Le chef de file de l’opposition à François (je crois que le terme « opposition » est approprié ici) répond aux questions de Nico Spuntoni. Confiant sa perplexité face à l’intitulé du synode, il répète inlassablement qu’il n’est pas question de faire des compromis sur la foi et il jette un regard pas vraiment tendre, entre ironie et agacement, sur l’organisation et le contenu des débats. On apprend au passage qu’il n’a pas signé les dubia parce qu’il ne les avait (peut-être) pas reçus, mais qu’il s’y associe pleinement.

Last but not the least: il épingle malicieusement le lobbyiste LGBT James Martin, lequel, dans élan d’enthousiasme faussement naïf, s’extasiait de l’ambiance d’entente chaleureuse qui (miracle de la synodalité) régnait parmi les participants, se vantant d’avoir pu faire une photo avec le cardinal Müller (cf. Le Synode joyeux du père Martin, sj):

À un moment donné, j’ai rencontré le cardinal Gerhard Müller, dont l’approche des questions de L.G.B.T.Q. est assez différente de la mienne. J’ai pu lui dire sincèrement que j’admirais son travail avec le théologien de la libération Gustavo Gutiérrez, et plus tard dans la journée, nous avons échangé des livres et nous nous sommes fait photographier ensemble.

Apparemment, les choses ne se sont pas passés exactement comme il l’a dit

Le cardinal Müller au Synode, voir aussi

Müller contre le Synode : « Pas de compromis sur la foi ».

Nico Spuntoni
Il Giornale
6 novembre 2023

Il a été l’un des principaux acteurs du Synode qui s’est achevé la semaine dernière, ne serait-ce que parce qu’il est le plus célèbre des prélats critiques à en avoir fait partie. Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant la première partie du pontificat de François, n’a pas changé d’avis à l’issue des 25 jours de travaux synodaux. Dans un long entretien accordé à Il Giornale, le théologien qui a édité l’Opera omnia de Joseph Ratzinger tire le bilan de cette première session et reste sceptique quant au choix de tenir un synode sur la synodalité : « Je n’aurais jamais conseillé au pape de choisir un tel thème. Qu’est-ce que cela veut dire? Déjà en soi, le synode est un concept abstrait. C’est un peu comme tenir une assemblée sur l’assemblée. Cela n’a pas beaucoup de sens pour moi ».

« Le pape n’est pas propriétaire de l’Église ».

Le résultat de ces 25 jours de travail est un rapport de synthèse dans lequel les sujets les plus controversés font leur apparition, presque en douce: le diaconat féminin, l’identité de genre, l’intercommunion, l’abolition de l’obligation du célibat sacerdotal. C’est sur ces points qu’il y a eu le plus grand nombre de votes contre parmi les participants, mais tous les paragraphes du document ont néanmoins été approuvés à une nette majorité.

Lors de la conférence de presse de présentation, le cardinal Jean-Claude Hollerich – rapporteur du synode – a tenu à justifier ce résultat en affirmant que « la résistance n’est pas si grande » et que « dans un État démocratique, si nous avions des résultats similaires pour l’approbation d’une loi au Parlement, nous serions très heureux ». Une comparaison discutable au vu des nombreuses déclarations du Pape et de Hollerich lui-même pour rappeler que le Synode n’est pas un Parlement.

« C’est une contradiction », a dit Müller à Il Giornale, expliquant que

« les votes des évêques dans un Conseil ou un Synode ne sont pas des votes qui représentent la volonté du peuple ou d’une oligarchie parce que les évêques parlent en tant que témoins de la vérité

Les évêques et le pape ne sont pas le Seigneur, ils ne sont pas les propriétaires de l’Église, ils ne sont que les successeurs des apôtres »

Des déclarations telles que celle du rapporteur du Synode sur le poids des votes laissent perplexe l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui s’interroge également sur l’élargissement de la participation à un groupe limité de laïcs.
Le cardinal observe

« Un Synode des évêques est un Synode des évêques, une institution créée pour permettre aux évêques de participer au gouvernement de l’Église universelle, mais sur la base de leur ordination…

Aujourd’hui, on a presque tendance à relativiser la fonction des évêques, en l’assimilant à celle des laïcs, mais ce faisant, le seul à détenir le magistère est le pape. Ce synode marque-t-il une rupture avec le Concile Vatican II ?

Tel est le sentiment de l’homme à qui Benoît XVI a confié la garde de l’orthodoxie catholique avant sa démission. Le cardinal insiste:

« Je ne dis pas qu’ils le font volontairement, mais peut-être doivent-ils mieux étudier les documents du Concile…

Vatican II voulait surmonter cet isolement du pape par rapport au reste du collège épiscopal, mais au lieu de cela, ils l’ont éloigné ».

Peu de théologie, trop de psychologie et de sociologie

Mais comment se sont déroulés les 25 jours passés dans la salle Paul VI, assis aux désormais célèbres tables rondes ?

