Les positions tranchées affichées par le Patriarche orthodoxe de Moscou (Cf. Une lettre du Patriache Kirill de Moscou, et surtout son homélie du 6 mars à la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou)  et les divisions au sein de l’Eglise orthodoxe d’un côté, l’embarras évident de François, qui rêvait de faire de l’accord avec Kirill le point d’orgue de son pontificat) de l’autre ont mis en évidence l’échec de l’œcuménisme. Explications de Nicola Bux sur la NBQ d’aujourd’hui (voir aussi Entre l’Ukraine et la Russie, il y a aussi une guerre de religion).

Ukraine : le Vatican hors jeu, c’est l’échec de l’œcuménisme

https://lanuovabq.it/it/ucraina-vaticano-fuori-gioco-e-il-fallimento-dellecumenismo

Le soutien public du patriarche orthodoxe de Moscou, Kirill, à la « campagne » de Poutine en Ukraine, a mis en évidence la position intenable du Saint-Siège, qui a sacrifié même la communauté gréco-catholique ukrainienne au dialogue avec le patriarcat de Moscou. Tout cela découle de la poursuite d’une fausse idée de l’œcuménisme, éclipsant l’importance de l’Église et de la primauté de Pierre.

Le Saint-Siège « est prêt à tout faire pour la paix », a dit le pape François dimanche dernier, se mettant à la disposition des dirigeants russes et ukrainiens. Mais cette volonté doit compter avec l’embarras manifesté depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, qui risque de faire voler en éclats le dialogue œcuménique avec le patriarcat orthodoxe de Moscou dans lequel ce pontificat s’est investi sans réserve, sacrifiant même l’Église gréco-catholique ukrainienne. Mais maintenant que le patriarche Kirill, protagoniste d’une rencontre historique avec le pape François en 2016, avec un bis attendu l’été prochain, soutient ouvertement l’action militaire du président russe Poutine [homélie à la cathédrale du Saint-Sauveur, 6 mars], le Saint-Siège se retrouve paralysé, dans une impasse : soit le processus œcuménique avec Kirill explose, soit la crédibilité du Vatican en tant qu’autorité morale promouvant la paix se désintègre. Nous avons demandé à don Nicola Bux, spécialiste des Eglises orientales, de clarifier l’origine de cette situation embarrassante.


Mgr Nicola Bux

Qui a raison, du Cardinal Hollerich [1] ou du Patriarche Kirill, au sujet de la doctrine de l’homosexualité et de ses conséquences pour l’Europe ? Et que dire de la différence sur la doctrine de la guerre entre le pape, qui a modifié un article du catéchisme [ndt: l’a-t-il fait, ou seulement projeté, dans une de ses conférences aéroportées? cf. Le Pape et la dissuasion nucléaire: ne touchez pas au catéchisme], et le patriarche qui justifie la guerre en cours par des raisons « métaphysiques »? [ndt: cf. homélie du 6 mars à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou]  Un contraste flagrant. Kirill a raison du côté doctrinal et a dit ce que François devrait aussi dire ; mais dans la maison catholique, la capacité de penser à la guerre a été perdue. Là où en revanche le patriarche se trompe, c’est en la justifiant comme un moyen de rétablir l’ordre moral en Europe. Jésus a appelé le genre humain à la conversion, mais pas avec des armes.

Ainsi, sur la crise ukrainienne, c’est le rôle secondaire des Eglises européennes, catholiques et non catholiques, qui transparaît car, depuis la fin du Concile Vatican II, malgré de nombreuses déclarations communes entre catholiques et orthodoxes, l’unité n’a pas été réalisée. Ils voulaient poursuivre l’objectif d’unir toutes les Églises orthodoxes à l’Église catholique, mais ce qui s’est passé, c’est que l’une ou l’autre s’est retirée du dialogue. Trop hâtivement, dans la déclaration de Balamand [2] – le lieu au Liban où catholiques et orthodoxes se sont rencontrés et l’ont signé en 1998 – on a qualifié de « méthode du passé » l’idée de faire l’unité avec Rome d’une seule Église orientale ou d’une partie de celle-ci.

