La lettre est datée du 21 septembre. Il en a confié une copie à AM Valli – j’ignore pour le moment s’il s’agit du seul « intermédiaire » [(*)]
Je reproduis ici l’intégralité de la lettre (à noter: elle est explicitement non-adressée aux Laïcs participants), en soulignant les passages qui me semblent particulièrement riches de sens: c’est un véritable pavé dans la mare, le cardinal Zen met en garde ses confrères contre les manipulations des organisateurs, et les invite à la résistance « courtoise » (voir aussi le billet posté sur le blog <oldyosef>, dont cette lettre développe les arguments: Zen et Müller: les dubia s’enchaînent).

Le fait que le cardinal ait choisi de confier cette lettre qu’il disait souhaiter confidentielle, 3 semaines après sa rédaction, à un blog catholique de notoriété internationale (qui lui a évidement demandé l’autorisation de la publier), signifie qu’il veut qu’elle ait aussi un impact auprès de l’opinion la plus large.
Il faudrait que la lettre parvienne à toucher, bien au-delà de ceux qui participent au Synode, non pas les amis du cardinal (qui sont déjà acquis), pas non plus ses adversaires (ils sont sans doute irréductibles) mais le vaste espace du marais qui est susceptible de tomber du bon côté, mais aussi, hélas, de l’autre.
.
On peut malheureusement supposer que les médias vont tout faire pour la boycotter ou la minimiser

[(*)] Il y a joint un message d’encouragement et d’affection pour le blog « Duc in altum » , accompagné d’un témoignage d’appréciation pour son article que j’avais traduit ici: Nouvelle Eglise: ceci n’est pas une crise, c’est une révolution, et il a signé en toute humilité « don Joseph »

Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’insister sur les raisons pour lesquelles vous devez aborder le Synode avec une grande inquiétude. En revanche, il me semble important de vous signaler certains problèmes liés à la procédure du Synode. Le secrétariat du Synode est très habile dans l’art de la manipulation.

Chère Éminence, Chère Eccellence

Je suis votre confrère Joseph Zen de la lointaine île de Hong Kong, un vieil homme infirme de 91 ans, ordonné évêque il y a plus de 26 ans. J’écris cette lettre parce que, conscient d’être encore en possession de mes facultés mentales, je ressens le devoir de sauvegarder, en tant que membre du Collège des Successeurs des Apôtres, la sacro-sainte tradition de la foi catholique.

Je vous adresse cette lettre, à vous les membres du prochain Synode sur la synodalité, parce que je suppose que vous êtes préoccupés, comme moi, par la tournure que prendra ledit Synode.

La synodalité est un mot assez nouveau, dont l’étymologie permet de comprendre qu’il s’agit d’un esprit, de « parler ensemble et de marcher ensemble » ; pour l’Église catholique, il signifie « communion et participation de tous les membres de l’Église à la mission évangélisatrice ». Compris de cette manière, le thème de ce Synode semble utile et toujours d’actualité, et ce sera une occasion opportune pour clarifier comment cette synodalité doit être vécue dans l’Église.

Or, il existe un document très récent « La synodalité dans la vie et la mission de l’Église« , fruit du travail (dans les années 2014-2017) d’une sous-commission de la Commission théologique internationale, dont le président ex-officio est le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. La sous-commission a conclu ses travaux en 2017, le texte a été approuvé par les membres de la Commission lors de la session plénière de cette année-là, et finalement approuvé par le Préfet de la Congrégation en 2018, après avoir reçu un avis favorable du Pape François.

Le document commence dans sa première partie par les faits historiques des Synodes et des Conciles (le sens des deux termes est convergent), en particulier le Concile apostolique de Jérusalem (Actes 15), qui est la figure paradigmatique des Synodes célébrés par l’Église.

