Chaque dimanche, durant sa retraite à Mater ecclesiae, Benoît XVI prononçait, en italien, une homélie « privée »,  » fruit de la prière et de la méditation de la Parole de Dieu durant toute la semaine » (cf. Père Lombardi, benoit-et-moi.fr/2016) , pour les membres de la petite « famille pontificale » qui ont veillé sur lui jusqu’à la fin – les quatre memores et Mgr Gänswein – ainsi que ce dernier le racontait dans son livre de souvenirs « Nient’altro che la verità » (cf. Ce que contient le livre de Georg Gänswein). Les memores ont recueilli et transcrit ces homélies, et les ont remises à Georg Gänswein qui, en sa qualité d’exécuteur testamentaire du Saint-Père, les a confiées à la Librairie éditrice vaticane pour publication. Le recueil devrait sortir dans l’année. L’OR du 23 décembre reproduit l’une de ces homélies [1], auparavant publiée en allemand dans le supplément hebdomadaire de Die Welt.

Saint Joseph et l’attente de Noël

www.osservatoreromano.va
23 décembre 2023

Le journal dominical allemand « Welt am Sonntag », lié au quotidien « Die Welt », a publié aujourd’hui la version allemande – que nous proposons ici dans l’original italien – de l’une des homélies jusqu’ici inédites prononcées par le pape émérite Benoît XVI lors de célébrations dominicales privées dans la chapelle du monastère Mater Ecclesiae après sa démission. Plus précisément, il s’agit de la réflexion pour le quatrième dimanche de l’Avent (cycle liturgique a), le 22 décembre 2013, principalement consacrée à la figure de saint Joseph, présentée par le texte évangélique du jour [2].

Comme l’explique le jésuite Federico Lombardi dans l’interview qui accompagne la publication, il existe un recueil de ces homélies « privées » de Benoît XVI, enregistrées et transcrites par les memores Domini – les femmes consacrées qui ont vécu avec lui – et qui ont été récemment confiées par l’exécuteur testamentaire, Mgr Georg Gaenswein, au Dicastère pour la communication (Libreria editrice vaticana, LEV), en collaboration avec la Fondation vaticane Joseph Ratzinger – Benoît XVI.

Le secrétaire du pape Ratzinger lui-même avait déjà fait état à plusieurs reprises de ces textes et de leur transcription, tandis que ce dernier s’était exprimé quelque temps auparavant sur la manière dont il les préparait au cours de la semaine [Dans « Dernières conversations », ndt]. Le journal « Welt am Sonntag » a donc demandé à publier l’un d’entre eux à l’occasion de Noël, et la demande a été acceptée.

Le recueil contient plus de trente homélies « privées » des années de son pontificat et plus d’une centaine des premières années qui ont suivi sa démission. Elles sont rédigées en italien et couvrent une grande partie – mais pas la totalité – des cycles liturgiques festifs, en commentant les textes proposés par le lectionnaire. La préparation de leur publication par la LEV sera supervisée par le Père Lombardi au cours des prochains mois. Il ne s’agira pas d’un ouvrage dont il faut attendre des nouveautés exégétiques ou théologiques, mais d’un aliment spirituel substantiel, dans la ligne du genre homilétique cultivé avec soin et un profond esprit sacerdotal par Joseph Ratzinger tout au long de sa vie.

Chers amis,

à côté de Marie, Mère du Seigneur, et de saint Jean-Baptiste, la liturgie nous présente aujourd’hui une troisième figure, dans laquelle l’Avent est presque une personne, une figure qui incorpore l’Avent : saint Joseph. En méditant le texte de l’Évangile, nous pouvons voir, me semble-t-il, trois éléments constitutifs de cette vision.

Le premier, décisif, est que saint Joseph est appelé  » un homme juste « . C’est pour l’Ancien Testament la plus haute caractérisation de celui qui vit vraiment selon la parole de Dieu, qui vit l’alliance avec Dieu.

Pour bien comprendre cela, nous devons réfléchir à la différence entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament.

L’acte fondamental du chrétien est la rencontre avec Jésus, en Jésus avec la parole de Dieu, qui est Personne. En rencontrant Jésus, nous rencontrons la vérité, l’amour de Dieu, et ainsi la relation d’amitié devient amour, notre communion avec Dieu grandit, nous sommes vraiment croyants et nous devenons saints.

L’acte fondamental dans l’Ancien Testament est différent, parce que le Christ était encore à venir et qu’il s’agissait donc, au mieux, d’aller au-devant du Christ, mais ce n’était pas encore une véritable rencontre en tant que telle. La parole de Dieu dans l’Ancien Testament prend essentiellement la forme d’une loi – la « Torah ». Dieu guide, c’est le sens [du mot « torah »: de yaroh, « guider », « enseigner »]) , Dieu nous montre le chemin. C’est un chemin d’éducation qui forme l’homme selon Dieu et lui permet de rencontrer le Christ. En ce sens, cette justice, cette vie selon la loi est un cheminement vers le Christ, une extension vers Lui ; mais l’acte fondamental est l’observance de la Torah, de la loi, et donc le fait d’être « un juste ».

