Je ne prétends pas être devin, mais on peut imaginer que la querelle en légitimité pourrait être LE sujet des débats de pré-conclave entre les électeurs. L’idée s’est imposée à moi en lisant le dernier article de Roberto de Mattei sur son site « Corrispondenza Romana », consacré à son tour au livre de Massimo Viglione « Papa eretico. Rinuncia. Sede vacante ? » , déjà recensé par AM Valli (Questions sur la renonciation de Benoît et la légitimité de François) et Marco Tosatti (« Habemus Papam ? Oui, non, peut-être). Je renvoie à leurs articles, et à tout ce qui, sur ce site, fait allusion à la thèse d’Andrea Cionci. (voir moteur de recherche).
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Comme d’habitude, de Mattei enquête rigoureusement – ici il cite les différents livres et articles qui traitent du sujet. Je n’ai pas traduit les références, qui ont peu de chances d’être accessibles au lecteur français. Je n’ai pas non plus traduit les attaques contre Benoît XVI, qui serait prétendument à l’origine de tout (et même un « génie du mal » – sic!!). Elles sont selon moi parfaitement inadmissibles, et de toute façon, parler du prochain conclave, c’est regarder vers l’avenir, et non vers le passé: ce qui est fait est fait, il est vain de ressasser.

(*) Présence invisible et inquiétante connue de tous, mais que personne n’ose nommer. L’origine de l’expression se trouve dans une pièce de théâtre du moine espagnol Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla y convidado de piedra (1630, L’Abuseur de Séville et l’Invité de pierre), dans laquelle l’invité au dîner de Don Juan est une statue de pierre.

François est-il pape ? Doutes et contradictions

Roberto de Mattei

À l’approche du 11e anniversaire du pontificat de François, une série de questions troublantes sont posées de toutes parts : le pontife régnant est-il orthodoxe ou a-t-il glissé dans l’hérésie ? Et dans ce dernier cas, est-il encore pape ? Et s’il n’a pas perdu son pontificat pour cause d’hérésie, aurait-il pu le perdre à cause d’une faille canonique liée à son élection ou à la démission de Benoît XVI ?

En Italie, le débat est vif, surtout depuis la diffusion des thèses d’Andrea Cionci, un journaliste qui affirme l’existence d’une fausse renonciation au pontificat par Benoît XVI, mise en scène pour démasquer l’usurpateur-antichrist Jorge Mario Bergoglio. Le fait que Cionci ait écrit un livre largement diffusé (Codice Ratzinger, 2022) et soit l’auteur de plus de 800 articles sur ce qu’il appelle la « magna quaestio » de la « sede impedita » a bien sûr peu de valeur en soi. Une erreur répétée mille fois reste une erreur, une vérité même une fois affirmée conserve une force intrinsèque.

Et la thèse de Cionci a été démontée par … [plusieurs livres, cités ici]

Sur la question de la renonciation de Benoît XVI, après qu’Antonio Socci a soulevé l’affaire pour la première fois, le professeur de droit canonique de l’Université de Bologne, Geraldina Boni, a écrit des pages définitives dans son étude Sopra una rinuncia. La decisione di papa Benedetto XVI e il diritto . Sur le sujet du « pape hérétique », les ouvrages de référence, en italien, sont ceux d’Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira, Ipotesi teologica di un Papa eretico et Se un Papa è eretico che fare ? , ce dernier mentionné pour son « analyse détaillée » par le cardinal Gerhard Ludwig Müller dans son récent entretien avec Cole De Santis pour Crisis Magazine.

Une nouvelle contribution nous est aujourd’hui proposée par le professeur Massimo Viglione, dans son livre Habemus Papam. Papa eretico, Rinuncia, sede vacante, une étude qui, sans s’adresser aux spécialistes, est menée selon une méthodologie historique, c’est-à-dire à travers une reconstruction chronologique et logique de la situation née de la renonciation de Benoît XVI et de l’élection de François.

Après un chapitre consacré au problème de l’autorité de l’Église dans la situation actuelle et un rapide aperçu du débat théologique sur le pape hérétique, le livre retrace le débat qui a suivi la renonciation de Benoît XVI à la papauté.

Viglione commence par les deux journalistes qui ont le plus animé la discussion, Antonio Socci et Andrea Cionci, puis examine une quinzaine d’auteurs différents, ecclésiastiques et laïcs, divisés entre partisans ou négateurs de la légitimité de l’élection papale de 2013. Dans le dernier chapitre, qui constitue le cœur de son étude, l’auteur résume schématiquement les différentes questions qui ont émergé.

En ce qui concerne l’illégitimité de la renonciation de Benoît XVI, Viglione considère que « l’hypothèse de Socci est « probable » […] Au contraire, il juge l’hypothèse de Cionci « hautement improbable, et en tout cas superflue par rapport aux autres accusations possibles d’invalidité, qui précèdent dans la chronologie et la logique » .