La description de ce Synode, aux paragraphes 20-21 du document, peut être résumée comme suit. Lors de la diffusion de l’Évangile, un problème se pose: les non-Juifs doivent-ils passer par la circoncision et l’acceptation de la loi mosaïque pour devenir membres de l’Église de Jésus ? Le problème, vivement ressenti à Antioche, est soumis à l’Église de Jérusalem, qui participe à son déroulement pour résoudre la question. « La diversité initiale des opinions et le débat animé, à la lumière de la parole prophétique (cf. Amos 9,11-12), dans l’écoute mutuelle de l’Esprit Saint à travers le témoignage de son action (cf. Actes 15,14-18), aboutissent à ce consensus et à cette unanimité qui sont le fruit d’un discernement communautaire ». Les Apôtres et les Anciens ont communiqué les résultats du Concile aux Eglises dans une lettre disant : « Nous avons décidé, l’Esprit Saint et nous ».

Le paragraphe 5 du texte de la Commission dit : « La nouveauté du mot synodalité exige une mise au point théologique prudente ». Au paragraphe 7, il est dit :

« Alors que le concept de synodalité rappelle la participation de tout le peuple de Dieu, […] le concept de collégialité précise le sens théologique et la forme d’exercice du ministère des évêques […] à travers la communion hiérarchique du collège des évêques avec l’évêque de Rome ».

Plus loin, il est dit :

« Toute manifestation authentique de synodalité exige, par sa nature même, l’exercice du ministère collégial des évêques ».

Dans la deuxième partie, le document propose les fondements théologiques de cette doctrine, que l’on trouve notamment dans « Lumen Gentium », où il est précisé qu’il existe un sacerdoce ministériel et ordonné qui sert ce peuple, en le guidant par le service de l’autorité.

Je n’ai pas été peu surpris, en lisant les nombreux et volumineux documents publiés par le Secrétaire du Synode, de trouver si peu de références au document susmentionné.

Qui plus est :

Je suis troublé par le fait que, d’une part, on me dise que la synodalité est un élément constitutif de l’Église, mais que, d’autre part, on me dise que c’est ce que Dieu attend de nous pour ce siècle (comme une nouveauté ?). Comment Dieu a-t-il pu oublier de faire vivre cet élément constitutif de l’Église pendant les vingt siècles de son histoire ? Ne confessons-nous pas que l’Église est une, sainte, catholique et apostolique, ce qui signifie qu’elle a toujours été synodale ?

Je ressens encore plus de confusion et d’inquiétude lorsque je vois que l’on suggère que le temps est enfin venu d’inverser la pyramide, c’est-à-dire avec la hiérarchie surmontée par les laïcs. Dans le document préparatoire, dès le début, il est clairement indiqué que, pour une Église synodale, il faut rétablir la « démocratie ».

Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est que pendant que ce synode était convoqué (ce qui est présenté comme quelque chose d’inédit), il y avait déjà un « chemin synodal » en cours en Allemagne où, avec un « mea culpa » étrangement complaisant pour les abus sexuels, la hiérarchie et un groupe de laïcs (Comité central des catholiques allemands ZDK, on ne sait pas comment ils sont représentatifs, mais il s’avère qu’ils sont presque tous des employés de l’église) proposent un changement révolutionnaire dans la constitution de l’Église et l’enseignement moral en ce qui concerne la sexualité. Plus d’une centaine de cardinaux et d’évêques de différentes parties du monde ont écrit une lettre d’avertissement à l’épiscopat allemand, mais ils ne reconnaissent pas qu’ils sont dans l’erreur.

Le pape n’a jamais ordonné l’arrêt de ce processus de l’Église en Allemagne. À l’occasion de leur visite « ad limina », on sait que le pape a eu un entretien de deux heures avec les évêques allemands, mais aucun discours du pape n’a été publié dans « L’Osservatore Romano », comme il est d’usage lors de telles visites. Au lieu de cela, un discours du préfet de la Congrégation pour les évêques, le cardinal Marc Ouellet, a été publié, dans lequel il les a suppliés de ne pas aller de l’avant et d’attendre les conclusions du synode. En réponse, un refus catégorique car, disent-ils, « il y a une urgence pastorale à procéder » ( !?).

