques et sexuelles discriminatoires sont définitivement vaincues.

Même discuter, comme on le fait depuis un certain temps, du diaconat féminin, n’a guère de sens. Millitello écrit :

Le problème reste le ministère tout court. Donc pas de raccourcis déprimants et humiliants. Au contraire, le fait de poser le problème de façon répétée ouvre de façon urgente la question du ministère. Il faut vraiment l’examiner dans son ensemble. S’il est ramené à sa nature première de service (diakonia), les raisons de l’exclusion des femmes disparaîtront également. Mais c’est précisément le défi qui investit avant tout les parcours de formation.

Depuis Chicago, le cardinal Blaise Cupich, longa manus du pape François sur le sol américain, bien que compté dans les rangs des novateurs, rassure: aucune crainte, écrivait-il il y a quelques semaines à ses fidèles et à ses prêtres, les invitant à ne pas écouter ceux qui – et ils sont nombreux aux États-Unis – sont convaincus que le Synode « changera radicalement l’enseignement et la pratique de l’Église, s’alignant à la fois sur les idées séculières et provoquant un schisme ».

En effet, rappelle-t-il, « la question principale » du prochain rendez-vous est de savoir comment rester fidèle « au projet du Christ pour l’Église ».

En tout état de cause, il ne doit pas y avoir de place – en particulier dans les médias – pour ceux qui « dénaturent totalement l’objectif du Synode sur la synodalité », se faisant ainsi les « prophètes de malheur », pour citer Jean XXIII.

La mission de Cupich est cependant ardue, notamment parce que les tons apocalyptiques de ceux qui craignent la dévastation de l’Église et les accents jacobins de ceux qui sont impatients de révolutionner ce qui existe proviennent souvent des hiérarchies catholiques elles-mêmes.

On a parlé de certaines phalanges allemandes, prêtes à descendre sur Rome accompagnées de tambours et de fanfares, mais même parmi les profils les plus modérés, il y en a qui craignent que peu de choses changent, provoquant ainsi des réactions difficilement prévisibles au sein du peuple de Dieu. L’archevêque émérite de Dublin, Mgr Diarmuid Martin, soupçonne que les nombreuses attentes créées dans l’Église seront déçues, à commencer par la participation accrue des femmes. Des attentes qui, dit-il, seront « certainement frustrées ».

Cela nous ramène à la question centrale : jusqu’où peut-on aller ? Jusqu’où peut-on tirer sur la corde sans qu’elle ne se rompe ?

Un cardinal de la périphérie, l’archevêque de Stockholm Anders Arborelius, un carme pragmatique, a déclaré sur le sujet même des femmes dans l’Église qu’il faudra en discuter, mais sans aller jusqu’à l’ordination des femmes.

En mai dernier, dans La Croix , le philosophe et sociologue des religions Jean-Louis Schlegel, ancien rédacteur en chef de la revue Esprit, écrivait:

Il y a de nombreuses voix épiscopales qui affirment que l’essentiel est l’événement lui-même, plutôt que ses résultats : dans sa préparation et, nous l’espérons, dans son suivi, ce Synode sans précédent aura mobilisé et invité à « cheminer ensemble » un grand nombre de catholiques à travers le monde.

D’autres disent préférer une Église qui devienne synodale pour toujours, c’est-à-dire en mouvement constant, plutôt que des réformes ponctuelles qui renforcent l’inertie générale et sont vite oubliées.

Tout cela est vrai, mais n’est-ce pas pour éviter la déception que nous faisons ces commentaires peu concluants ? Selon Vian,

Il faut garder à l’esprit que les médias reprennent toujours les positions les plus extrêmes, dans un sens ou dans l’autre. Et il y a sans doute des évêques qui annoncent des changements radicaux sur des sujets qui font l’actualité, tandis que d’autres crient au schisme, voire à l’hérésie : pensez à l’Allemagne et aux Etats-Unis, deux exemples opposés. Selon toute vraisemblance, le centre l’emportera, beaucoup plus largement, même si le pape a mis en garde contre les lectures politiques de l’assemblée. Mais il sera impossible de contrôler l’information, avec des centaines de participants aux travaux. Le thème de la synodalité est alors si générique qu’il englobe tout, alors que l’usage obsessionnel du terme a suscité des réactions critiques polies mais solides sur l’éloignement des pratiques orientales, idéalement prises comme modèle. Après tout, le synode des évêques en tant qu’organe consultatif mondial du Saint-Siège est très différent non seulement du concile, mais aussi des synodes, orientaux et occidentaux, qui ont toujours eu lieu dans les différentes confessions chrétiennes. Les critiques formulées à l’encontre de l’exercice peu collégial, voire très autocratique, du pouvoir papal sont donc fondées. Et cela est soutenu sans critique non seulement par les médias, en particulier les médias italiens, mais aussi par des affirmations juridiques et théologiques extrêmes, peut-être même pas théorisées à l’époque de Vatican I, qui a décrété l’infaillibilité du Pontife, mais dans des limites bien circonscrites et réitérées peu de temps après par Pie IX lui-même.