Après 1054, les chrétiens orientaux, grecs et slaves, ne se sont pas tous séparés de Rome ; au contraire, il est arrivé que certaines communautés substantielles de ces peuples et nations, plutôt que de laisser toute une Église locale, comme celle de Kiev, d’Antioche ou d’Alexandrie, rester séparée de l’Église une, catholique et apostolique, professée dans le Credo, préférèrent revenir à la communion avec Rome, même si cela provoquait de douloureuses divisions en leur sein. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, l’existence dans l’Église catholique de certaines Églises orientales, ainsi que d’Églises latines, ambrosiennes, etc., démontre que le fait d’être catholique n’est pas une antithèse du fait d’être oriental, c’est-à-dire que la diversité des Églises locales peut coexister avec l’unité de l’Église universelle, et que cette unité se forme précisément dans et par la diversité. En effet, les Églises catholiques orientales, tout en conservant la tradition de l’Orient chrétien, reconnaissent l’évêque de Rome comme le principe visible de l’unité de l’Église (cf. Lumen Gentium, 23). C’est aussi pourquoi le Concile les a invités à s’engager dans un travail œcuménique avec l’orthodoxie (cf. Orientalium Ecclesiarum, 24-29). La plus importante est celle d’Ukraine – appelée avec mépris « uniate » parce qu’unie à Rome – qui a souffert et versé du sang sous le communisme soviétique, précisément pour rester fidèle au pape.

En revanche, les catholiques ont permis aux orthodoxes de ne pas tenir compte du « critère » de la communion pleine et visible qu’est la primauté pétrinienne. En outre, les orthodoxes, par phases alternées, s’opposent et s’excommunient mutuellement, parce qu’ils n’admettent pas que le patriarche de Constantinople prenne la place du pape dans leur assemblée. Outre les raisons historiques, la séparation d’avec Rome a conduit les orthodoxes à une idée différente de l’Église, même si elle reste compatible, si l’on veut, avec l’Église catholique. Ils croient qu’il devrait y avoir une union corporative de toutes les Églises avec une Église existante, reconnue par tous comme l’Église du Christ.

Mais comme chaque Église est un tout organique et que les éléments communs ne sont pas conçus de la même manière, mais intimement liés à la profession de foi de chaque Église, pour eux l’accès aux sacrements, en particulier au baptême et à l’Eucharistie, n’est possible que si l’on professe d’abord la même foi que l’Église orthodoxe. Par exemple, la dénommée intercommunion, prônée par les œcuménistes catholiques, est considérée comme une forme de prosélytisme. Ainsi, les Russes et les Grecs ont recommencé à rebaptiser les catholiques qui entrent en leur sein et à recélébrer les mariages des couples catholiques-orthodoxes.

Or, dans l’œcuménisme, il faut tenir compte des éléments humains : le dialogue se fait avec des hiérarchies qui sont une  » organisation de pouvoir  » avec l’exigence innée de se perpétuer ; c’est une dynamique intrinsèque contraire à la réunification. Sans parler du fait que les hiérarchies orthodoxes sont des organisations qui ne jouissent pas d’un grand crédit auprès de la base – les russes viennent de l’époque soviétique – en raison du passé, mais aussi du présent, car elles sont favorables à l’autoritarisme renouvelé de l’État. Elles s’opposeront donc toujours à une Église unie transnationale, de la même manière qu’elles s’opposent à l’émergence de nouvelles Églises autocéphales indépendantes.

Difficile de faire pire en termes d’échec œcuménique! Mais au Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, ils sont impuissants. On entend généralement dire qu’il n’y a pas de différences majeures entre le catholicisme et l’orthodoxie. En réalité, si l’on y regarde de plus près, on peut dire que tout se ressemble et tout est différent à la fois entre ces deux « christianismes », à commencer par la différence de dénomination jusqu’à la disproportion numérique : un milliard et plus de croyants pour le premier, quelque deux cents millions pour le second. Mais la principale différence réside dans le fait que, pour les catholiques, l’Église, composée d’Églises particulières dirigées par des évêques, est un corps unique et universel avec un principe d’unité visible, l’évêque de Rome, qui est l’Église mère et le chef de toutes les Églises particulières. Le pape a le ministère de pasteur suprême, c’est-à-dire qu’il exerce la primauté que le Seigneur a confiée à saint Pierre et à ses successeurs.
C’est pour cela que le Saint-Siège romain constitue le centre d’unité et de communion de l’Église. Pour les orthodoxes, en revanche, les Églises locales sont largement autocéphales et autonomes avec leurs patriarches, leurs métropolitains et leurs évêques ; par conséquent, le pape est considéré comme n’étant que le premier évêque du christianisme ; il n’est pas le successeur de Pierre, car il n’aurait reçu aucune primauté du Seigneur ; Rome ne serait donc le « premier siège » que pour des raisons historiques et politiques.