Un symptôme alarmant est la baisse continue du nombre de fidèles en Allemagne ; selon les chiffres officiels, la baisse a dépassé le demi-million en 2022. L’Église allemande se meurt.

Cela nous rappelle la douloureuse infortune de l’Église des Pays-Bas qui, partie de l’apogée où elle comptait 40 % de la population nationale, a chuté jusqu’à sa disparition quasi totale aujourd’hui. Il n’est pas difficile d’en voir la cause : un mouvement, presque égal à celui qui existe actuellement en Allemagne, qui y a pris naissance presque immédiatement après le Concile Vatican II.

Il n’est pas inutile de mentionner le grand schisme qui pèse sur la Communauté anglicane. Les archevêques de la Global Anglican Future Conference (GAFCON) ont envoyé une lettre à l’archevêque de Canterbury, lui disant que s’il ne se convertit pas (l’Église anglicane d’Angleterre a approuvé le mariage homosexuel), eux (qui représentent 85% des anglicans dans le monde) n’accepteront plus son leadership (en tant que « primus inter pares »).

Les documents du Secrétariat citent d’ailleurs pas toujours à propos la Bible. Ils parlent longuement de l’épisode de Pierre et Corneille (dans Actes 10-11) comme pour prouver que le Seigneur peut commander n’importe quel changement dans les actions des fidèles. Mais le récit du Concile de Jérusalem (Actes 15) montre qu’il ne s’agit pas d’un changement quelconque, mais d’une évolution impliquant différentes périodes dans la réalisation du salut. La phase universaliste du salut, déjà préfigurée dans l’Ancien Testament, se réalise définitivement après la résurrection de Jésus. De même, Jésus a dit qu’il n’a pas aboli la loi, mais qu’il l’a accomplie. L’Esprit procède graduellement, mais ne se contredit jamais. Saint Henry Newman disait que le véritable développement de la doctrine est homogène.

Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’insister sur les raisons pour lesquelles vous devez aborder le Synode avec une grande inquiétude. En revanche, il me semble important de vous signaler certains problèmes liés à la procédure du Synode. Le secrétariat du Synode est très habile dans l’art de la manipulation.

Pour ce que je vais dire, il sera facile de m’accuser de « complotisme », mais je vois bien qu’il y a tout un plan de manipulation.

Ils commencent par dire qu’il faut écouter tout le monde. Peu à peu, ils font comprendre que parmi ce « tout le monde », il y a surtout ceux que nous avons « exclus ». Enfin, ils admettent qu’il s’agit de personnes qui optent pour une morale sexuelle différente de celle de la tradition catholique.

Dans les petits groupes de dialogue de la phase continentale, ils insistent souvent sur le fait que « nous devons laisser une chaise vide pour ceux qui sont absents, marginalisés par nous ». Ils disent aussi : « Le synode doit se conclure par une inclusion universelle, il doit élargir la tente, accueillir tout le monde, sans les juger, sans inviter à la conversion ».

Ils protestent souvent qu’ils n’ont pas d’agenda. C’est une véritable insulte à notre intelligence, quand nous voyons tous les conclusions qu’ils visent.

Ils parlent de la « conversation dans l’Esprit » comme de quelque chose de magique. Et ils invitent tout le monde à s’attendre à des « surprises » de la part de l’Esprit (bien sûr, ils sont déjà informés de ces surprises).

« Conversez, mais ne discutez pas ! La discussion crée des divisions ». Mais alors, le consensus et l’unanimité se produisent-ils miraculeusement ? Mais il me semble qu’au Concile Vatican II, on a souvent passé beaucoup de temps à discuter avant d’arriver à une conclusion presque unanime. C’est là que l’Esprit Saint a été à l’œuvre. Éviter les discussions, c’est éviter la vérité.

