Nous avons abordé plusieurs fois le sujet (1), bien conscients que c’était de la dynamite, non seulement à cause de la gravité de l’enjeu, mais aussi parce que défendre la thèse du « pape empêché », c’est prendre le risque de passer (pardon pour l’expression) pour un dingue, et donc encourir le discrédit, le mépris, le rejet, et d’une certaine façon, l’exclusion sociale.
Andrea Cionci a monté un dossier solide et argumenté, souvent convaincant, même si on peut le discuter, et même le réfuter (en partie, mais selon moi pas totalement): écarter son travail avec mépris, en plus d’être insultant, est une démarche anti-scientifique si on est à la recherche de la vérité – recherche qui implique d’explorer toutes les pistes. Celle-là en est une, et personne ne peut affirmer avec une certitude de 100% qu’elle est fausse. Ou vraie. Seul Benoît XVI connaît la vérité, et ‘il l’a emportée avec lui
J’ai essayé d’expliquer dans un article en quoi le journaliste italien peut être proche de cette vérité.
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Voici deux articles parus successivement et dans cet ordre chronologique sur le blog de Marco Tosatti, qui font le point, et se complètent, même s’ils semblent en contradiction. Mais laissent la question totalement ouverte.

(1) Nombreux articles sur ce site, voir en particulier

Ratzingerleaks ? Non, mais Cionci a ouvert une voie.

www.stilumcuriae.com/ratzingerleaks-no-ma-cionci-ha-aperto-una-strada-un-commento

Maintenant que Joseph Ratzinger est revenu à la Maison du Père, nous pouvons parler des thèses d’Andrea Cionci contenues dans le livre « Codice Ratzinger » et dans des centaines d’articles.

En bref, Cionci reconstruit un langage très raffiné, qu’il appelle « code », par lequel Benoît XVI aurait communiqué au monde qu’il n’a jamais démissionné, mais qu’il est in « sede impedita« . Il s’ensuit que le pape François est un anti-pape.

Cionci s’est dit certain de l’existence d’un document, le testament de Joseph Ratzinger, dans lequel le pape émérite explique apertis verbis comment les choses se sont passées, confirmant son propre détrônement par un tiers et le fait que Bergoglio est un antipape.

Les adversaires et les détracteurs de Cionci, qui l’ont ignoré et moqué, attendent dans les coulisses, prêts à enterrer ses théories sous les faits, ou plutôt leur absence : si le fameux testament n’apparaît pas, ou ne contient pas ce que Cionci dit, il entrera dans l’histoire comme le pire des complotistes.

J’ai deux obligations d’honnêteté envers les lecteurs. La première est que je connais et estime Andrea Cionci. La deuxième est qu’il sait ce que je pense – nous en avons parlé à plusieurs reprises – mais cet article n’a été en aucun cas convenu avec lui.

Je pense deux choses apparemment contradictoires. Dans l’ordre : il n’y a pas de Ratzingerleaks du pape émérite, et malgré cela Cionci a raison sur beaucoup de choses, si ce n’est toutes. C’est-à-dire que nous avons UNE vérité qui ne peut être prouvée à une époque où une quantité gigantesque de faussetés sont prétendues l’être. Rien que cela devrait nous mettre la puce à l’oreille

Pour aller droit au but. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de publication d’un écrit signé par Joseph Ratzinger qui confirme les thèses de Cionci, parce que le pape allemand, en raison de son tempérament personnel et de sa culture, n’aurait jamais dérangé ou scandalisé l’Église, et surtout ne se serait jamais soustrait à une confrontation vive sur des points aussi sensibles en abusant, pour ainsi dire, de sa propre mort.

Faisons l’hypothèse que Ratzinger a par contre laissé une sorte de mémoire dans lequel il a fait des révélations dérangeantes. Plutôt que de permettre sa publication, les clercs de passage qui peuplent le Vatican se mettront en route avec des torches et des bidons d’essence pour incendier tout Rome, le Latium et peut-être au-delà, rappelant les splendeurs néroniennes.

Supposons même, par l’absurde, que les Ratzingerleaks existent et que les mêmes clercs tolèrent leur publication sans sourciller. Les médias à l’unisson et, par conséquent, la population, éclairée par l’esprit du temps, seraient instantanément convaincus qu’il s’agit d’une fake news.

Enfin, il est contraire à l’intuition que Ratzinger lui-même, le préfet contemplatif de la maison pontificale et d’autres personnes qui leur sont proches aient nié, nient et nieront toujours vigoureusement que Benoît XVI ait fait l’objet de pressions, de menaces physiques ou ait été forcé de quelque manière que ce soit à abdiquer.