Müller ne cache pas son agacement face à ce qu’il a entendu de la part de certains participants :

« Il y avait un mélange d’arguments théologiques, d’analyses sociologiques et de psychologie », raconte le cardinal, soulignant que s’il est vrai que « la théologie est en contact avec d’autres sciences, en particulier la philosophie », il est également vrai que dans un synode d’évêques « les arguments en tant que tels doivent être des arguments théologiques parce que c’est l’essence de la mission de l’Eglise, qui n’est pas une organisation naturelle faite par des hommes, elle ne peut pas être comprise seulement avec des catégories d’organisations civiles ».

En particulier, ce qui a suscité plus d’une perplexité à cet égard, ce sont les interventions des laïcs qui, bien que présents et représentant l’ensemble du peuple de Dieu, n’étaient pas élus mais sélectionnés par les conférences épiscopales et ensuite choisis par le Pape lui-même. Leurs positions étaient plutôt convergentes et le cardinal allemand a fait remarquer à Il Giornale que les fidèles ayant d’autres sensibilités manquaient parmi les participants. Il a conseillé aux délégués laïcs d’approfondir leur étude des constitutions du Concile, en particulier Lumen Gentium et Dei Verbum.

Müller n’exclut pas la possibilité d’un dialogue entre des points de vue opposés et même de trouver une synthèse, mais « sur la foi, nous ne pouvons pas faire de compromis ». Une position qu’il explique par un exemple qui lui est cher : « Saint Bonaventure et Saint Thomas avaient un style différent en théologie, mais la même foi« . Zéro compromis sur la foi, donc, car

« soit nous croyons à la nature divine du Christ, soit nous n’y croyons pas. Tertium non datur« .

Il explique cela par un autre exemple qui renvoie à l’un des paragraphes du rapport de synthèse, celui sur la question de l’hospitalité eucharistique:

« Nous avons sept sacrements, pas deux comme les protestants. Nous ne pouvons donc pas faire de compromis et peut-être arriver à cinq car un sacrement est la transmission de la grâce divine ».

Pas d’ennemis, mais pas de compromis

Sa participation au Synode lui a permis d’être une voix à contre-courant et n’a pas échappé à ceux qui pensaient très différemment de lui. C’est le cas du père James Martin, connu pour son engagement en faveur de l’acceptation de la cause LGBT+ dans l’Église.

Durant les travaux du synode, le jésuite américain a publié une photo en compagnie de Müller. L’ancien préfet raconte l’épisode à Il Giornale, expliquant que Martin s’est approché de lui dans un moment de pause pour lui demander la photo et qu’il n’a pas eu d’objection.

« Nous ne sommes pas ennemis, je parle avec tout le monde. Nous avons pris la photo, mais cela ne veut pas dire que j’accepte son programme sur l’acceptation de la propagande LGBT », a dit le cardinal.

En fait, en apprenant que le jésuite américain était déçu de l’absence d’une mention spécifique de la communauté arc-en-ciel dans le rapport de synthèse, le théologien allemand a fait preuve d’ironie en commentant avec un « Dieu merci » éloquent.

La position de Müller est claire :

« On est déçu si l’on s’est fait des illusions auparavant. On ne peut pas venir à un synode et avoir l’illusion que l’Église peut changer la doctrine révélée

… « L’Église n’est pas un maître mais un serviteur de la Parole de Dieu : si Dieu a révélé l’existence de l’homme et de la femme, nous ne pouvons pas dire qu’il y a 60 genres. Il n’y en a que deux selon la volonté de Dieu ».

L’enseignement de l’homosexualité et la nature du Synode sont deux des sujets sur lesquels l’ancien préfet s’est le plus exprimé, mais aussi deux des cinq questions au centre des Dubia présentée au pape par les cardinaux Walter Brandmüller, Raymond Burke, Juan Sandoval Íñiguez et Robert Sarah.

Le cardinal Müller explique à Il Giornale qu’il n’a pas souscrit au texte uniquement parce qu’il ne se souvient pas s’il l’a reçu ou non, mais il démontre qu’il en partage le contenu en se référant à ce qu’il a toujours soutenu dans son travail théologique, dans ses homélies et également dans les interviews. Bref, son opposition à toute hypothèse de changement de doctrine est bien connue et c’est probablement la raison pour laquelle, plaisante le cardinal, pendant les pauses des travaux synodaux, personne ne s’est approché de lui pour plaider les causes les plus progressistes.

Le drame du suicide

Mais Müller n’a pas que des critiques. À François, en effet, il adresse également des conseils sur ce qui, à son avis, constitue les questions sur lesquelles l’Église ferait vraiment bien de se remettre en question.

« Dans le monde d’aujourd’hui, nous devrions nous demander comment atteindre les gens avec l’Évangile de Jésus-Christ alors qu’en Italie, deux tiers des jeunes disent ne pas croire en Dieu et ne pas trouver de sens à leur vie« , note le cardinal.

Il s’inquiète de l’augmentation du nombre de suicides, l’une des principales causes de décès chez les jeunes dans le monde. Pour le cardinal Müller, ce chiffre est « un signe du profond nihilisme qui existe dans nos anciennes sociétés chrétiennes ».

Ce sont là les grands défis qui attendent la chrétienté, estime l’ancien préfet. L’Église doit s’interroger sur des questions telles que le transhumanisme, car « sans aucun élément de transcendance, l’homme n’est qu’un esclave de pouvoirs comme l’intelligence artificielle ».

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