Vous ne devez pas leur obéir lorsqu’ils vous disent d’aller prier, interrompant ainsi le travail. Répondez qu’il est ridicule de penser que le Saint-Esprit attend vos prières de dernière minute. Vous devez déjà avoir accumulé une montagne de prières, les vôtres et celles de vos fidèles, comme l’a fait le Pape Jean XXIII avant le Concile, en faisant des pèlerinages avec de nombreux fidèles dans différentes églises, en priant pour le Concile. Au cours du Synode, l’Esprit Saint sera à l’œuvre dans vos cœurs, espérant que tous accueilleront ses inspirations.

« On commence, disent-ils, par de petits groupes ».
C’est évidemment faux. Il faut d’abord laisser parler et entendre tout le monde dans l’assemblée. De cette façon, on voit clairement quelles sont les questions les plus controversées et quelles sont celles qui doivent faire l’objet d’un débat approfondi. Dans les petits groupes « linguistiques », on peut alors, dans sa propre langue, disséquer les questions plus facilement et aboutir à des délibérations concises. Il faut insister sur la procédure suivie par de nombreux Synodes, non pas parce que « cela a toujours été fait ainsi », mais parce que c’est raisonnable (faire autrement justifie le soupçon que l’on veut éviter de découvrir la véritable inspiration de l’Esprit Saint).

Sur internet, je constate que l’on parle beaucoup de « voter ou ne pas voter ». Mais s’il n’y a pas de vote, comment connaître le fruit de tous ces dialogues ? Ne pas voter, c’est encore ne pas connaître la vérité.

Toujours sur le vote. Sans aucune consultation, à proximité immédiate du Synode, le Saint-Père ajoute un certain nombre de membres laïcs avec droit de vote. Si j’étais l’un de ces membres, je protesterais vigoureusement, car cela change fondamentalement le Synode des évêques, que le pape Paul VI avait institué comme un instrument de collégialité, même si, dans l’esprit de la synodalité, les observateurs laïcs sont autorisés à s’exprimer.

Je ne recommande pas de protester, mais au moins de se plaindre courtoisement et de demander qu’au moins les votes des évêques et ceux des laïcs soient comptés séparément (ce que même le « chemin synodal » d’Allemagne a accordé aux évêques), Les votes des deux groupes doivent avoir un poids différent. Faire voter les laïcs semble signifier que l’on veut respecter le « sensus fidelium », mais est-on sûr que ces laïcs invités sont des « fideles » ? Vont-ils encore à l’église ? Notez que ces laïcs n’ont pas été élus par les chrétiens pratiquants.

L’ajout (à mi-chemin) d’une autre session pour 2024 n’a jamais été expliqué. Mon soupçon malicieux est que les organisateurs, incertains d’atteindre ce qu’ils visent dans cette session, espèrent avoir le temps de préparer d’autres manœuvres. Mais si les votes clarifient déjà ce que l’Esprit a voulu dire à travers le vote des évêques, une autre session sera-t-elle encore nécessaire ?

Cette lettre que j’écris se veut confidentielle, mais il sera difficile qu’elle ne parvienne pas aux médias. Vieux comme je suis, je n’ai rien à gagner, rien à perdre. Je serai heureux d’avoir fait ce que je crois devoir faire.

Je sais que lors du Synode sur la famille, le Saint-Père a rejeté des suggestions faites par plusieurs cardinaux et évêques précisément sur la procédure, mais si vous faites une demande respectueuse et soutenue par de nombreux consensus, peut-être qu’elle pourra être acceptée. En tout cas, vous aurez fait votre devoir. Accepter une procédure déraisonnable, c’est condamner le Synode à l’échec.

Je vous prie d’excuser le retard de ma lettre, peut-être n’aurons-nous pas le temps de présenter nos requêtes aux organisateurs avant le début du Synode.

Je vous souhaite une participation fructueuse et, s’il le faut, courageuse à ce Synode qui, de toute façon, sera sans précédent.

Votre humble frère,
Joseph Zen
21 septembre 2023
Fête de l’Apôtre Saint Matthieu (« miserando et eligendo »)

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