Nous avons parlé avant-hier des « cent jours » de Super Joe/Biden. La présentation des médias (en France, c’était flagrant) laissaient entrevoir l’aube d’une ère radieuse de fraternité et de prospérité succédant à quatre années de ténèbres. Voici une autre lecture – disons « alternative », mais en tout cas, pas « complotiste » – nettement moins flamboyante, par Stefano Magni: étatisme, impôts, école publique, soutien à la communauté LGBT, etc.. Bref, un concentré de l’idéologie d’extrême gauche de matrice européenne, revisitée à la sauce US, bien loin de la traditionnelle opposition codifiée démocrates/républicains, sans équivalent chez nous, qui a volé en éclat avec Obama, mais à laquelle beaucoup de Français se réfèrent encore.

Le discours de Biden, une révolution venant d’en haut

Stefano Magni
La NBQ
30 avril 2021
Ma traduction

Le discours de Biden devant le Congrès des États-Unis illustre les projets pour l’avenir. Une révolution par le haut, avec une dépense publique prévue de 6 mille milliards de dollars, soit plus d’un quart du PIB américain. Et ensuite: école publique, soutien à la communauté LGBT, limites à la liberté de porter des armes. Tout sauf la réconciliation.

Cette fois, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, n’a pas déchiré de manière ostensible le texte du discours du président, comme elle l’avait fait avec Donald Trump l’année dernière. Ici, Pelosi, ainsi que la vice-présidente Kamala Harris, étaient derrière le président et applaudissaient chaque passage du discours de Joe Biden au Congrès, dans lequel il présentait les réalisations des 100 premiers jours de la nouvelle administration et exposait les plans pour l’avenir proche. Le président de la « réconciliation nationale » a prononcé un discours qui aurait pu être préparé par Nancy Pelosi, de fait, ou tout autre membre d’extrême-gauche du parti démocrate. Jamais nous n’avons vu une telle tentative de transformer les États-Unis de fond en comble, avec des programmes économiques de plusieurs milliards de dollars dirigés par le gouvernement fédéral (c’est-à-dire le gouvernement central). Un programme aussi ambitieux n’avait été vu que pendant la « décennie rouge » de Roosevelt. Mais il n’est certainement pas possible de le considérer comme une politique de réconciliation nationale, voire comme une révolution venue d’en haut.

Juste pour quantifier : les programmes sur le travail, la famille et les infrastructures coûteront 6 mille milliards de dollars (trois fois plus que le PIB italien), soit plus d’un quart du PIB américain. L’objectif est essentiellement de redonner au gouvernement fédéral le rôle de constructeur de nouvelles infrastructures, comme à l’époque de Roosevelt et des décennies suivantes de l’État-providence. Donner au gouvernement fédéral, encore, un nouveau rôle d’éducateur et d’accompagnateur des besoins des familles américaines, notamment en prolongeant la scolarité obligatoire de deux ans et en améliorant l’enseignement public. Tertio, rétablir le rôle du gouvernement fédéral en tant qu’innovateur technologique, en dirigeant des programmes visant à découvrir de nouvelles technologies vertes et de nouvelles technologies médicales. L’objectif à long terme sera (comme on s’y attendait largement) la lutte contre le changement climatique, que Biden assimile à la course à la lune lancée par Kennedy.

L’idée en soi de confier à l’État le développement du pays, tant infrastructurel que social, a été abandonnée au début des années 1980, avec la première administration Reagan. Les États-Unis se sont rapidement remis de la stagnation dans laquelle ils étaient tombés, grâce justement à l’ère de l’interventionnisme public. Les opposants républicains soulignent poliment, y compris ces jours-ci au Congrès, que le petit miracle économique de l’administration Trump, qui a duré jusqu’à l’arrivée de la pandémie de Covid en Amérique, est dû à la plus grande liberté laissée aux entités privées, et non à la lourde intervention de la bureaucratie étatique.

Le plan de Biden aura un coût économique immédiat : des impôts plus élevés. Le président assure qu’ils ne seront payés plus cher que par les Américains dont le revenu est supérieur à 400 000 dollars, soit 1% de la population. Il satisfait ainsi les appétits des 99 %, les manifestants d ‘ »Occupy Wall Street ». Dans ce 1% de super-riches, on trouve aussi tous les principaux sponsors de Biden, dont Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) et toute l’élite de l’industrie de l’information. Ses soutiens le paieront-ils aussi très cher ? Ou ont-ils financé Biden en sachant qu’une échappatoire existe et que le coût retombera, indirectement, une fois de plus, sur la classe moyenne ? Le temps jugera. En attendant, on ne peut que constater que la politique de l’envie sociale, sur laquelle se fonde la « redistribution des richesses », est de nouveau en vogue. Et c’est une politique qui accroît les conflits, au lieu de faciliter la réconciliation, dans tous les cas.

Le plan social ne peut pas non plus passer inaperçu : excellent sur le papier, il s’agit en fait d’une nationalisation de cette tâche qui devrait incomber aux collectivités locales et aux organismes intermédiaires. L’enseignement sera plus public que privé, à la grande joie des syndicats d’enseignants, mais au grand dam de tous ceux qui (à commencer par l’ancien ministre De Vos) avaient visé une plus grande liberté éducative. Une école plus étatisée et centralisée aux mains du gouvernement fédéral enlèvera de l’espace aux familles et aura également un impact sur la culture, surtout à une époque de quasi « révolution culturelle ».

À ce sujet, Biden s’est adressé en quelques phrases simples à la communauté Lgbt (plus précisément : « À tous les Américains transgenres qui me suivent chez eux, en particulier les jeunes: soyez courageux! Je veux que vous sachiez que le président est de votre côté »), s’engageant à soutenir pleinement l’adoption de l’Equality Act.
Il s’agit d’un projet de loi, promu par l’aile gauche du parti démocrate. En fait, d’un amendement à la loi sur les droits civils de 1964, qui introduirait également l’identité de genre et l’orientation sexuelle parmi les caractéristiques des personnes qui ne peuvent faire l’objet d’une discrimination. Encore une fois, sur le papier, tout est question de tolérance, mais dans la pratique, tout le monde peut intenter un procès (et gagner) contre le fleuriste qui ne veut pas décorer un mariage gay, ou contre l’orphelinat catholique qui ne veut pas donner un enfant à un couple homosexuel. Sur le papier, il s’agit d’une mesure qui devrait apporter la paix, l’égalité et la liberté. Dans la pratique, elle créera un conflit dont les perdants seront la liberté de religion et la liberté d’expression, jusqu’ici protégées par le premier amendement de la Constitution.

Et en parlant de la Constitution, le deuxième amendement (liberté de porter des armes) est également dans le collimateur de cette administration. Modifier un droit hérité de l’aube de la nation nord-américaine n’a de sens que si on le lit dans le discours complet de Biden : dès les premières phrases, il définit la manifestation trumpienne au Capitole comme « la plus grande menace pour la démocratie depuis la guerre civile ». Et même dans le chapitre sur la politique étrangère, après avoir illustré les dangers d’Isis et d’Al-Qaïda, Biden annonce que le plus grand danger pour la sécurité nationale est posé par les « suprémacistes blancs ». Comme il n’existe pas d’acronyme terroriste actif particulièrement connu, il s’agit d’une définition qui peut être étendue à volonté. Et surtout aux partisans de Trump. Mais, justement, ce n’est pas là un plan de réconciliation nationale, cela ressemble plutôt à la pacification d’un peuple vaincu.

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