De son colloque avec ses « frères » jésuites à Lisbonne, tel qu’il est publié par son homme de confiance le père Spadaro sj sur La Civiltà Cattolica, j’extrais ces trois échanges, qui se passent (presque) de commentaires, tant les bornes ont été pulvérisées. Leur unique intérêt est qu’il éclairent à la perfection la forme d’esprit du Pape.

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L’indietrisme

Pape François, je voudrais vous poser une question en tant que frère religieux. Je m’appelle Francisco, et l’année dernière, j’ai passé une année sabbatique aux États-Unis. Il y a une chose qui m’a beaucoup impressionné là-bas, et qui m’a parfois fait souffrir. J’ai vu beaucoup de gens, même des évêques, critiquer votre façon de diriger l’Église. Et beaucoup accusent aussi les Jésuites, qui sont habituellement une sorte de ressource critique pour [?] le Pape, de ne pas l’être aujourd’hui. Ils aimeraient même que les Jésuites vous critiquent explicitement. Les critiques que les jésuites formulaient à l’encontre du Pape, du magistère et du Vatican vous manquent-elles ?

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Tu as constaté que la situation aux États-Unis n’est pas facile : il y a une attitude réactionnaire très forte, organisée, qui structure même une appartenance affective. Je veux rappeler à ces personnes que l’« indiétrisme » est inutile et qu’il faut comprendre qu’il y a une juste évolution dans la compréhension des questions de foi et de morale, à condition de suivre les trois critères que Vincent de Lérins indiquait déjà au Ve siècle : que la doctrine évolue ut annis consolideturdilatetur temporesublimetur aetate [ndt: cf. Le Pape cite saint Vincent de Leirins]. En d’autres termes, la doctrine progresse également, se dilate avec le temps, se consolide et s’affermit, mais toujours en progressant. Le changement se développe de la racine vers le haut, en grandissant avec ces trois critères.

Venons-en au concret. Aujourd’hui, posséder des bombes atomiques est un péché ; la peine de mort est un péché, elle ne peut être pratiquée, et ce n’était pas le cas auparavant ; quant à l’esclavage, certains Papes avant moi l’ont toléré, mais les choses sont différentes aujourd’hui. Donc on change, on change, mais avec ces critères. J’aime utiliser l’image « vers le haut », c’est-à-dire ut annis consolideturdilatetur temporesublimetur aetate. Toujours sur ce chemin, à partir de la racine, avec une sève qui monte peu à peu, et c’est pour cela que le changement est nécessaire.

Vincent de Lérins fait la comparaison entre le développement biologique de l’homme et la transmission d’un âge à l’autre du depositum fidei, qui grandit et se consolide avec le temps. Voici que la compréhension de l’homme change avec le temps et que la conscience de l’homme s’approfondit. Les autres sciences et leur évolution aident également l’Église dans cette croissance de la compréhension. Il est faux de considérer la doctrine de l’Église comme un monolithe.

Mais certains s’excluent eux-mêmes, ils vont à reculons, ils sont ce que j’appelle des « indiétristes ». Quand on recule, on forme quelque chose de fermé, de déconnecté des racines de l’Église, et on perd la sève de la révélation. Si l’on ne change pas vers le haut, on recule, et l’on adopte alors d’autres critères de changement que ceux que la foi elle-même nous donne pour grandir et changer. Les effets sur la moralité sont dévastateurs. Les problèmes auxquels les moralistes doivent faire face aujourd’hui sont très graves et, pour les résoudre, ils doivent prendre le risque du changement, mais dans la direction que j’ai indiquée.

Tu es allé aux États-Unis et tu dis avoir rencontré un climat de fermeture. Oui, j’ai l’impression qu’on peut vivre ce climat dans certaines situations. Mais alors, on perd la vraie tradition et on se tourne vers les idéologies pour trouver des appuis et des soutiens de toutes sortes. Autrement dit, l’idéologie remplace la foi, l’appartenance à un secteur de l’Église remplace l’appartenance à l’Église.

 Ces groupes américains dont tu parles, si fermés, s’isolent. Et au lieu de vivre de la doctrine, de la vraie doctrine qui se développe toujours et porte du fruit, ils vivent d’idéologies. Mais quand on abandonne la doctrine dans la vie pour la remplacer par une idéologie, on a perdu, on a perdu comme à la guerre.

Suivre l’esprit

Saint-Père, pour moi, vous êtes le Pape de mes rêves après le Concile Vatican II. De quoi rêvez-vous pour l’Église de demain ?

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Beaucoup, sans le nommer, remettent en question Vatican II. Ils remettent en question les enseignements de Vatican II. Et si je regarde l’avenir, je pense que nous devons suivre l’Esprit, voir ce qu’il nous dit, avec courage. La semaine dernière, j’ai lu le document qui fait le point sur l’état de la Compagnie de Jésus, De statu Societatis. Il parle d’aujourd’hui, mais toujours avec ouverture. Il indique la possibilité d’aller de l’avant, la nécessité de continuer sur ce chemin. Mon rêve pour l’avenir est donc d’être ouvert à ce que l’Esprit nous dit, ouvert au discernement et non au fonctionnalisme.