Saint Joseph est un juste, exemplaire encore de l’Ancien Testament.

Mais il y a ici un danger et en même temps une promesse, une porte ouverte.

Le danger apparaît dans les discussions de Jésus avec les pharisiens et surtout dans les lettres de saint Paul. Le danger est que si la parole de Dieu est fondamentalement une loi, elle doit être considérée comme une somme de prescriptions et d’interdictions, un ensemble de règles, et l’attitude doit donc être d’observer les règles et donc d’être correct. Mais si la religion est ainsi, si c’est tout ce qu’elle est, la relation personnelle avec Dieu ne naît pas, et l’homme reste en lui-même, cherche à se perfectionner, à être parfait. Mais cela donne lieu à l’amertume, comme nous le voyons chez le deuxième fils de la parabole du fils prodigue, qui, après avoir tout observé, finit par être amer et même un peu envieux de son frère qui, comme il le pense, a eu la vie en abondance. Tel est le danger : la simple observation de la loi devient impersonnelle, un simple acte, l’homme devient dur et même amer. À la fin, il ne peut plus aimer ce Dieu qui ne se présente qu’avec des règles et parfois même avec des menaces. Tel est le danger.

La promesse, au contraire, est la suivante : nous pouvons aussi voir ces prescriptions, non pas seulement comme un code, un ensemble de règles, mais comme une expression de la volonté de Dieu, dans laquelle Dieu me parle, je lui parle. En entrant dans cette loi, j’entre en dialogue avec Dieu, j’apprends le visage de Dieu, je commence à voir Dieu, et ainsi je suis sur le chemin de la parole de Dieu en personne, du Christ. Et un vrai juste comme saint Joseph est ainsi : pour lui, la loi n’est pas simplement l’observation de règles, mais elle se présente comme une parole d’amour, une invitation au dialogue, et la vie selon la parole consiste à entrer dans ce dialogue et à trouver derrière les règles et dans les règles l’amour de Dieu, à comprendre que toutes ces règles ne sont pas valables pour elles-mêmes, mais qu’elles sont des règles d’amour, qu’elles servent à ce que l’amour grandisse en moi.

C’est ainsi que l’on comprend qu’en fin de compte, toute loi n’est que l’amour de Dieu et du prochain. Ayant trouvé cela, on a observé toute la loi. Si quelqu’un vit dans ce dialogue avec Dieu, un dialogue d’amour dans lequel il cherche le visage de Dieu, dans lequel il cherche l’amour et fait comprendre que tout est dicté par l’amour, il est en chemin vers le Christ, il est un vrai juste. Saint Joseph est un vrai juste, donc en lui l’Ancien Testament devient Nouveau, parce que dans les mots il cherche Dieu, la personne, il cherche son amour, et toute observance est une vie dans l’amour.

Nous le voyons dans l’exemple que nous donne cet Évangile. Saint Joseph, fiancé à Marie, apprend qu’elle attend un enfant. Nous pouvons imaginer sa déception : il connaissait cette jeune fille et la profondeur de sa relation avec Dieu, sa beauté intérieure, l’extraordinaire pureté de son cœur ; il voyait briller en elle l’amour de Dieu et l’amour de sa parole, de sa vérité, et voilà qu’il se trouve gravement déçu. Que faire ? Voici que la loi offre deux possibilités, dans lesquelles apparaissent les deux voies, celle dangereuse, fatale, et celle de la promesse. Il peut intenter une action en justice et ainsi exposer Marie à la honte, la détruire en tant que personne. Il peut le faire en privé avec une lettre de séparation. Et saint Joseph, un homme vraiment juste, même s’il a beaucoup souffert, prend la décision d’emprunter ce chemin, qui est un chemin d’amour dans la justice, de justice dans l’amour, et saint Matthieu nous dit qu’il a lutté avec lui-même, en lui-même avec la parole. Dans cette lutte, dans ce cheminement pour comprendre la vraie volonté de Dieu, il a trouvé l’unité entre l’amour et la règle, entre la justice et l’amour, et ainsi, sur son chemin vers Jésus, il est ouvert à l’apparition de l’ange, ouvert au fait que Dieu lui donne la connaissance qu’il s’agit d’une œuvre de l’Esprit Saint.

