Décryptage de la nomination du président de l’Académie pontificale de théologie. Qu’un observateur averti mais aussi modéré qu’Andrea Gagliarducci conclue son article en se posant la question  » Comment ce pontificat va-t-il finalement tourner ?  » confirme nos pires soupçons. Bonne question, en effet. Et qui laisse songeur.

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Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-what-goal-in-theology

La nomination d’Antonio Staglianò, évêque émérite de Noto, comme président de l’Académie pontificale de théologie révèle comment le pape François veut que ses théologiens soient, et comment le pape lui-même voit le développement de la théologie.

Le pape François aime en effet citer saint Vincent de Lérins et la façon dont il définit le développement de la doctrine. Mais pour le Pape François, le concept est sans aucun doute différent, et cela est évident depuis Evangelii Gaudium. Le problème, pour le Pape François, n’est pas la doctrine mais la façon dont elle est présentée. Il s’agit d’une approche principalement pragmatique du problème.

Mais c’est une approche dans laquelle se reflète le choix de l’évêque Staglianò, qui est devenu célèbre pour sa théorisation de ce qu’on appelle « Pop Theology ». Il s’agit d’une théologie populaire, « non conventionnelle » selon les termes de l’évêque lui-même, qui vise à présenter l’Évangile dans un langage contemporain. En particulier, Mgr Staglianò aime utiliser des morceaux de musique pop, notamment ceux du Festival de Sanremo. Ce festival de musique italien le plus important est depuis des années une véritable cérémonie collective, vue par des millions de personnes.

L’évêque Staglianò a derrière lui de solides études théologiques et diverses publications théologiques. Toutefois, il n’est pas un éducateur au sens académique du terme. Dans une Académie pontificale de théologie, fondée au XVIIIe siècle précisément dans le but de former des théologiens, Mgr Staglianò semble être un outsider. Pourtant, il y tient un rôle de premier plan.

Pourquoi ? Parce que pour le pape François, la priorité est de rajeunir le langage. Le pape n’a peut-être pas l’intention de changer la doctrine, mais il est convaincu que la doctrine doit être présentée différemment pour être attrayante. La doctrine doit communiquer la joie. Elle ne doit pas montrer des interdictions. La doctrine comme question de langage: c’est peut-être le thème théologique central du pape François.

Il y a, à ce stade, plusieurs considérations à faire.

La première : à l’époque moderne, les présidents de l’Académie pontificale de théologie ont toujours été des prêtres et jamais des évêques ou des archevêques. Le pape François a d’abord poursuivi cette tradition avec la nomination du rédemptoriste Real Tremblay en 2014. En 2019, cependant, le pape François a choisi l’archevêque Ignazio Sanna, alors âgé de 77 ans, pour assumer la présidence de l’Académie pontificale de théologie jusqu’à ses 80 ans.

Théologien reconnu, Sanna avait eu une expérience substantielle de l’enseignement avant les fonctions pastorales auxquelles il a été appelé par l’archevêque d’Oristano. Fort d’une solide formation théologique, il a défini, dans une interview accordée à Vatican News immédiatement après sa nomination, les défis importants d’aujourd’hui comme étant, premièrement, de faire comprendre aux gens que la théologie a encore une place dans le monde moderne et, deuxièmement, d’entrer en dialogue avec les sciences. En outre, il a formulé les défis de l’avenir en termes de questions relatives à la vie et à la famille.

Le pape François le remplace par un autre évêque, qui semble moins conventionnel et plus proche de la pensée du pape François, qui consiste à aborder les grandes questions plutôt que les thèmes centraux de la doctrine. Nous regardons avant tout l’être humain, et le discours sur Dieu doit plutôt être un discours humain.

Mais le fait que le pape choisisse des évêques pour ce poste montre comment il veut institutionnaliser sa pensée. Depuis qu’il est devenu Pape, François a nommé des évêques ou même des cardinaux, afin de renforcer sa position. Au final, il s’agit de mettre en avant la fonction, comme les médailles données aux officiers.

Il fallait donc que cette révolution de la théologie pop se fasse au plus haut niveau pour créer une théologie à visage humain.

Le deuxième fait est que le pape choisit comme éducateur de la nouvelle école de théologiens un évêque résidentiel, orthodoxe dans ses publications mais très pragmatique dans ses homélies. Nous ne savons pas si Staglianò sera capable ou non d’entrer en dialogue avec le monde intellectuel, et nous l’espérons. Cependant, sa nomination semble être un saut dans le vide, presque une imposition d’une façon de penser ou de voir les choses.

La troisième donnée provient du profil de Mgr Staglianò lui-même, un pasteur qui se montre aux périphéries (même de la pensée) comme le pape François invite toujours à le faire. La nouvelle ligne théologique consistera donc à rajeunir le langage, en expliquant l’Évangile dans une autre perspective.

Ainsi, certains thèmes centraux du débat sont minimisés, de celui sur la doctrine à celui sur les grands thèmes de la vie et de la bioéthique, qui doivent être relativisés et mis de côté pour aborder les questions qui peuvent attirer le dialogue.

Le pape François poursuit-il donc une théologie du dialogue ? A voir ses dispositions, on ne le dirait pas, à commencer par le motu proprio avec lequel il a aboli la libéralisation du rite traditionnel voulue par Benoît XVI.

Le pape François, en revanche, demande de regarder le langage, détourne l’attention des divisions internes (souvent qualifiées de manière simpliste de résistances), et appelle un évêque à Rome pour qu’il veille sur ses mots et sa philosophie.

Ces caractéristiques donnent matière à réflexion. Comment ce pontificat va-t-il finalement tourner ?

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