Je suis tombée, grâce à The Wanderer, sur le reportage d’Elisabetta Piqué -correspondante à Rome du quotidien argentin La Nacion, et thuriféraire absolue de François, dont elle a écrit une biographie – relatant la première semaine du Synode, avec comme cible unique le cardinal Müller, qu’elle présente comme un simple trublion (une sorte de mauvais élève, qu’on ne punit pas pour le moment mais gare à lui en cas de prochaine incartade), lequel ne s’en laisse pas conter. Au nom de la parésie réclamée par son maître François, je vais laisser la parole à cette pieuse dame, le ton de son article ne nécessite pas de commentaire (mais je n’ai pas pu m’empêcher de souligner des passages).

Un cardinal défie une règle papale et crée des remous au Vatican avec ses critiques en plein synode.

Elisabetta Piqué
LA NACION
7 octobre 2023

ROME – Pour protéger l’intimité du synode des évêques qui a débuté mercredi dernier et durera jusqu’à la fin du mois, au cours duquel, pour la première fois, les femmes et les laïcs auront voix au chapitre et pourront voter, le pape François a exhorté à un « jeûne de la parole publique », à faire une « pause » et à donner « la priorité à l’écoute ». Mais des dissidents sont déjà apparus, comme le cardinal allemand Gerhard Müller, qui a été le premier à contester ce mot d’ordre de silence.

Le préfet émérite de la Congrégation pour la doctrine de la foi, représentant de l’aile conservatrice de l’Église et depuis des mois l’un des plus fervents détracteurs de ce grand événement ecclésial où l’on discute de l’identité de l’Église, a en effet désobéi au règlement, qui demande à ses 365 participants « confidentialité » et « réserve ». Hier, il a accordé une interview de dix minutes à la chaîne catholique américaine ultraconservatrice EWTN, ce qui a suscité l’émoi et l’agacement des membres de l’assemblée, selon LA NACION [lire: Elisabetta Piqué!].

Interviewé par le journaliste américain Raymond Arroyo – un détracteur notoire du pape François – bien que Müller ait essayé de paraître retenu, il a lancé de grosses munitions à la fois contre le Synode – qui aura une deuxième phase en octobre 2024 – et contre le pape et son nouveau gardien de l’orthodoxie catholique, le cardinal Víctor Manuel « Tucho » Fernández, nouvellement nommé préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi (DDF) et premier compatriote et homme de confiance que François fait venir à Rome.

Critiques

Müller, qui participe au synode par « nomination pontificale » – le pape l’a nommé précisément pour que toutes les voix et visions de l’Église puissent s’exprimer – n’a surtout pas caché qu‘il trouve consternant que 54 femmes et laïcs, pour la première fois dotés du droit de vote, participent à la réunion – auparavant réservée aux évêques – et que « personne ne sait ce que cela signifie de leur donner le droit de vote ». « Personne ne sait ce que signifie donner le droit de vote aux laïcs aussi, parce que la nature de cette assemblée a changé », a-t-il déploré.

Autre signe de son attitude critique, le cardinal allemand de 75 ans n’a pas participé à la retraite de trois jours dans les environs de Rome qui a précédé l’assemblée, un événement de recueillement sans précédent auquel tous étaient appelés à participer, ni à la procession lors de la messe d’ouverture, selon LA NACION.

De plus, dans une assemblée radicalement différente des précédentes, non seulement en raison de la participation de femmes et de laïcs, mais aussi en raison de sa nouvelle méthodologie de travail – avec 35 tables rondes -, il est le seul à participer en portant la soutane cardinalice, bien que personne ne l’exige.

Comme le cardinal américain Raymond Leo Burke, chef de file de l’opposition conservatrice, qui ne participe pas au synode, l’a fait à la veille du synode lors d’un événement intitulé « La Babel synodale » [Burke: Beaucoup de cardinaux soutiennent les nouveaux dubia], dans lequel il a exprimé sa crainte que l’assemblée ne « détruise » l’Église par des changements de doctrine, Müller a également attaqué le cardinal Fernández.