Saint Hilaire de Poitiers, au IVe siècle, traitant de la crainte de Dieu, disait à la fin : « Toute notre crainte est placée dans l’amour », elle n’est qu’un aspect, une nuance de l’amour. Nous pouvons donc dire ici pour nous : toute la loi est placée dans l’amour, elle est une expression de l’amour et doit être accomplie en entrant dans la logique de l’amour. Et ici, nous devons garder à l’esprit que, même pour nous chrétiens, il existe la même tentation, le même danger que dans l’Ancien Testament : même un chrétien peut en arriver à une attitude dans laquelle la religion chrétienne est perçue comme un ensemble de règles, d’interdictions et de normes positives, de prescriptions. On peut arriver à l’idée qu’il s’agit seulement d’exécuter des prescriptions impersonnelles et donc de se perfectionner, mais on vide ainsi l’arrière-plan personnel de la parole de Dieu et on arrive à une certaine amertume et dureté de cœur. Dans l’histoire de l’Église, nous voyons cela dans le jansénisme. Nous aussi, nous connaissons tous ce danger, nous savons personnellement que nous devons toujours à nouveau surmonter ce danger et retrouver la Personne et, dans l’amour de la Personne, le chemin de la vie et la joie de la foi. Être juste, c’est trouver ce chemin, et nous sommes donc nous aussi toujours en route de l’Ancien Testament vers le Nouveau Testament, à la recherche de la Personne, du visage de Dieu dans le Christ. C’est précisément ce qu’est l’Avent : sortir de la norme pure pour aller à la rencontre de l’amour, sortir de l’Ancien Testament qui devient Nouveau.

Tel est donc l’élément premier et fondamental de la figure de saint Joseph telle qu’elle apparaît dans l’Évangile d’aujourd’hui. Maintenant, deux mots très brefs sur les deuxième et troisième éléments.

Le deuxième : il voit l’ange dans son rêve et entend son message. Cela suppose une sensibilité intérieure pour Dieu, une capacité à percevoir la voix de Dieu, un don de discernement, une capacité à distinguer entre les rêves qui sont des rêves et une véritable rencontre avec Dieu. Ce n’est que parce que saint Joseph était déjà en route vers la personne du Verbe, vers le Seigneur, vers le Sauveur, qu’il a pu discerner ; Dieu a pu lui parler et il a compris : ce n’est pas un rêve, c’est la vérité, c’est l’apparition de son ange. C’est ainsi qu’il pouvait discerner et décider.

Cette sensibilité à Dieu, cette capacité à percevoir que Dieu me parle, cette capacité de discernement est aussi importante pour nous. Bien sûr, Dieu ne nous parle pas normalement comme il a parlé à Joseph par l’intermédiaire de l’ange, mais il a aussi ses manières de nous parler. Ce sont des gestes de tendresse de Dieu, que nous devons percevoir pour trouver la joie et la consolation, ce sont des paroles d’invitation, d’amour, voire de demande dans les rencontres avec les personnes qui souffrent, qui ont besoin de ma parole ou de mon geste concret, d’un acte. Ici, il faut être sensible, connaître la voix de Dieu, comprendre que c’est maintenant que Dieu me parle et y répondre.

Nous arrivons ainsi au troisième point : la réponse de saint Joseph à la parole de l’ange est la foi et ensuite l’obéissance. La foi : il a compris que c’était vraiment la voix de Dieu, que ce n’était pas un rêve. La foi devient un fondement sur lequel agir, sur lequel vivre, c’est reconnaître que c’est la voix de Dieu, l’impératif de l’amour, qui me guide sur le chemin de la vie, et ensuite faire la volonté de Dieu. Saint Joseph n’était pas un rêveur, bien que le rêve ait été la porte par laquelle Dieu est entré dans sa vie. C’était un homme pratique et sobre, un homme de décision, capable d’organisation. Il n’a pas été facile – je pense – de trouver à Bethléem, faute de place dans les maisons, l’étable comme lieu discret et protégé et, malgré la pauvreté, digne de la naissance du Sauveur. Organiser la fuite vers l’Égypte, trouver un endroit où dormir chaque jour, vivre longtemps : cela exigeait un homme pratique, avec un sens de l’action, une capacité à répondre aux défis, à trouver des moyens de survivre. Et puis, à son retour, la décision de retourner à Nazareth, d’y établir la patrie du Fils de Dieu, cela aussi montre qu’il était un homme pratique, qui, en tant que charpentier, vivait et rendait possible la vie de tous les jours.

Saint Joseph nous invite donc d’une part à ce voyage intérieur dans la Parole de Dieu, à être toujours plus proches de la personne du Seigneur, mais en même temps il nous invite à une vie sobre, au travail, au service quotidien pour faire notre devoir dans la grande mosaïque de l’histoire.

Rendons grâce à Dieu pour la belle figure de saint Joseph. Prions : « Seigneur, aide-nous à nous ouvrir à Toi, à trouver toujours plus Ton visage, à T’aimer, à trouver l’amour dans la norme, à nous enraciner, à nous réaliser dans l’amour. Ouvre-nous au don de discernement, à la capacité d’écoute et à la sobriété de vivre selon Ta volonté et dans notre vocation ».

Amen !

Notes

[1] Le choix de Die Welt, (et la publication dans l’OR) ne sont peut-être pas totalement fortuits. Sorti de son contexte, j’imagine que le passage que j’ai mis en gras pourrait facilement être utilisée pour illustrer une prétendue (et évidemment fallacieuse) similitude de vue avec François. Mais j’ai sans doute mauvais esprit…

[2] (Mt 1, 18-24)

18 Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.

19 Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.

20 Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;

21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

22 Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :

23 Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »

24 Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit…

Share This