Selon Nico Spuntoni, dans Il Giornale de dimanche, « sa mort soudaine a fait perdre au front des mécontents sa figure probablement la plus charismatique, capable de se faire entendre même par ceux qui n’ont pas pris publiquement position sur les questions les plus clivantes de ces neuf dernières années ». Quant à savoir si François l’appréciait… on peut avoir des doutes.

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La mort du cardinal Pell nous rapproche-t-elle d’un « nouveau » Bergoglio ?

Le cardinal australien était le véritable leader des « conservateurs ».

Sans lui, la possibilité d’un futur conclave sous le signe de la continuité avec le pontificat actuel devient de plus en plus concrète.

Nico Spuntoni
www.ilgiornale.it/news/vaticano/ecco-morte-cardinal-pell-cambia-cose-nella-chiesa

Prêtres, religieuses, religieux, séminaristes, familles. Ils étaient nombreux hier dans la basilique Saint-Pierre pour le dernier adieu au cardinal George Pell, mort mardi dernier à l’âge de 81 ans.

La mort soudaine du cardinal australien, survenue après un arrêt cardiaque consécutif à une opération de routine qu’il avait subie dans une clinique romaine, a laissé ses nombreux admirateurs sous le choc et a eu pour effet de rendre manifeste le poids important que Pell avait pris dans une partie non négligeable de l’Église. Celle qui vit avec malaise certaines accélérations observées dans ce pontificat lors des « essais d’ouverture ».

Les funérailles

Les funérailles du préfet émérite du Secrétariat à l’économie ont réuni à Saint-Pierre les membres du Sacré Collège résidant à Rome, dont plusieurs « vétérans » de la saison wojtylienne-ratzingerienne. Quelques noms : le Nigérian Francis Arinze, l’Italien Camillo Ruini, l’Allemand Walter Brandmüller, l’Américain Raymond Leo Burke. Ces derniers en particulier – les deux derniers vivants parmi les signataires des fameux dubia sur Amoris Laetitia – étaient très proches de Pell. Il y avait aussi Gerhard Ludwig Müller et Giovanni Angelo Becciu, créés [cardinaux] par François mais ensuite privés par lui de leurs postes à la Curie. Bien qu’avec des motivations différentes, ils font partie des cardinaux qui vivent les orientations et les décisions du pontificat actuel avec le plus d’intolérance.

Une intolérance qui est revenue sur le devant de la scène ces dernières semaines après la mort de Benoît XVI et surtout après les révélations de son secrétaire particulier, Mgr Georg Gänswein sur ses malentendus avec François. L’archevêque allemand se trouvait également dans la basilique, à quelques mètres du Pape qui a tenu le rite de la dernière recommandation et de l’adieu.

Le dernier article

Jorge Mario Bergoglio, arrivé en fauteuil roulant mais néanmoins capable de se tenir debout pendant plusieurs minutes, a clôturé les obsèques du cardinal qui a rendu explicite le malaise qui couvait à la Curie.
Le dernier legs de Pell, en fait, est une critique très sévère de l’un des projets les plus chers au pape François, ce Synode sur la synodalité que le cardinal australien – dans un article écrit peu avant sa mort et publié à titre posthume par la revue britannique The Spectator – a qualifié de « cauchemar toxique ». Le document préparatoire diffusé par le secrétariat général du Synode, est, selon Pell, « l’un des documents les plus incohérents jamais envoyés par Rome ». Dans son style peu diplomatique, le prélat récemment disparu a accusé le texte d’être « incomplet, significativement hostile à la tradition apostolique » et de ne pas reconnaître « partout le Nouveau Testament comme la Parole de Dieu ».