Avec la prière, le jésuite avance, il n’a peur de rien, parce qu’il sait que le Seigneur lui inspirera en temps voulu ce qu’il doit faire. Lorsqu’un jésuite ne prie pas, il devient un jésuite desséché. Au Portugal, on dirait qu’il est devenu « une morue » …

LGBT+++ (le pape en remet une couche sur « tous, tous, tous »!!!) [*]

[*] Cf. Quand le pape falsifie l’évangile (et de deux!)

Saint-Père, je m’appelle João, je vous ai embrassé à Rome il y a quelques années, mais je ne vous ai pas dit mon nom à l’époque parce que j’étais trop ému. Je travaille dans le centre universitaire de Coimbra. Je voudrais vous poser une question difficile. Dans votre discours lors de la cérémonie d’accueil de jeudi dernier, ici à Lisbonne, vous avez dit que nous sommes tous appelés comme nous sommes, et qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’Église. Je fais de la pastorale tous les jours avec de jeunes étudiants universitaires, et parmi eux, il y en a beaucoup de très bons, très engagés dans l’Église, dans le centre, et très amicaux avec les jésuites, mais qui s’identifient comme homosexuels. Ils se sentent partie prenante de l’Église, mais souvent ils ne voient pas dans la doctrine la manière de vivre leur affectivité, et ne voient pas dans l’appel à la chasteté un appel personnel au célibat, mais plutôt une imposition. Puisqu’ils sont vertueux dans d’autres domaines de leur vie et qu’ils connaissent la doctrine, pouvons-nous dire qu’ils sont tous dans l’erreur, parce qu’ils ne sentent pas, en conscience, que leurs relations sont pécamineuses ? Et comment pouvons-nous agir pastoralement pour que ces personnes se sentent, dans leur mode de vie, appelées par Dieu à une vie affective saine et qui produit des fruits ? Pouvons-nous reconnaître que leurs relations ont la possibilité de s’ouvrir et de donner des semences du vrai amour chrétien, comme le bien qu’elles peuvent faire, la réponse qu’elles peuvent donner au Seigneur ?

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Je crois qu’il n’y a pas de discussion sur l’appel adressé à « tous ». Jésus est très clair sur ce point : tout le monde. Les invités ne voulaient pas venir au festin. Il a donc dit d’aller au carrefour et d’appeler tout le monde, tout le monde. Et pour que ce soit bien clair, Jésus dit « sains et malades », « justes et pécheurs », tout le monde, tout le monde. Autrement dit, la porte est ouverte à tous, chacun a sa place dans l’Église. Comment chacun le vivra-t-il ? Nous aidons les gens à vivre de façon à ce qu’ils puissent occuper cette place avec maturité, et cela s’applique à toutes sortes de personnes.

À Rome, je connais un prêtre qui travaille avec des garçons homosexuels. Il est clair qu’aujourd’hui le sujet de l’homosexualité est très fort, et la sensibilité à ce sujet change en fonction des circonstances historiques. Mais ce que je n’aime pas du tout, en général, c’est que nous regardions le soi-disant « péché de la chair » avec une loupe, comme nous l’avons fait pendant si longtemps en ce qui concerne le sixième commandement. Si vous exploitiez des travailleurs, si vous mentiez ou trichiez, cela n’avait pas d’importance, et c’étaient les péchés en dessous de la ceinture qui étaient pertinents.

Tout le monde est donc invité. C’est là l’essentiel. Et l’attitude pastorale la plus appropriée doit être appliquée à chacun. Nous ne devons pas être superficiels et naïfs, en forçant les gens à adopter des choses et des comportements pour lesquels ils ne sont pas encore mûrs, ou dont ils ne sont pas capables. L’accompagnement spirituel et pastoral demande beaucoup de sensibilité et de créativité. Mais tout le monde, tout le monde, est appelé à vivre dans l’Église : ne l’oubliez jamais.

Je pars de ta question et je voudrais ajouter quelque chose qui concerne les personnes transsexuelles. Une religieuse de Charles de Foucauld, Sœur Geneviève, âgée de quatre-vingts ans, aumônier au Cirque de Rome avec deux autres sœurs, assiste aux audiences générales du mercredi. Elles vivent dans une maison ambulante à côté du Cirque. Un jour, je suis allée leur rendre visite. Elles ont la petite chapelle, la cuisine, la chambre, tout est bien organisé. Cette religieuse travaille aussi beaucoup avec les filles transgenres. Un jour, elle m’a dit : « Puis-je les emmener à l’audience ? » « Bien sûr », lui ai-je répondu, « pourquoi pas ? » Et des groupes de femmes transgenres viennent toujours. La première fois qu’elles sont venues, elles pleuraient. Je leur ai demandé pourquoi. L’une d’entre elles m’a dit : « Je ne pensais pas que le pape pouvait me recevoir ! Puis, la première surprise passée, elles ont pris l’habitude de venir. Certaines m’écrivent et je leur réponds par e-mail. Tout le monde est invité ! Je me suis rendu compte que ces personnes se sentent rejetées, et c’est très dur ».

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