Plus précisément, il a critiqué les déclarations qu’il a faites dans une interview, dans laquelle il a affirmé que le Pape a un « don vivant et actif », qui se traduit par « la doctrine du Saint-Père ». Müller a rappelé qu' »il y a la doctrine de Jésus, des apôtres et de l’Eglise, et les papes et les évêques sont les promoteurs de cette doctrine, mais ils n’ont pas de doctrine propre (…). Bien sûr, le Pape a une autorité particulière dans l’Eglise et pour la foi catholique, mais il n’est pas une personne qui reçoit de nouvelles révélations. C’est pourquoi cette idée formulée par le nouveau préfet est très nouvelle, une idée très spéciale, je n’ai jamais rien entendu de tel et j’ai été professeur de dogmatique pendant 16 ans et je n’ai jamais rien lu au sujet de ce charisme spécial », a-t-il déclaré.

Müller, archevêque de Ratisbonne et théologien, a été appelé par le pape Benoît XVI en 2012 à devenir préfet de l’actuelle DDF. Il avait été nommé cardinal en 2014 par François, qui avait décidé en 2017 de le remplacer par le jésuite espagnol Luis Ladaria, dans une destitution surprise pour lui, qu’il n’a jamais digérée. Dans un livre-entretien avec la vaticaniste Franca Giansoldati, publié au début de cette année, il a en effet avoué qu’il pensait avoir été démis de ses fonctions par François « sans justification », sous l’influence de « Tucho » Fernández.

Müller a également dénoncé une prétendue « double attitude » du Vatican, pour lui tolérant envers les évêques progressistes et intolérant envers les évêques conservateurs. « J’ai ouvertement critiqué (et dit) qu’il est honteux que tout bon évêque orthodoxe soit agressé et que d’autres personnes qui font beaucoup de mauvaises choses, des hérésies, reçoivent une attitude de tolérance de la part de Rome », a-t-il déclaré.

Par ailleurs, comme il l’a déjà fait par le passé, il a dénoncé l’ouverture du sacrement de la communion aux divorcés remariés, dans certains cas, aménagée par le pape François dans une note de bas de page de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, fruit du double synode sur la famille de 2015 et 2016.

« Il est très clair que selon l’Ancien et le Nouveau Testament et les commandements, que tout comportement sexuel en dehors d’un mariage légitime est un péché et personne ne peut le changer, c’est la parole de Dieu (…) [Le pape et le cardinal Fernandez] disent que ce sont des exceptions, mais dans certains cas, ce ne sont pas des exceptions et vous ne pouvez pas relativiser la parole de Dieu avec une soi-disant ‘éthique de situation' », a-t-il protesté.

Alors que dans le passé, comme l’a rappelé son interlocuteur, Müller avait déclaré que le synode actuel – qui a débuté il y a deux ans par une consultation mondiale – avait « détourné l’Eglise », le cardinal allemand a pris soin de ne pas répéter cette expression. En outre, en réponse à une question, il a reconnu qu’il n’avait pas, à l’époque, trouvé son expérience dans les cercles plus restreints, les réunions de groupe, trop mauvaise. « L’expérience aux tables, à ma table, a été très bonne (…). J’ai une certaine forme d’optimisme, mais, en fin de compte, il faut attendre de voir la direction que prendra le synode et les directions en coulisses, c’est ça le problème », a-t-il déclaré.

Lors d’un briefing au Vatican, le préfet du dicastère pour la communication, Paolo Ruffini, qui participe également au synode, a répondu en riant à une question sur une éventuelle punition pour le cardinal Müller, qui a désobéi à l’ordre de confidentialité. « La police ne va pas intervenir pour le punir ou lui infliger une amende, nous sommes des frères et des sœurs, chacun a la capacité de discerner.

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