Le mémorandum

Ce n’est pas seulement le synode sur la synodalité qui a inquiété le préfet émérite du Secrétariat à l’économie. Le vaticaniste Sandro Magister a en effet révélé que Pell lui-même était l’auteur d’un mémorandum rédigé par un cardinal resté anonyme jusqu’à présent et qui dénonçait ce qui était considéré comme tous les problèmes de gouvernance de l’Eglise. Signé sous le pseudonyme de Demos et diffusé au sein du Sacré Collège, le document ne se limite pas aux questions de doctrine et de pastorale, mais vise également la situation financière et judiciaire.

Fait remarquable, le texte mentionne la condition du cardinal Becciu, actuellement en procès au Vatican dans le cadre de l’enquête née du scandale de Londres, affirmant que le cardinal sarde « n’a pas été traité avec justice » : Pell, en effet, était un opposant de l’ancien substitut et avait initialement salué sa destitution. Mais l’orientation prise par l’enquête et le procès qui lui est intenté – si la révélation de Magister se confirme – pourrait avoir fait que l’ancien ennemi australien ait fini par sympathiser avec Becciu.

Objectif Conclave ?

« Demos » a vivement accusé un de ses frères, le cardinal Jean-Claude Hollerich, d’être « explicitement hérétique » parce qu’il « rejette l’enseignement chrétien sur la sexualité ». Et en effet, Il Giornale.it croit savoir que Pell a jugé nécessaire que la Congrégation pour la doctrine de la foi intervienne pour corriger les déclarations du jésuite luxembourgeois qui avait appelé à un changement de doctrine sur l’homosexualité.

Le mémorandum publié en mars dernier par Magister sur son blog Settimo Cielo parlait sans détours d’un futur conclave, affirmant que

« les premières tâches du nouveau pape seront le rétablissement de la normalité, la restauration de la clarté doctrinale dans la foi et la morale, le rétablissement du respect de la loi, et l’assurance que le premier critère pour la nomination des évêques est l’acceptation de la tradition apostolique ».

Le charisme de Pell

Un texte, donc, qui se présente comme une sorte de manifeste programmatique sans tomber dans les intrigues des nominations possibles, mais en se limitant à une liste de choses à faire.

S’il est vrai que Pell l’a écrit, l’a-t-il fait pour lancer sa candidature ? C’est une hypothèse à écarter. Malgré ses qualités reconnues de leader, le cardinal avait déjà plus de 80 ans et ne serait de toute façon pas entré au conclave (bien qu’il ait pu, en théorie, être élu par ses frères électeurs). Il ne cultivait pas de telles ambitions, mais il est probable qu’il était poussé par son amour inconditionnel pour l’Église qui le conduisait, en conséquence, à identifier le bien pour elle avec ce qui était exprimé dans le texte. Il n’est pas exclu que le cardinal australien ait pu jouer le rôle de faiseur de pape pour un éventuel candidat « centriste », compte tenu de ses capacités d’organisation et d’un certain pragmatisme de politicien.

En simplifiant ce qu’il est difficile de simplifier, sa mort soudaine a fait perdre au front des mécontents sa figure probablement la plus charismatique, capable de se faire entendre même par ceux qui n’ont pas pris publiquement position sur les questions les plus clivantes de ces neuf dernières années.

La relation avec François

C’est François lui-même qui a voulu que Pell soit présent à la Curie, d’abord en l’incluant dans le Conseil des cardinaux, puis en lui confiant la direction du Secrétariat à l’économie du Vatican. Le pape, encore récemment, a eu à plusieurs reprises des mots d’estime pour le cardinal australien, le qualifiant de « génie » et de « grand homme » pour le travail qu’il a accompli sur les finances du Vatican. De l’Australien, Bergoglio a probablement apprécié la franchise qui le distinguait également en sa présence et qui l’avait aussi conduit à critiquer la décision de Benoît XVI – qu’il admirait beaucoup – de démissionner puis d’assumer le titre de pape émérite.

Une franchise dont il a également donné la preuve dans son dernier écrit public, l’article dans The Spectator, dont nous avons parlé plus haut, et qui semble destiné à ouvrir un débat dans l’Église même après sa mort.

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