Malgré cette différence fondamentale, l’Église catholique considère que les Églises orthodoxes ont un baptême valide et sont donc incorporées au Christ et sont dans une certaine communion avec elle, en raison des nombreux éléments de l’unique Église du Christ qui ont été conservés en elles (Écriture Sainte, sacrements, saints, etc.) (cf. Unitatis redintegratio, 23). Par conséquent, de ces communautés, bien que séparées et donc pas en pleine communion, l’Esprit se sert pour pousser vers la plénitude qui existe dans l’Église catholique, « instrument universel de salut » (cf. Lumen Gentium, 48) qui a toujours conservé l’unité confiée au collège apostolique uni à Pierre.

Donc, le mouvement oecuménique actuelle est une réalité non seulement complexe, mais confuse; il est vrai que toutes les dénominations chrétiennes se réfèrent à Jésus-Christ, mais il n’y a toujours pas d’accord sur « ce qui appartient au Christ » : les Écritures, les sacrements… (cf. le discours de Jean-Paul II à Cologne en 1980). Le drame de la division ecclésiale et le problème œcuménique ne peuvent être résolus en cachant le fait qu’il y a un péché à l’origine. On peut donc comprendre le travail de la théologie catholique comme une aide à la résolution des « divergences réelles qui affectent la foi » et qui « font obstacle à la pleine communion des chrétiens entre eux » (Ut unum sint , 39 et 36).

En réalité, l’observation de von Balthasar reste valide: dans le dialogue œcuménique, « l’interlocuteur de l’Église catholique ne peut jamais être ‘un’, mais seulement fragmenté. Et même dans la sphère du monde orthodoxe, si certains évêques ou ministres entrent en dialogue avec Rome, aucun d’entre eux n’est capable de parler de manière engagée, même au nom de sa seule Église autocéphale » (Piccola guida per i cristiani, Milan 1986, p. 100).

En 1980, Jean-Paul II, en proclamant Cyrille et Méthode patrons d’Europe, a indiqué la solution au désaccord entre orthodoxes et catholiques : repartir en mission deux par deux, comme les premiers disciples du Christ, en reprenant l’évangélisation du continent européen : cela permettrait de résoudre progressivement les différends doctrinaux et canoniques. Sauf que le pape et les évêques sont pris par le nouveau slogan de l’ « Église synodale », captivés par la structure synodale orthodoxe, qui consiste en un conseil appelé  » saint synode  » autour du patriarche, composé de clercs et de laïcs qui l’élisent et qui conditionnent en fait son pouvoir. Ainsi, lors de l’échec

Ainsi, à l’échec de l’œcuménisme s’ajouterait la déconstruction « synodale » de l’Église catholique, qui conduit tout droit à limiter la primauté du pape dans l’Église universelle et celle de l’évêque dans l’Église particulière, toutes deux d’institution divine.

Nicola Bux

NDT

[1] En marge du coming out collectif de 125 employés de l’Eglise en Allemagne (cf En Allemagne, le bras de fer des « cathogays »), le président de la Commission des épiscopats de l’Union européenne (COMECE) a appelé à une modification de l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité (cf. Sandro Magister ICI)

[2] En 1993, la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, lors de sa septième session plénière qui s’était tenue à Balamand (Liban) du 17 au 24 Juin sur le thème «L’uniatisme, méthode d’union du passé, et la recherche présente de la pleine communion», publia un document, généralement connu sous le nom de « Déclaration de Balamand » [texte en français www.vatican.va], dans lequel l’Eglise catholique s’engageait à ne plus faire de prosélytisme parmi les orthodoxes (nn. 22 et 35). On connaît les accusations de prosélytisme adressées par l’Eglise orthodoxe russe à l’Eglise catholique, en particulier après la fin du communisme et la mise en place d’un certain nombre de circonscriptions ecclésiastiques catholiques sur le territoire canonique du Patriarcat de Moscou (2002).

Père Scalese, « Prosélytisme », 13/1/2017

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