Ils ne diront jamais non plus que le pape François n’est pas le pape, malgré le fait qu’il existe des actes d’accusation aussi grands que des montagnes et aussi nombreux qu’un troupeau de gnous.

Ils ne le feront jamais car cela signifierait la fin peu glorieuse des dogmes et des croyances attachés à la figure du pontife – le pape vicaire de Notre Seigneur, l’infaillibilité du pontife, l’intervention et l’assistance du Saint-Esprit, etc.

Au-delà de la papolâtrie qui a maintenant enivré la plupart des catholiques, il est un fait que des trois derniers pontifes avant Bergoglio, le premier est mort d’une maladie soudaine après 33 jours de pontificat, le second a subi une tentative d’assassinat à laquelle il a miraculeusement échappé, et le troisième a démissionné.

Au lieu de me soucier de défendre le pape François en prenant à partie tous ses détracteurs – ce qui n’a pas été fait avec Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI – je serais très préoccupé par cette formidable attaque physique contre la papauté. Mais ceci, vous le comprendrez, est mon opinion.

Bien sûr : sur l’âge, les forces défaillantes et la fatigue, Ratzinger n’a absolument pas menti. Mais comme il l’a lui-même enseigné toute sa vie, la vérité est ce qui peut être dit, ou , en d’autres termes, ce qu’il est nécessaire de dire pour le bien et le salut des âmes. Il n’y a rien d’obscur, de caché ou de répréhensible à cela : plus on grimpe les échelons de l’autorité et du pouvoir, plus il faut peser les choses à dire, surtout à l’ère de la communication de masse.

Revenons à notre propos: on a une vilaine impression en relisant les paragraphes 78 à 83 de la Constitution Apostolique Universi Dominici Gregis, où il est écrit que les cardinaux qui se réuniraient extra sede vacante et extra conclave pour organiser ou influencer l’élection d’un de leurs frères seraient excommuniés latae sententiae, c’est-à-dire sans que personne n’ait besoin de signer un quelconque papier pour certifier le fait. Excommuniés séance tenante, eux et l’éventuel élu. Ici, on ne parle pas d’antipape: on parle d’être chassés de la communion ecclésiale de iure atque de facto.

Le fait que le cardinal Godfried Danneels ait décrit dans l’un de ses livres la « mafia de Saint-Gall » – selon sa propre définition – à laquelle il appartenait lui-même, et que cette poignée de cardinaux sympathisants ait identifié Bergoglio comme le candidat idéal, que Danneels l’ait déclaré à la télévision et aux journaux en violation patente de la Constitution devrait clore l’affaire : l’excommunier, lui, ses associés en grande partie défunts, et le pape François bien vivant.

Mais non. Il ne suffit pas non plus de constater que la bande de Saint-Gall a commencé à se réunir en 1996 – la Constitution date de février de cette année-là, on peut donc supposer que les réunions clandestines ont commencé après sa promulgation, tout comme on doit supposer que ce n’est pas un coup de chaleur qui a poussé Jean-Paul II à régler la question, mais des indices très concrets sur des cercles de fauteurs de troubles – ou que Bergoglio déjà en 2005 avait défié Ratzinger lui-même pour le Siège.

Il ne reste plus qu’à examiner pourquoi, bien que ce sera facilement démenti par les faits, Cionci a raison sur le fond et, surtout, a ouvert une « voie organique » pour résoudre la crise de la papauté.

Ses détracteurs, qu’ils soient pro ou anti-Bergoglio, l’ignorent ou se moquent de lui parce que si Cionci avait raison, ils verraient tous leur « raison d’être » tomber : défendre ou critiquer quelqu’un qui n’est pas le pape n’a guère de sens. Sur un mauvais pape, ou du moins un pape fourvoyé, on construit des châteaux de chastes pensées [casti pensieri; citation d’Alberto Manzoni, dans la tragédie « Le Comte de Carmagnole », 1819].

L’auteur de « Codice Ratzinger » a deux mérites :

  • le premier, il a donné un visage crédible à un fait historique objectivement obscur et confus, bien au-delà des intentions de Benoît XVI.
  • Le second n’est pas un mérite mais un avantage en termes de concurrence : il serait dans l’intérêt de l’Église à venir – et certainement pas de l’Église actuelle – que les choses se passent réellement comme le suppose Cionci, car cela mettrait un terme crédible, alors qu’il serait impossible de le faire sur le plan probatoire [/de la preuve], au conflit qui, tel un fantôme, suit l’Église depuis la mort de Pie XII ([le cardinal] Siri a-t-il vraiment été élu et contraint d’abdiquer en faveur de Roncalli ? ) et trouve dans l’abdication de Benoît XVI son moment le plus dramatique : la suppression de la papauté manu militari.