Quoi qu’il en soit, admet Schlegel,

« les craintes de voir déçus les changements jugés essentiels par ceux qui ont participé aux assemblées préparatoires sont prématurées. Laissons se dérouler la discussion synodale sur les propositions venues de la base, sans préjuger du résultat : qui sait si les participants n’entreront pas dans une dynamique d’actualisation imprévue, comme au Concile Vatican II… »,

avec ces points de suspension qui signifient beaucoup, à savoir l’espoir que quelque chose de nouveau puisse sortir des schémas préparatoires pré-packagés, comme il y a soixante ans.

Le philosophe français poursuit:

Cependant il serait bon de ne pas mettre sous le tapis une difficulté redoutable, dont la préparation du Synode a montré l’actualité de manière caricaturale et qui, à mon avis, est vite passée sous silence : la confirmation de l’état de fragmentation et même d’implosion de l’Église ».

D’où une polarisation extrême, entre ceux qui pleurent sur ce qu’ils considèrent comme les ravages du dernier Concile et ceux qui estiment que Vatican II a déçu les attentes de ceux qui espéraient une Église vraiment nouvelle.

Giovanni Maria Vian affirme:

Oui, le vrai risque est une nouvelle polarisation des positions et donc l’aggravation des divisions dans l’Église. Historiquement, le catholicisme est resté plus uni que les autres confessions chrétiennes, précisément en raison du rôle unique du pape, qui n’est cependant pas un évêque différent et supérieur aux autres, comme on l’a lu récemment. Il est le successeur du premier des apôtres, au sein d’un collège, et dans une dimension de charité, comme cela a été affirmé dès le début du IIe siècle, avant même l’avènement de l’épiscopat monarchique à Rome quelques décennies plus tard. Il est le « serviteur des serviteurs de Dieu », comme se définit Grégoire le Grand vers la fin du VIe siècle, inventant le titre le plus significatif du « Pontife romain ». Et le Pape, qui invoque l’autorité des apôtres Pierre et Paul, a la tâche difficile et fatigante de composer différentes positions, comme Paul VI a su le faire lors de Vatican II.

Même les réponses à la phase diocésaine, celle qui voit le plus l’implication des laïcs – qui sont ensuite, du moins en Europe, ceux qui animent la vie paroissiale – sont rares et très élitistes. L’implication, à de rares exceptions près, a concerné ceux qui étaient déjà engagés dans la vie quotidienne de l’Eglise. Les chiffres étaient faibles, même si la Conférence épiscopale italienne s’est déclarée satisfaite. Cela aurait toujours pu être pire. Et la participation du peuple de Dieu, des laïcs, n’a fait que mettre en évidence cette fracture.

Schlegel poursuit en écrivant :

Nous nous trouvons donc sur deux fronts opposés. L’ « Église multipolaire » (Nathalie Becquart), générationnelle et fortement divisée par son passé récent, peut-elle être réconciliée et dépassée ? Difficile à imaginer, car il s’agit aujourd’hui de conceptions très différentes et parallèles de l’Église, de la liturgie et du prêtre, de la foi et de la morale, de la vie chrétienne dans le monde et, enfin, du sens de la religion et du « sacré ». N’est-ce pas précisément de cela que nous devrions parler au Synode ? »

Et Vian conclut:

Les attentes d’un renouveau sont le moins que l’on puisse attendre d’une Eglise catholique enlisée dans une crise profonde parce qu’elle n’a pas de mémoire, et pas d’attrait pour un monde qui la regarde avec déception, voire pire. A cause du scandale honteux et persistant des abus, à cause de l’insupportable marginalisation des femmes, à cause des structures de pouvoir clérical qui restent imperméables à toute critique, à cause de l’insuffisance du témoignage et de la prédication de l’Evangile.

Qui sait si dans un mois, une fois les travaux terminés, le pape François pourra se réjouir d’avoir assisté à un grand moment de communion spirituelle et non, comme il l’a dit à son retour de Mongolie, à « un programme de télévision où l’on parle de tout ».

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