En définitive, « la question n’a pas de solution. C’est comme une partie de ping-pong qui ne se termine jamais ».

(…)

En pratique, « la possibilité que François ne soit pas François mais seulement Jorge Mario Bergoglio est concrète et loin d’être négligeable » pour de nombreuses raisons, mais surtout « à cause du défaut de consensus de Bergoglio lui-même, que nous considérons comme certain également sur la base des faits incontestables de ces presque onze années de pontificat » et « parce que même si Bergoglio était vraiment François, ses hérésies publiques continues et omniprésentes créent le grave problème du pape hérétique. Et c’est pour nous l’élément le plus décisif. Pour toutes ces raisons, nous pensons, comme nous l’avons dit, qu’il est hautement probable que le siège papal soit vacant aujourd’hui. Mais la certitude absolument rigoureuse, théologiquement et canoniquement, la preuve indiscutable en main, nous ne pouvons pas dire que nous l’avons.

En ce qui nous concerne, répète Viglione, « nous sommes moralement convaincus de la forte probabilité de la vacance du Siège, mais nous ne nous sentons pas capables de la présenter comme une certitude objective absolue contraignante pour les autres (et même pas pour nous-mêmes) ».

Une position certes légitime, mais qui n’est pas sans contradictions. Ceux qui sont moralement certains de l’illégitimité du pape François, qu’elle soit objective ou subjective, devraient refuser de l’appeler pape et le traiter comme un imposteur et un usurpateur. Si, en revanche, cette certitude fait défaut, Jorge Mario Bergoglio devrait être traité comme le vicaire du Christ, c’est-à-dire avec déférence et respect. Et ce, même si l’on avait de forts doutes sur la légitimité de son pontificat. Il est possible, en effet, que certains des membres du clergé ou des laïcs que Viglione présente comme des partisans du pape François aient quelques doutes sur sa légitimité en tant que pontife, mais qu’en l’absence de preuves solides, ils continuent à le considérer comme pape. C’est pourquoi ils célèbrent ou assistent à la messe una cum, ce qu’ils ne feraient pas s’ils étaient sûrs de l’invalidité du pontificat.

(…)

La position du professeur Viglione semble être analogue à celle des sédéprivationistes [une variante du sédévacantisme] qui, comme lui, pensent que le pape François continue à diriger l’Église en pratique, même s’il a perdu le titre légitime. Cependant, il critique l’hypothèse sédévacantiste, y compris sous sa forme sédéprivationiste, en écrivant que

« Si l’hypothèse sédévacantiste est vraie, toutes les consécrations sacerdotales et épiscopales qui ont eu lieu en union avec de faux papes (ou des papes seulement au pouvoir) sont invalides. Et ce, depuis 1965. Ce qui impliquerait concrètement, pour des raisons chronologiques évidentes, que la quasi-totalité des prêtres vivant aujourd’hui ne le sont pas (et aussi parce que les sédévacantistes ne reconnaissent pas la validité des consécrations postérieures à 1965), et il en va de même pour les évêques (il en resterait très peu dans le monde). Ce n’est pas tout : aucun des cardinaux vivant aujourd’hui n’est un évêque légitime, donc le collège des cardinaux n’existerait plus et tout pape élu ou eligendo est invalide. En pratique, l’Église catholique serait réduite à très peu de cercles sacerdotaux plus quelques évêques dispersés, pour la plupart schismatiques’.

C’est parfaitement exact. Mais la raison pour laquelle il considère comme valides les consécrations qui ont eu lieu de 1965 à 2013 et, au contraire, probablement invalides celles attribuables à Jorge Mario Bergoglio est-elle purement chronologique ? Les mêmes considérations sur la visibilité de l’Église qu’il applique au « paléo-sédévacantisme » anti-conciliaire ne pourraient-elles pas également s’appliquer au « néo-sédévacantisme » anti-Bergoglio ?

La seule position que le professeur Viglione ne critique pas dans son livre, mais qu’il semble plutôt faire sienne, est celle de l’archevêque Carlo Maria Viganò (qui nous semble très proche du sédévacantisme : cf. www.corrispondenzaromana.it). Mgr Viganò a laissé entendre, sans toutefois le confirmer officiellement, qu’il s’était fait « re-consacrer » évêque par l’ancien membre de la Fraternité Saint-Pie X et désormais chef de la soi-disant « Résistance », Mgr Richard Williamson. Mais comme Mgr Viganò a été consacré archevêque le 26 avril 1992 par Jean-Paul II, il montre par sa re-consécration qu’il considère comme invalides les consécrations épiscopales du pape Wojytila et, vraisemblablement, toutes celles qui ont eu lieu depuis 1968 jusqu’à aujourd’hui.

(…)

Bref, un beau gâchis, que le professeur Viglione résume en ces termes que nous partageons :

 » l’anarchie spirituelle, doctrinale, morale et opérationnelle d’aujourd’hui et la guerre générale au sein du monde catholique (et surtout du monde conservateur et traditionnel) « .

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