Les premiers chrétiens, pour échapper aux persécutions et se reconnaître entre eux, dessinaient le signe du poisson et d’autres signes similaires : des codes anciens en période de persécution, Cionci n’a rien inventé. La bonne question est de savoir si l’Église est ou non persécutée aujourd’hui, disons au moins au-delà du seuil physiologique.

Bien qu’impensable dans le catholicisme dominant, l’hypothèse d’un pape empêché, contraint à un secret quasi catacombien jusque dans le langage, ne peut être écartée, pas plus que celle d’une fausse église dont parlent plus d’un certain nombre de prophéties et d’apparitions reconnues comme valides par l’Eglise : pour le croyant, ces choses peuvent arriver. Le considérer comme licite permettrait de réparer la catastrophe, juridiquement et spirituellement.

J’espère que le travail et le courage d’Andrea Cionci ne seront pas enterrés par le mépris de ses adversaires. Même s’il avait tort, l’honneur des armes doit être rendu au valeureux ennemi vaincu sur le terrain, et non par des bavardages calomnieux.

Lui-même aurait, je crois, aplani certains angles s’il avait été traité avec plus de considération, de respect et de charité sur les mérites de son travail, au lieu d’être humilié et jugé sur la base de ses intentions ou avantages personnels, ce que je ne vois franchement pas (je vois plutôt une réputation sapée pour les siècles à venir, ou pire), tandis que ceux de ses détracteurs se réduisent à maintenir la baraque debout.

Ce qui me conviendrait si le Crucifié de Saint Damien [allusion à un célèbre épisode de la vie de Saint François] pouvait dire : « Va réparer mon église », c’est-à-dire si les décombres conservaient l’apparence d’un édifice de culte. Le fait est qu’ils ressemblent plus à la cabane à outils du grand-père mort.


Questions simples sur le renoncement. Peut-être que le Saint-Esprit ne s’est pas trompé…

www.stilumcuriae.com/domande-semplici-sulla-rinuncia-forse-lo-spirito-santo-non-si-e-sbagliato

Je suis avec intérêt le débat sur Stilum Curiae, concernant la question de la renonciation de Benoît XVI. Je ne suis pas canoniste, je l’ai toujours écrit et répété, donc je n’entre pas dans le fond des diatribes concernant le munus et le ministerium, je laisse cette tâche aux experts.

Mes considérations sont, disons, beaucoup plus « terre à terre » et liées à des raisons moins canoniques et plus pratiques. Ainsi, bien que je n’aie jamais dénigré le travail de mon collègue Andrea Cionci, que je respecte et que je considère comme un journaliste d’investigation talentueux, je me suis souvent posé des questions.

S’il existe réellement une possibilité que la démission de Benoît XVI soit invalide et l’élection de Bergoglio nulle et non avenue, comment se fait-il que personne au sein de l’Église n’ait jamais ressenti le besoin d’y voir clair?

Je me réfère en particulier aux nombreux cardinaux qui, ces dernières années, ont adopté des positions très critiques à l’égard du pontificat bergoglien et qui, dans certains cas, sont même allés jusqu’à dénoncer le risque d’hérésie derrière certaines déclarations du pontife régnant. Quel besoin y avait-il d’avancer des « Dubia » ou même de dénoncer le risque de dérives hérétiques alors qu’il aurait suffi de soulever la question de l’invalidité de la démission de Ratzinger pour neutraliser Bergoglio ? Il aurait suffi de dire : « Messieurs, cette thèse circule, la démission de Benoît XVI n’est peut-être pas valable, l’élection du pape François est invalide, voulons-nous aller jusqu’au bout ? Voulons-nous ouvrir une enquête ? Voulons-nous créer une commission théologique pour faire la lumière sur cette question ? ».

Ou encore : aucun de ces cardinaux, bien qu’ayant un accès facile à Benoît XVI, ayant été en grande partie créés par lui, n’a jamais ressenti le besoin d’aller à la source et de demander : « Saint-Père, pour le bien de l’Église, dites-nous ce qu’il en est vraiment ». Ils auraient pu le faire à l’occasion d’Amoris Laetitia, du Synode sur la famille, de celui, encore plus contesté, sur l’Amazonie, après la promulgation de Traditionis Custodes, toutes situations qui ont vu des cardinaux conservateurs exprimer des critiques très dures à l’égard de l’action du pontife.

Pourquoi n’ont-ils jamais envisagé la thèse d’une démission non valable ? Par peur ? De quoi ? D’être excommunié ? Mais c’est une chose d’excommunier le père Alessandro Minutella, c’en est une autre d’excommunier des cardinaux qui demandent la clarté sur un fait aussi perturbateur pour l’avenir de l’Église catholique. N’est-il pas plutôt légitime de penser que ces cardinaux ne se sont jamais penchés sur la question, tout simplement parce qu’ils en savent plus ?

On dit que Benoît XVI a fait ce geste pour sauver l’Église et schismatiser le courant moderniste, en lui donnant l’illusion d’avoir gagné le gouvernement de l’Église. Très bien, mais peut-on vraiment croire que Ratzinger n’a pas pensé aux fidèles ? A-t-il permis à des millions de catholiques dans le monde d’être trompés par un faux pape, recevant des sacrements invalides? La réponse [de Cionci] est que le pape Benoît a parlé en code, avertissant les fidèles. Tout cela est très bien, mais se pourrait-il que Ratzinger ait soudainement pensé que tous les catholiques du monde étaient devenus des experts en théologie et donc capables de comprendre ses messages codés ? Et ceux qui ne les ont pas compris, non pas par mauvaise foi mais parce qu’ils n’avaient pas l’expertise ou la préparation historique, théologique et doctrinale adéquate, ont tous été condamnés à l’enfer ? Le grand Benoît XVI aurait-il vraiment imaginé un moyen aussi compliqué et incompréhensible aux yeux de la grande majorité des catholiques pour sauver l’Église ?

On dit que Benoît aurait ainsi sauvé la vraie Église de la fausse Église. Maintenant, avec tout le respect dû et sans vouloir offenser qui que ce soit, pouvons-nous vraiment croire que le pape Benoît aurait pu identifier la véritable Église dans des prêtres comme le père Minutella, le père Roncaglia, les mystiques des chapelles célestes ? Qui se font aussi la guerre entre eux à coups d’excommunications mutuelles ? Pouvons-nous vraiment penser que le salut de l’Église peut habiter ceux qui suivent les uns ou les autres ? Ou peut-être le moment est-il venu d’arrêter de mettre Benoît XVI dans le même sac que des personnes auxquelles, sans vouloir offenser qui que ce soit, le pape émérite n’a jamais songé ?

Les révélations de don Georg dans son livre parlent clairement et montrent que Ratzinger a toujours considéré Bergoglio comme son successeur légitime. Il est vrai que le secrétaire privé de Ratzinger s’est contredit par rapport à des déclarations antérieures, mais s’il est crédible quand il parlerait en « code Ratzinger », pourquoi ne le serait-il pas quand il rapporte qu’il n’y a jamais eu qu’un seul pape et qu’il s’appelle François ? Comment se fait-il qu’en quelques jours, le père Georg soit passé du statut de fidèle serviteur…

Comment se fait-il qu’en l’espace de quelques jours, don Georg soit passé du statut de serviteur le plus fidèle du pape Benoît en diffusant des messages en code Ratzinger, à celui de personne indigne de confiance ou intéressée uniquement par son profit personnel ?

Une dernière considération : lorsque Benoît XVI a décidé de renoncer à la papauté de manière invalide, l’a-t-il fait en ayant la boule de verre et en sachant déjà ce qui allait se passer au conclave ? Un ange du ciel lui est-il apparu pour lui annoncer que le pape serait Bergoglio ? Si, comme tout le monde le suppose, Angelo Scola avait été élu ? Qu’aurait fait Benoît à ce moment-là ? Puisque c’était un cardinal selon son goût, aurait-il corrigé la Declaratio en la rendant valide ?

C’est peut-être l’occasion de reconnaître avec une grande honnêteté intellectuelle que, qu’on le veuille ou non, le pape est François et que son élection n’était en aucun cas une erreur du Saint-Esprit. Ou est-ce l’élection de Jean XXIII et de Paul VI, les papes du Concile d’où sont partis tous les problèmes de l’Église ? Mais ensuite sont venus Jean-Paul II et Benoît XVI, et cela ne veut pas dire qu’après ce pontificat résolument controversé, un grand pontife comme les précédents ne peut pas arriver. Il suffit d’avoir confiance dans le Seigneur et de prier. Peut-être qu’un jour nous comprendrons aussi pourquoi nous avons eu la chance d’avoir un pape comme Bergoglio.

Americo Mascarucci

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